Accueil > International > Les gauches latino-américaines : un tournant ?

Les gauches latino-américaines : un tournant ?

jeudi 6 février 2020, par Jean-Paul DAMAGGIO

Les gauches françaises se sont tour à tour passionnées pour Castro, Allende, Sandinistes, Zapatistes, Porto Alegre, Chavez, Morales et j’en passe. De la révolution sans les urnes à la révolution par les urnes. La quête du modèle l’ayant emporté sur le modèle sans quête. Voici un bilan abrégé pour noter comment ces gauches latinos nous apprennent globalement qu’il faut tourner la page pour que les luttes se poursuivent jusqu’à ce qu’émancipation s’en suive !

Uruguay

Je commence ce voyage par le pays loin des polémiques et donc loin des idées toutes faites qui a donné au monde deux écrivains fabuleux, Eduardo Galeano et Mario Benedetti. Tabaré Vázquez y entre en fonction le 1er mars 2005 puis est remplacé par son ami José Mujica le 1er mars 2010 et revient au pouvoir le 1er mars 2015 mais le conservateur Luis Lacalle Pou, candidat du Parti national âgé de 46 ans, vient de gagner, de justesse, contre le Frente amplio (gauche) présenté par Daniel Martinez. Pourquoi après quinze ans de pouvoir la gauche a perdu ? Qui remplace Galeano et Benedetti ?

Brésil

Lula est au pouvoir du 1er janvier 2003 au 1er janvier 2011 laisse la place à son amie Dilma Roussef jusqu’au 31 août 2016.
L’histoire a fait que Lula arrivant au pouvoir central, le PT était éliminé de la municipalité à Porto Alegre, lieu « magique » du budget participatif et donc de la démocratie participative ! Parmi tous ceux qui ont célébré Porto Alegre je n’en ai pas trouvé un seul pour analyser cet échec. Echec qui fut aussi celui du PSOL une scission de gauche du PTT.
Dans ce pays un élément est entré en piste : les évangélistes. L’Uruguay est depuis très longtemps un pays laïque ayant pu instaurer une loi sur l’IVG, le mariage gay et la légalisation du cannabis pour tenter de faire chuter la violence (je n’y crois pas). Au Brésil, c’est le PT qui le premier a introduit en politique les évangélistes ! Or le Brésil était un des pays où la théologie de la libération était puissante. Pourquoi cette erreur du PT qui fait que la gauche latino a été souvent alliée avec l’Iran ? La théologie de la libération appliquait le principe laïque : séparation des églises et de l’Etat mais pas les évangélistes. Pourquoi après treize ans de pouvoir la gauche a perdu ?

Argentine

Nestor C. Kirchner arrive au pouvoir le 25 mai 2003 puis laisse sa place à son épouse le 10 décembre 2007 jusqu’au 10 décembre 2015. Il va y avoir l’intermède du Berlusconi argentin Mauricio Macri et le clan Kirchner revient au pouvoir. La gauche avait perdu mais la droite n’a pas gardé le pouvoir.

Chili

Le 11 mars 2006 Michelle Bachelet arrive au pouvoir mais elle y reste un mandat. La droite s’installe en 2010 avec Sébastian Pinera mais pour un seul mandat qui renvoie Bachelet pour un mandat en 2014 et avec le retour de la même droite en 2018 ! Confirmation : la droite ne garde pas le pouvoir.

Bolivie

Le cas est plus connu avec la victoire du MAS et d’Evo Morales qui accède au pouvoir le 22 janvier 2006, y reste le 21 janvier 2010 et encore le 22 janvier 2015 pour une victoire contestée qui l’oblige à fuir le pays le 10 novembre 2019. Comme Chavez il n’a pas voulu respecter la limitation des mandats. Pour les nouvelles élections du 3 mai 2020 le candidat choisi par Morales, et contre celui des mouvements sociaux, est Luis Arce Catacora. Morales annonce qu’il gagnera au premier tour sans tenir aucun compte de son propre échec ! Comment peut-on dire à la fois qu’il a été victime d’un Coup d’Etat et proposer un candidat à des élections dont les organisateurs sous les auteurs du Coup d’Etat ? Rappelons que l’échec de Morales a été faible puisqu’il était largement en tête à l’élection mais qu’il y a eu fraude de 2 ou 3% pour, suivant le mode de scrutin obtenir 10% d’avance et donc la victoire au premier tour. Le soutien au MAS reste très fort face à une droite divisée mais il est lui aussi très divisé en interne. Dans tous les cas on a assisté à un épuisement de la gauche.

Paraguay

Il y avait eu la victoire en 2008 du président de gauche Fernando Lugo destitué par le Sénat quatre ans après pour affaire de mœurs. Le nouveau président Federico Franco n’est pas reconnu par l’OEA. Au pouvoir depuis 2012 il n’y a pas eu de nouvelle élection depuis.
Fernando Lugo s’affirme au grand jour sur la scène politique en mars 2006, lorsqu’il prend la tête d’une manifestation à Asunción pour protester contre Nicanor Duarte, président de la République en exercice, qui tente alors de briguer un second mandat malgré l’interdiction inscrite dans la Constitution du pays.

Equateur

La dictature militaire n’a jamais pris la tournure effroyable du cône sud mais il a fallu aussi en sortir, avec à nouveau, un face à face centre droit, centre gauche. L’originalité du pays tient à la force organisée des Indigènes à travers la CONAIE. Comme le Mouvement des Sans Terre au Brésil, et d’autres groupes, il s’agit de luttes paysannes. C’est à Quito que l’histoire de toute la région bascule en l’an 2000 avec d’un côté la droite qui impose le dollar comme monnaie, et de l’autre un peuple révolté qui chasse cette droite. Mais personne ne remettra en cause le dollar ! L’arrivée au pouvoir de Rafael Correa en 2007 n’est pas le produit des révoltes paysannes mais des révoltes de la classe moyenne à Quito. Plus porté sur le développement industriel (y compris la culture des roses comme des bananes à dose industrielle) il a peu de liens avec le peuple des indigènes des campagnes qui vont subir une répression importante, surtout à la fin de sa présidence. Elu trois fois il a hésité avant de proposer à sa place une « marionnette » le temps de pouvoir reprendre les commandes mais il s’est trompé. Lenin Moreno élu en 2017 ayant renoué le contact avec la CONAIE a été bousculé quand la même CONAIE a à nouveau, mobilisé les foules contre l’austérité qu’il voulait mettre en place. Et Lenin Moreno a reculé aussitôt, la CONAIE n’étant pas allé au delà de la revendication contre les taxes, car elle refusait que la dite révolte serve au retour de Correa. La question posée à la gauche en général tient au type de programme agricole à mettre en place.

Pérou

Le 22 novembre 2000 c’est la chute de Fujimori qui avait réalisé un coup d’Etat en 1992 à son propre bénéfice sans les USA. Par la suite vont se succéder des présidents plutôt centristes mais avec cette particularité : Toledo et Garcia seront poursuivis pour corruption. Le 28 juillet 2011, pour certains, la victoire d’Ollanta Humala fut celle d’un Chavez péruvien mais il fera un seul mandat et le président suivant Kuczynski élu en 2016 ne terminera pas le sien : corruption. Il est donc remplacé deux ans après par son vice-président Martin Vizcarra qui vient de remporter une demi-victoire dans des élections législatives qu’il a provoquées : il n’a pas de parti à lui mais pour la première fois le danger fujimoriste est marginalisé.
A la présidentielle de 2016 Verónika Mendoza, sous les couleurs du Frente amplio, avait fait un très beau parcours en défense de la gauche mais aussitôt l’élection passée la fragmentation habituelle est intervenue.

Mexique

En décembre 2000 le parti historique du pays (PRI) est battu par le PAN avec l’aide d’une partie de la gauche fatiguée par les mensonges du PRI..
Le PAN tiendra deux mandats avec Fox et Calderon puis le PRI revient avec Peña Nieto jusqu’à la victoire écrasante de Lopez Obrador en 2018 qui avait été longtemps au PRD, un parti de gauche qu’il quitta pour créer MORENA. Un peu comme si le Mexique fonctionnait à contre-temps.

Une chose est sûre : Pérou et Mexique démontrent depuis toujours que le rêve bolivarien de Chavez était aussi ridicule hier qu’aujourd’hui ou demain. Il s’agit d’une abstraction : face aux Etats Unis du Nord des Etats Unis du Sud seraient une bonne chose sauf qu’au Sud les géants comme le Brésil et l’Argentine ne sont pas les derniers à exploiter les petits pays comme la Bolivie et le Paraguay.
(je me dispense de l’étude des autres cas)

Les gauches à un tournant

Cette histoire nous renvoie à une idée très répandue dans la France de 1981 : si la gauche arrive au pouvoir elle va satisfaire les besoins et désirs du peuple, donc elle ne va que se renforcer électoralement. Le Chilien Allende, vu le mode de scrutin, est arrivé au pouvoir avec 40% or sa politique lui apportant des soutiens nouveaux, les militaires et l’impérialisme US n’ont pas accepté, par peur que la gauche s’installe pour l’éternité. Pour le dire autrement, il est tellement dur pour la gauche d’arriver au pouvoir vu que l’adversaire contrôle tout, qu’avec l’aide du dit pouvoir, elle devrait devenir imbattable. Or même en tenant le pouvoir, elle peut moins convaincre que dans l’opposition ! Elle s’use sans excuse. Bien sûr l’adversaire ne baisse pas les bras mais ça c’est connu surtout venant de l’impérialisme US !
En 1995, en 2002, en 2017 le PS français a été battu. Pourquoi ? Avec le cas latino on vérifie que cette question n’est pas franco-française et a donc des répercussions globales. Cette gauche par ses politiques de droite a découragé son électorat ? Mais alors les propositions venues de sa gauche auraient dû se renforcer ? C’était le calcul du PCF en quittant le gouvernement en 1984 et l’échec fut cuisant. A cause de la chute de l’URSS ? Avec le cas latino on vérifie que l’histoire se répète sans les effets de la chute de l’URSS.
Sauf Cuba bien sûr, cette gauche latino a développé largement ce qu’on appelle des politiques sociales réelles sur le modèle social-démocrate. Je renvoie aux derniers travaux de l’Internationale socialiste dont les participants sont à présent souvent des groupuscules.

L’échec s’est produit au bénéfice des droites les plus diverses. Sous l’effet de l’action de la CIA ? Mais pourquoi cette organisation n’a-t-elle pas empêché comme pour Allende l’installation de politiques qui risquaient d’imposer la gauche pour l’éternité ?
A vouloir à la fois, pour des éléments de la gauche européenne, célébrer la puissance du peuple (d’où les victoires des gauches) et la puissance de la CIA (d’où les échecs des gauches) on utilise une contradiction inaudible pour éviter d’analyser le fond du problème.
Les politiques sociales ont un double effet : elles améliorent le quotidien de millions de gens qui, par leur nouveau statut, deviennent réceptifs aux discours classiques des forces dominantes. Le fait est connu : les immigrés qui réussissent deviennent souvent les plus racistes !

La social-démocratie c’est croire que la république sociale produit automatiquement le souhait de république démocratique, quand le communisme soviétique pensait que la république sociale dispensait le pays de la république démocratique !
A mes yeux, les leçons des gauches latinos ne sont pas différentes de celles des gauches européennes : elles imposent comme objectif premier pour sortir des impasses, les luttes idéologiques afin d’en arriver à la fameuse hégémonie sociale. Luttes idéologiques pour renouer le lien avec le peuple en repensant les statuts des agricultures comme des cultures, des Etats comme des tribus, des vitesses comme des lenteurs, des croissances comme des décroissances, des morales comme des immorales, des quantités par rapport aux qualités.
Le slogan classique des gauches latinos a été : « el pueblo unido jamas sera vencido » or l’unité du peuple n’est la garantie de rien. Le vieux rêve des communistes c’était de conscientiser le peuple mais là aussi l’inversion des rapports s’impose. Il ne s’agit ni d’apporter la conscience de l’extérieur ni de s’aplatir devant une peuple, en quête de porte-paroles, mais d’oser une autre articulation entre les capacités historiques de révolte des peuples, et les analyses des limites de ces capacités. La gauche a socialement épuisé son histoire car la révolution conservatrice a cassé une continuité de l’histoire des impérialismes pour imposer un capitalisme d’une autre nature : le capitalisme féodal unissant tribus et multinationales par le pouvoir de bourgeoisies numériques. C’est Nixon qui a décidé de sacrifier le pouvoir industriel des USA (et aussi de sa classe ouvrière) au bénéfice de la Chine, pour une domination sans partage du secteur des communications. Avec Trump l’industrie peut revenir en partie aux USA mais sans le pouvoir perdu de ses ouvriers.

4 février 2020 Jean-Paul Damaggio

Messages

  • Bonjour
    Mes amis de la diaspora chilienne auraient beaucoup à redire sur "la gauche" qu’incarne Mme Bachelet...
    Quant aux péronistes argentins..
    Certes la "droite" ne garde pas le pouvoir mais la "gauche" ne le "gagne" pas non plus...
    Orwell écrivait déjà en son temps : "Quand l’extrême droite progresse chez les gens ordinaires, c’est d’abord sur elle-même que la gauche devrait s’interroger."..
    Las, la gauche quel que soit l’hémisphère dans lequel elle "officie" est dans l’incapicité de "s’interroger".
    Il y a presque 40 ans qu’elle a abandonné la lutte des classe.
    Tout-à-fait logique que "la droite" bourgeoise, qui, elle, ne l’a jamais lâchée, remporte cette guerre impérialiste d’un continent à l’autre..
    Merci de votre attention et merci de vos articles.
    Bien cordialement

  • Merci pour ce commentaire. Bien sûr tout à fait d’accord. Je n’ai repris le terme de "gauche" que tel qu’il est utilisé dans le langage commun, pour tenter de montrer que s’il y a eu des espoirs autour des dites gauches si diverses, ils sont épuisés et pas seulement sous les coups de l’adversaire mais sous les effets des évolutions globales. Malheureusement les alternatives piétinent.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.