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Au fait, et les preuves du chimique, elles sont où ?

lundi 30 avril 2018, par Jacques COTTA

Plus d’une semaine après l’envoi de missiles sur la Syrie par les USA, la France et la Grande Bretagne, une question demeure : où sont donc les preuves irréfutables de l’usage d’armes chimiques de la part des autorités syriennes. Restée dans le flou le plus total avant, pendant et au lendemain des frappes, le silence embarrassé des autorités françaises a commencé a être rompu avec cette preuve… de bonne volonté : « D’ici peu tout sera rendu public ». Mais le temps passe et toujours rien, ou presque…

Un document officiel intitulé « Evaluation nationale - Attaque chimique du 7 avril 2018 (Douma, Ghouta orientale, Syrie) - Programme chimique syrien clandestin » a été rendu public par les ministères des armées et des affaires étrangères le 14 avril. De quoi satisfaire sans doute la curiosité de tout un chacun, surtout pour qui s’inquiète des raisons réelles qui ont conduit à engager un acte de guerre à l’encontre de la Syrie, état souverain, hors de toute décision de l’ONU allant dans ce sens.

Et comme il s’agit de guerre, j’ai la faiblesse de penser que les militaires savent mieux de quoi il s’agit que les conseillers de salon, genre BHL, Kouchner ou autres qui se gargarisent à l’abri, pendant qu’au nom du « droit d’ingérence » le droit international est bafoué et éventuellement que des soldats réels et non virtuels vont jouer leur peau. Le colonel Corvez, par ailleurs invité sur le plateau du magazine que je présente et prépare sur « le Média », « Dans la Gueule du Loup », émission portant justement pour son troisième numéro sur le thème « Syrie, guerre, missiles », a décortiqué le communiqué ministériel. (On trouvera l’émission à l’adresse suivante :

Qui en est le rédacteur ?

« Il n’est pas médecin puisqu’il considère les déclarations d’odeurs et les images de fumée comme des « symptômes », et il n’est pas militaire puisque la phrase sur « l’utilité d’une couverture aérienne » semble ajoutée par un autre rédacteur et qu’il ignore la signification tactique du verbe « appuyer ». Cependant il déploie avec constance le fameux style de dissertation dit science-poseur attendu des candidats à l’ENA ».

Quelle crédibilité ?

Le style est journalistique (…) à l’opposé de celui du traitant de renseignement. De toute évidence, de par sa forme, ce document n’est pas destiné à élever des informations à un ministre mais à livrer une opinion à la presse…

Quel vocabulaire ?

Il est question du « régime » et « n’est pas une seule fois utilisé « le mot gouvernement pour désigner les autorités légales du pays ». « Les forces pro- régime » sont évoquées pour parler de l’armée régulière syrienne. « Ce vocabulaire typique d’un politicien en campagne serait immédiatement corrigé dans un milieu militaire, et ôte au réquisitoire toute prétention d’objectivité pourtant nécessaire à l’établissement des faits.

Quelles sources, quelle crédibilité ?

Enfin il ne cherche pas à coter séparément la plausibilité de l’information et la fiabilité de la source. Il apparait rapidement qu’aucun agent français n’a visité les lieux ni parlé avec les services médicaux ou les apparentes victimes. Pour reprendre la terminologie du rédacteur, les services d’affaires étrangères du régime français ne ressortent pas grandis de cet exposé d’évaluation nationale.

L’absence de véritable preuve en l’état actuel pose deux questions importantes, l’une aux politiques, l’autre aux journalistes.

Pour les politiques, demeure aujourd’hui la foi dans la parole gouvernementale. « Puisque le gouvernement l’a dit, c’est donc que c’est vrai ! ». Pardi ! Si c’était le premier coup du genre, on pourrait excuser ce qui s’apparenterait à une simple naïveté. Mais constatons qu’il n’en n’est rien. Le précédent de Colin Powell à l’ONU, brandissant des fioles pour accréditer l’idée des armes de destruction massive en possession de Sadam Hussein, s’est révélé une manipulation grossières, aux conséquences tragiques pour des dizaines de milliers d’irakiens qui y ont perdu la vie, pour une nation entière qui a été disloquée, détruite, pour une région du monde aujourd’hui dans une instabilité chronique. Colin Powell n’était pas le premier à user du faux à grande échelle. Il y a eu aussi la Roumanie et Timisoara. Ça tombe bien car j’y étais pour tourner « Roumanie, révolution ou manipulation ? ». Durant des jours les ondes en France, en Grande Bretagne, aux USA ont déversé la version officielle concernant les fameux charniers. C’était à qui dirait mieux. « 300, 500, 1000 et plus, les corps s’entassent à Timisoara, assassinés par la police et l’armée du dictateur ». J’ai cherché, fait les terrains vagues, suis allé aux adresses indiquées… Mais rien, seuls quelques corps à la morgue, mais point de charnier. Pourtant les informations des rédactions parisiennes continuaient d’annoncer le pire, dans une surenchère folle que rien ne pouvait enrayer. Sans doute la volonté des uns de voir le dictateur affublé de tous les maux était plus forte que la vérité journalistique, pendant que la manipulation politique allait bon train.

Au fait, cela m’amène à ma deuxième question en direction de la presse, de mes confères. A juste titre, beaucoup ont reproché au « média » d’avoir laissé entendre qu’un étudiant avait perdu la vie, ou était sur le point de la perdre à Tolbiac. Ils ont eu raison et la rédaction du média a bien fait de reconnaitre son erreur et de s’excuser pour sa bévue. Mais de Tolbiac à la Douma, il n’y a qu’un pas. Comment les mêmes peuvent-ils accepter les arguments ministériels et gouvernementaux qui relèvent de la croyance et non de la vérité journalistique ? Comment peuvent-ils dans leur commentaire accréditer l’idée macronienne des frappes salutaires, au nom d’une « ligne rouge dépassée », alors que rien ne vient vérifier cette hypothèse ? La Douma serait-elle moins importante que la faculté de Tolbiac ? Méthode pour méthode, excuses pour excuses, la profession ne s’élèverait-elle pas si l’exemple de la rédaction du média qui a reconnu son erreur et s’est excusée était suivi par tous les va-t-en guerre si prompts à regarder la paille dans l’oeil du voisin (en l’occurence c’était une bonne chose), lorsqu’ils ignorent la poutre que se trouve dans le leur.

Jacques Cotta