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L’école maltraitée

Revue de presse 6 février – 13 février 2020

vendredi 14 février 2020, par Antoine BOURGE

L’école, cette noble institution façonnée par la IIIe République, est aujourd’hui violemment attaquée dans ses principes républicains, démocratiques et laïques. Ses agents se sentent constamment dévalorisés et abandonnées gouvernement après gouvernement depuis plus de trente ans. Réformes rétrogrades après réformes abêtissantes... que va-t-il advenir de ce mammouth dégraissé que le gouvernement Macron est sur le point de désosser ?

SALES COUP(E)S Réforme des retraites et salaires

• Non, les professeurs ne gagnent pas 3800€ par mois... Non le métier n’attire plus et n’est pas synonyme de réussite sociale. C’est pire avec la réforme des carrières, ce sera encore pire avec la réforme des retraites. Pascale Fourier remet les pendules à l’heure sur son blog https://blogs.mediapart.fr/pascale-fourier/blog/100220/education-nationale-des-sous-salaries. On peut relever : « (...) contrairement à ce que peut dire le Ministre de l’Education Nationale, il n’y a pas de volonté de revaloriser les débuts de carrière (ni le milieu, ni la fin d’ailleurs – et surtout pas de garantir une retraite décente après une carrière entière à être sous-payés au regard des études faites). » Le point suivant est encore plus éclairant sur la destruction à terme du corps enseignant, qui traduit l’aversion non dissimulée de LREM pour les fonctionnaires et les services publics : « Et il n’y a donc pas la volonté de garder un corps d’enseignants ayant une formation académique solide, passant un concours longtemps très exigeant, s’engageant dans une carrière longue où l’expérience est essentielle. Plus personne ne voudra faire dans de telles conditions le métier d’enseignant de façon pérenne. Place aux contractuels, passant un moment dans l’Education Nationale et en repartant aussi vite (…). [La Loi de modernisation de la fonction publique publiée le 6 Août 2019 au Journal Officiel permet] « le recours élargi au contrat sur les emplois de direction et les emplois permanents de catégorie A, B et C ». Peu de candidats aux concours, tous les postes ne sont pas pourvus... la boucle est bouclée.


• François Ruffin, député LFI, rappelle ici le 6 février 2020 https://francoisruffin.fr/enseignants-retraites/ qu’il y a deux poids deux mesures pour garantir le passage en force de politiques impopulaires : « Au 1er décembre, Blanquer a augmenté de 50% les primes des recteurs et directeurs d’académie. Un moyen de motiver ceux qui vont devoir faire passer la pilule des 900 euros de perte de pensions à ceux qu’ils encadrent : les enseignants. »

• L’enfumage de la revalorisation annoncée par Blanquer face aux protestations contre le nouveau baccalauréat est très justement dénoncée dans l’Humanité https://www.humanite.fr/education-nationale-les-dessous-du-traquenard-tendu-aux-enseignants-683895 . Cette revalorisation est anticonstitutionnelle et n’aura pas lieu, mais elle aura été clamée si haut et si fort qu’une partie de l’opinion prendra cela pour argent comptant et le gouvernement pourra continuer la politique du pire.

• Les universités, étudiants et chercheurs, s’opposent à la LPPR ( loi de programmation pluriannuelle de la recherche) qui réduira la qualité et le financement de la recherche. C’est bien l’ensemble de l’édifice de la maternelle à l’université qui est attaqué : « En généralisant le financement par projet, la loi de programmation pluriannuelle de la recherche (LPPR) promise par le gouvernement aggravera la mise en concurrence des chercheurs, l’asphyxie budgétaire de l’université et la précarité des personnels. » https://www.humanite.fr/enseignement-la-sorbonne-toujours-en-lutte-684359 .

Conditions de travail et conscience professionnelle

• L’anxiété, le stress, le surmenage... sont les révélateurs d’un pilier, la conscience professionnelle, qui fait encore tenir les enseignants alors que la transmission des savoirs est courtcircuitée par l’institution elle-même. C’est l’argument défendu dans l’article de ce blog https://blogs.mediapart.fr/prof-dallemand/blog/040220/enseignement-la-souffrance-ethique-au-travail. Morceau choisi : « Dans un métier dévalorisé en terme d’image et de salaire, que de moins en moins d’étudiants veulent exercer, dans lequel il n’existe PAS de contrat de travail et où régulièrement l’enseignant a mauvaise conscience pour l’avancée de ses élèves et accepte le travail gratuit, il va être compliqué de continuer sans aucun soutien. Le nombre de démissions des enseignants semble exploser, sans que l’Education Nationale n’accepte d’en publier les chiffres, l’Etat prévoit la réduction du nombre de fonctionnaires et la hausse des contractuels, en situation précaire et peu voire pas formés, qui seront plus malléables et mettront, par crainte du licenciement, leur éthique de côté jusqu’au jour où le conflit moral et la souffrance éthique ne leur sera plus supportable. »

• Nous attirons ici l’attention sur cet article paru dans Marianne le 8 février 2020 : https://www.marianne.net/societe/cela-rend-notre-quotidien-absurde-les-profs-face-l-enfer-de-la-paperasse-et-des-rapports. « Dans le premier comme dans le second degré, les personnels enseignant et de direction pestent contre une charge administrative étouffante qui empiète sur leurs missions prioritaires. »

REFORME DU BACCALAUREAT

• Le mépris du travail des enseignants et de leur investissement se fait particulièrement criant à l’occasion des fameuses E3C (plus de détails sur ce que sont ces épreuves dans l’article de Marie-Pierre FRONDZIAK http://la-sociale.online/spip.php?article295). La dénonciation de la casse du bac comme diplôme national se retrouve très clairement dans La Tribune des Travailleurs du 5 février : « Aucun caractère national : chaque lycée choisit son sujet. Comme la B[anque] N[ationale] [de] S[ujets] contient de nombreux sujets, ce ne sont pas les mêmes sujets, et donc pas la même difficulté selon les lycées. Aucune confidentialité : les épreuves n’ont pas lieu le même jour ; elles sont échelonnées sur un mois. Dès qu’un sujet est sortit dans un lycée il se retrouve le soir même sur les réseaux sociaux. Aucun anonymat : la correction des copies se déroule au sein de chaque lycée, les élèves peuvent facilement savoir qui est le correcteur. On imagine les pressions. Aucune justice : ces épreuves ayant lieu en milieu d’année, les sujets de la BNS ne sont pas toujours adaptés à la progression suivie par l’enseignant : un élève peut être interrogé sur une question non vue en classe. Les inspecteurs n’hésitent alors pas à donner des consignes telles que : « on comptera une question en bonus, adaptera le barème. » Car dans ce chaos, le barème est lui aussi fixé localement... Les E3C apparaissent donc comme un minable bricolage local. Cela est indigne. »

• Le 9 février 2020 dans un article publié sur son blog (https://blogs.mediapart.fr/florence-arie/blog/090220/bouteille-la-mer-d-une-prof-d-anglais-qui-n-y-comprend-plus-rien) Florence Arié évoque le flou des inspecteurs sur le contenu et le format des nouvelles épreuves, puis elle s’indigne du mépris ministériel au sujet des corrections : « « la taille des paquets dépend grandement de l’organisation de la correction définie dans chaque établissement et qui est fonction d’un grand nombre de facteurs. » Débrouillez-vous avec ça… De toute façon, vers qui se tourner ? C’est « la machine qui affecte les copies ». (...) Vaut-il mieux entendre ça que d’être sourd ? Est-ce aussi la Machine qui a décidé que nous serions payés 50€ brut pour chaque « lot », quel que soit le nombre de copies qu’il contient ? Peu importe puisque si j’ai bien compris, il s’agit d’une indemnité exceptionnelle pour cette année seulement. » Voilà comment on « revalorise » le bac...

• Sous des dehors élitistes et une hypocrisie invraisemblable Blanquer lache sur France Culture (http://video.lefigaro.fr/figaro/video/reforme-du-bac-jean-michel-blanquer-assume-de-vouloir-rehausser-le-niveau-general/6130011141001/) le 5 février 2020 : « [j’]assume de renforcer le niveau au lycée pour compenser des « lacunes » repérées à l’université. » C’est à vomir quand on sait le travail et le soin qu’apportent les professeurs à la préparation de leurs élèves mais que paralèllement des heures sont supprimées et donc des postes. Dans cet article https://www.huffingtonpost.fr/entry/blanquer-assume-de-donner-du-travail-en-plus-aux-profs-pour-rehausser-le-niveau_fr_5e3bd1e7c5b6f1f57f0b62c3?ncid=other_email_o63gt2jcad4&utm_campaign=share_email Blanquer sous-entend que les professeurs sont des fainéants qui rechigent à appliquer une réforme « très profonde ». Mais c’est surtout l’utilisation des grosses ficelles du management pour pousser les professeurs à accepter tout un tas de missions... Et l’on voit comment la réforme du bac est intimement liée à la question de la revalorisation du salaire et donc de la retraite.

• La présentation du « Grand Oral » ici https://etudiant.lefigaro.fr/article/bac-le-deroulement-detaille-du-grand-oral-enfin-devoile_f8a1cac6-4bf1-11ea-8d1f-f6db9695b2f5/ nous permet de saisir la dévalorisation dont fait l’objet le baccalauréat. On constate le temps restreint (5 minutes) laissé au candidat pour argumenter sur un sujet qu’il va approfondir pendant deux ans ! Et en fin d’épreuve un échange de 5 minutes sur l’orientation qui doit nécessairement être lié au sujet travaillé (?) et qui évaluera une « aptitude à exprimer ses motivations ». L’entretien d’embauche serait-il devenu une discipline ?

L’ECOLE DE LA CONFIANCE VIOLENCE

• Les E3C ont été passées à coup de matraque et à grands renforts policiers. Les slogans « Blanquer démission » sont repris par de nombreux professeurs et lycéens qui bloquent les lycées pour empêcher la tenue d’épreuves non conformes à ce que l’éthique professorale peut accepter. C’est en juin dernier que d’importants signes d’opposition sont apparus (rétention de copies, refus de corriger...) et resurgissent aujourd’hui.
• Dans Le Monde une tribune signée par 50 chefs d’établissements scolaires parisiens demande que « cessent les blocages » : « Nous déplorons collectivement la mise à mal de nos établissements : équipes divisées entre les jusqu’au-boutistes et ceux qui sont épuisés de ne plus exercer leur métier, élèves désorientés et à cran. » https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/01/27/plus-de-cinquante-chefs-d-etablissements-scolaires-parisiens-demandent-que-cessent-les-blocages_6027306_3232.html Une réponse a été formulée par les enseignants du lycée Hélène Boucher (Paris, XX) pour répondre à la tribune précédente : « (…) si vous êtes réellement attachés à « la nécessité absolue du maintien du service public d’éducation », le plus urgent n’est pas de justifier par voie de presse les méthodes contestables que vous avez adoptées : les sanctions à l’intérieur de votre établissement, les appels à la police lors des blocus au risque d’un engrenage de la violence. » https://blogs.mediapart.fr/professeurs-mobilises-helene-boucher/blog/060220/des-enseignants-dhelene-boucher-ecrivent-leur-direction-propos-des-blocage

• Une carte, mise à jour régulièrement, permet de prendre conscience de l’ampleur de la contestation sur Bastamag : « Face au déni du gouvernement, des enseignants documentent la réalité des blocages contre le « bac Blanquer » », https://www.bastamag.net/lycees-blocages-bac-Blanquer-E3C-violences-policieres-epreuves . On est loin des 15% de perturbations annoncées par Blanquer.

• Des perturbations importantes ont eu lieu devant et dans les lycées le jour de la passation des E3C : « Comme l’a expliqué le secrétaire général du SNPDEN aux Échos, Philippe Vincent, “43% des lycées ont dû faire face à des perturbations” liées au nouveau bac mis en place par la réforme. Si 87% des établissement sondés par l’organisation syndicale sont finalement parvenus à faire passer les E3C, le responsable note toutefois une colère particulière au sein du corps enseignant. » https://www.huffingtonpost.fr/entry/reforme-du-bac-e3c-blocage-rennes_fr_5e3aa20ac5b6b5fb438a84e3

• La violence étatique est la dernière arme d’un ministre qui ferait mieux de démissionner. Lisez plutôt ceci : « Dans un entretien à Libération, Rodrigo Arenas, le président de la FCPE, la principale fédération de parents d’élèves, dénonce la criminalisation des élèves protestataires « punis parce qu’ils se rebellent ». Il dénonce aussi un climat délétère où les épreuves doivent être passées coûte que coûte. « Des proviseurs traquent les mômes sur les réseaux sociaux, les prennent en photo devant le lycée pour ensuite les exclure. Certains invitent les forces de l’ordre à rentrer à l’intérieur du lycée… Des proviseurs ont également menacé de coller des zéros à tous les gamins qui refusent de composer dans ces conditions. C’est délirant. » https://www.mediapart.fr/journal/france/070220/la-repression-s-accentue-dans-les-lycees-avec-les-premieres-epreuves-du-bac-blanquer

• Cette violence est telle qu’elle est dénoncée (tant contre les gilets jaunes que tous les autres manifestants) au Parlement européen : « Battre des personnes sans défense, leur tirer dessus, utiliser une brutalité injustifiée contre des protestataires qui exercent leurs droits civils à la liberté de rassemblement et d’opposition aux politiques des autorités, violent les droits de l’homme fondamentaux et les principes démocratiques. Tout cela dans son ensemble indique l’abus de pouvoir, la perte de toute mesure, qui transforme souvent révolte légitime en délire destructeur. Ce n’est pas différent du comportement de la police dans les pays totalitaires », peut-on lire dans l’appel » https://www.mediapart.fr/journal/international/070220/violences-policieres-la-france-de-nouveau-prise-partie-au-parlement-europeen

• Un dernier exemple permet de comprendre la gravité de la situation dans un article sur les conditions de garde à vue des lycéens, consultable sur Médiapart : « Des « murs recouverts d’excréments », « pas d’eau ou des verres vides », « des repas qui n’étaient pas décongelés », des insultes de la part des policiers et de nombreuses irrégularités dans les auditions qui, pour la plupart, étaient conduites sans avocat malgré la demande de leur enfant. » et plus loin « l’avocate Lucie Simon [insiste] sur le caractère abusif de ces procédures, compte tenu de la nature des faits reprochés mais également du dévoiement dans l’utilisation de la garde à vue qui est, en théorie, prévue lorsqu’il y a des raisons de penser qu’une personne « a commis ou tenté de commettre un crime ou un délit » et qui doit être justifiée par l’un des six motifs prévus par la loi. Ce qui n’est pas le cas des lycéens qui l’ont subie. » https://www.mediapart.fr/journal/france/090220/lyceens-arretes-les-familles-denoncent-des-gardes-vue-abusives

INSTRUIRE, UN ACTE DE RESISTANCE

• « Vous avez précipité le lycée dans un chaos indescriptible » : lettre ouverte à la rectrice de Bordeaux rédigée par les professeurs du lycée Montesquieu (Bordeaux) le 11 février 2020 (lue dans Marianne : https://www.marianne.net/debattons/tribunes/vous-avez-precipite-le-lycee-dans-un-chaos-indescriptible-lettre-ouverte-la). « Les professeurs du lycée ont découvert, 15 minutes avant de prendre leur service, que le lycée était interdit d’accès pour les élèves de terminales et de secondes et que seuls les élèves de premières pouvaient entrer. » Et un peu plus loin : « Les élèves de premières étaient alors sommés de passer leur épreuve de baccalauréat séance tenante sans avoir été prévenus et dans une indescriptible désorganisation. Le climat anxiogène était palpable en dépit des efforts des enseignants pour rassurer certains élèves en panique. » La conclusion des professeurs est la suivante : « Quand la question du pouvoir et de la domination est en jeu, quand il s’agit de montrer qui est le maître, l’intérêt de l’élève s’efface soudain. » Une citation de Montesquieu est présente dans la lettre et éclaire tout à fait la situation : « Il n’y a point de plus cruelle tyrannie que celle que l’on exerce à l’ombre des lois et avec les couleurs de la justice. »

• Faire taire ceux qui sortent du rang, telle est la chasse aux sorcières organisée par le Ministre Blanquer. Cette tension est palpable dans ce commentaire placé en post scriptum de l’article publié sur le blog de Florence Arié (https://blogs.mediapart.fr/florence-arie/blog/090220/bouteille-la-mer-d-une-prof-d-anglais-qui-n-y-comprend-plus-rien) : « PS : J’ai hésité à écrire et envoyer ce texte parce que je suis une prof, c’est-à-dire une bonne élève redoutant les punitions. J’espère toutefois que je recevrai une autre réponse qu’une sanction décidée par la Machine. » C’était ces mêmes menaces qui avaient été brandies en juin 2019 pour le refus de corriger des copies : https://www.challenges.fr/education/blanquer-annonce-des-sanctions-pour-les-correcteurs-grevistes-du-bac_663129.

• Ce gouvernement n’a décidément aucune limite et c’est ce dernier exemple qui nous laisse sans voix, trouvé dans la Tribune des Travailleurs du 5 février 2020 : « Des enseignants de Seine-Saint-Denis découvrent qu’ils sont prélevés d’un jour de salaire pour la journée du 3 octobre 2019. Le 3 octobre, partout en France, les enseignants se rassemblaient pour rendre hommage à Christine Renon, 4000 à Pantin, dont certains étaient présents le matin même à son enterrement ! Le suicide de Christine Renon a d’ailleurs été reconnu comme imputable au service. »

Pour l’abrogation de cette réforme indigne de l’école de la République qui détruit le baccalauréat comme diplôme national et premier grade universitaire. Annulation des E3C et rétablissement des filières. Les intimidations et violences doivent cesser, le gouvernement en porte l’entière responsabilité. Ces agissements iniques ne doivent pas condamner au silence mais plutôt pousser les professeurs à s’organiser pour résister et défendre notre bien commun : l’école.

Le 13 février 2020
Antoine Bourge

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