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Projet de transition

jeudi 21 novembre 2019, par Jean-Pierre BATTAIS, LA SOCIALE

Nous publions avec plaisir un travail de notre ami Jean-Pierre Battais qui porte sur l’appréciation de la situation de crise sociale et politique que traverse le pays, et sur les pistes qu’il serait bon de creuser pour trouver une issue. La discussion doit se mener...

Sommaire :

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Vers la transition

La nouvelle crise financière se profile à nouveau sur fond de récession et de bulles spéculatives. Compte tenu de l’endettement des états après que la crise de 2008 a absorbé les ressources des contribuables jusqu’aux limites, ils ne pourront plus se contenter de ponctionner les comptes des particuliers.
Ils tenteront d’imposer la ‘’nationalisation’’ des banques pour les ‘’punir’’, mais de fait, une fois de plus ce serait la nationalisation des pertes sans remettre en cause le système capitaliste. Pour autant, il faudra effectivement conserver le fonctionnement des banques, (sinon la population serait rapidement privée de ses moyens de paiement), à condition de s’en emparer pour 0€ et surtout de rendre le contrôle et l’émission de la monnaie au service public. Sinon, ce serait rester dans les griffes de l’oligarchie. C’est le seul moyen en outre de régler le problème de la dette qui n’incombe pas au peuple.
En outre, Il faut très sérieusement prendre en considération cette période cruciale et historiquement très courte dans laquelle l’opinion soutiendrait majoritairement ces décisions permettant une transition sans passer par le chaos. Ne pas être prêt, ne pas se saisir de cette opportunité serait une trahison par omission.

Cette situation est prévisible et ne manque pas de dénonciateurs de ce risque, ni d’économistes conseilleurs des élites pour éviter d’en arriver là.

Les économistes les plus critiques du système capitaliste ne raisonnent pas en dehors du cadre existant. Ils demandent au gouvernement par exemple de séparer les banques de dépôt des banques d’affaire, de prendre des mesures qui augmentent la consommation pour diminuer la crise de ‘surproduction’, une meilleure répartition des richesses par une politique fiscale plus juste etc. De revenir en fait aux rapports de classes issus de la seconde guerre mondiale. Les plus audacieux mettent en scène autant de rapports sociaux harmonieux, en supposant que les précédents soient éradiqués, sans donner le processus pour y parvenir.

La dénonciation a pour but de mobiliser et détacher ceux qui ont encore des illusions sur le système capitaliste et sa gouvernance, mais cache une partie de ceux qui en vivent dans des instances réputées lutter pour la disparition du système.

Nous sommes dans une situation relativement précaire. Seuls quelques personnalités, des collectifs, planchent sur ce sujet en ce moment, bien que pratiquement, tous situent le fonctionnement de leurs solutions dans une perspective où le capital serait devenu policé, ou exproprié du pouvoir et du droit de propriété privé des moyens de production et d’échange, de la monnaie.

Par contre, il en est peu qui se préoccupent de proposer la voie de la transition vers le pouvoir. Pas la peine de la réclamer à ceux qui le détiennent de prendre les mesures qui les feraient sauter de la place. Il n’y a qu’E. Chouard qui s’efforce de donner des pistes à partir du RIC qui a été réclamé par le mouvement des G.J. Il suggère quelques mesures qui seraient à mettre en œuvre pour passer de la situation dans laquelle nous sommes, à celle où le peuple serait gouverné par lui-même, pour lui-même. Pour cet exemple, il n’est pas nécessaire d’attendre de quiconque l’élaboration des attendus du RIC, il doit être rédigé par ceux qui le veulent cf. :E. Chouard. (À partir de la minute 43.) Il explique entre autres très justement : on demande de sortir de l’UE, mais à qui le demandons-nous ? à ceux qui nous y ont plongés…

Sur le plan de l’action, les salariés, syndiqués ou gilets jaunes, font assaut de résistance par des grèves et des manifestations, avec l’espoir de déboucher sur un blocage du pays. Mais dans les conditions que nous connaissons, (trahison des dirigeants des partis et syndicats, crise de représentativité), une grève générale est très peu probable et quand bien même elle serait déclenchée, il n’existe aucune stratégie qui permette de passer du stade des revendications économiques, à la volonté consciente d’ôter le pouvoir des mains des capitalistes, sans a priori risquer le bain de sang. Il faut s’attendre à une situation analogue telle qu’elle a existé au sortir de la seconde guerre mondiale dont est issu le programme du CNR. Le bilan de ce vingtième siècle permet de dire qu’on peut faire mieux qu’un sous-produit de ce qu’il était possible de tenter.

La question n’est donc pas de se contenter des effets que les dénonciations produisent pour désolidariser de plus en plus de couches de la population du système capitaliste engagé dans sa course folle de la mondialisation. Ce qu’il faut résoudre, c’est munir la classe qui va se révolter d’une vision de son propre avenir et de l’aider à se doter au sein même des institutions bourgeoises de ses propres moyens pour y parvenir en appréhendant par elle-même la rédaction de la constitution, incluant la monnaie publique gérée démocratiquement, une nouvelle représentativité dans le but d’accoucher d’une nouvelle société, de rendre caduque à terme les rapports bourgeois de classe.

Bien que le dégagisme ait atteint les institutions elles-mêmes, par le non au referendum en 2005 contre l’UE et la quasi majorité de la population qui ne prend plus part aux consultations présidentielles et législatives, (Non inscription, abstention, vote nul ou blanc), l’illusion la plus mortelle serait de penser que la révolte des masses confinée dans ce cadre-là conduirait à plus ou moins long terme à la défaisance de l’état bourgeois.

Actuellement une grève générale pourrait être facilement récupérée et anéantie dans le cadre parlementaire, quel qu’en soit la participation. Il y aurait éventuellement des acquis économiques qui par ailleurs ne seraient que des miettes, mais pas de remise en cause du pouvoir.

Aussi longtemps que les masses n’auront pas pu se passer de ce type de consultation sur la base de la représentativité pyramidale, tous les appareils ramèneront les révoltes dans le creuset du parlementarisme pour les étouffer, les trahir.

C’est pour cette raison qu’il faut se doter d’un modèle de substitution au parlementarisme, le construire patiemment pour être ‘prêt à l’emploi’ et le mettre sur une voie de transition économique et politique.

Il faut cependant écarter la voie de la prise du pouvoir par l’insurrection via un parti, puisqu’on l’a vu, le parti confisque le pouvoir et aucun contrôle du mandat qui leur aura été confié ne pourra lui être opposé dans la mesure où il détiendra l’appareil d’état, l’armée, la justice etc.

Il faut donc élaborer un projet de construction d’une société qui repose sur des principes fondamentaux comme l’égalité de droit, la laïcité, la garantie des libertés individuelles et collectives, la mutualisation, la coopération sur l’ensemble de la production des biens et des services. La solidarité rendant obsolètes tous les produits dérivés servie par la monnaie en service public dans l’intérêt général. La démocratie directe et une combinaison des représentativités verticales et horizontales.

La nouvelle constitution doit permette à la population d’exercer son pouvoir sur un principe évolutif pour pouvoir modifier les résultats des décisions précédentes au fil des consultations. C’est la méthode scientifique des approximations successives par laquelle la population s’éduque dans une nation souveraine.

Cela signifie qu’il faut régler la question de la représentativité de telle sorte que la population conserve le pouvoir, de l’échelle locale jusqu’au niveau national. Que les libertés individuelles et collectives soient pérennes.

La réponse à cette question doit pouvoir s’inscrire dans la théorie de l’intelligence collective d’une part, et des expériences des réalisations passées, d’autre part.

Au niveau local

Tout ce qui se tient dans un espace holoptique, c’est-à-dire un rond-point, une salle de réunion, une section syndicale, un conseil municipal d’une petite commune permet de mettre en œuvre la démocratie directe, sans recourir à la délégation représentative dans un cadre hiérarchique pyramidal.

Ceci ouvre des perspectives d’organisation autonome, au sein même des institutions bourgeoises ou des syndicats ouvrant sur les comités de grève, les comités de quartier convergeant avec des regroupements de gilets jaunes.

Les tâches peuvent être accomplies au vu et au su de tout le monde et permet de contrôler facilement le mandat confié par rotation à un ‘’expert’ occasionnel, supprimant le statut de permanent. Le partage de l’information rend les acteurs interchangeables, dans la mesure où chacun a la connaissance des actions particulière et une vision d’ensemble.

L’autonomie suppose la mise en place d’une monnaie locale à caractère dégressif qui peut s’interconnecter avec d’autres communes (monnaie rouille etc.). (C’est un moyen qui permettrait à la population de ne pas être balayée dans la misère en cas de krach financier).

D’emblée, cela conduit à envisager que les regroupement type GJ présentent des listes démocratiques aux municipales dans les petites communes en ayant conscience d’avoir à déroger aux règles républicaines de représentativité. (Désobéissance civile)

Au niveau national

Les limites de la structuration locale interviennent dès que la taille géographique et le nombre ne peuvent plus être appréhendés par les participants. Pour passer au stade de l’intelligence globale, il faut recourir nécessairement à une répartition des démocraties horizontales et verticales.

C’est ce que n’ont pas su faire les GJs, ce qui les a laissés enfermés dans des manifestations exposées aux coups, dont le type de mobilisation relève d’une communication horizontale que procure les réseaux informatiques, mais ne permet pas de mutualiser les analyses pour proposer au niveau national un changement de société, alors que c’est ce que leurs aspirations impliquent.

La démocratie horizontale

Leur volonté justifiée de ne pas se choisir des délégués ou porte-paroles pour échapper à représentativité pyramidale et donc à la récupération par des organisations de tous poils, a conduit néanmoins au fait que ce sont les médias qui ont choisi et starisé des porte-paroles dont la notoriété pèse plus qu’il n’est reconnu. Cf. Jo Freeman – ‘La tyrannie de la démocratisation horizontale’, elle explique cela très bien.

L’autre limite, c’est qu’un projet de société ne peut pas être la somme de projets locaux, de la même manière qu’on ne fait pas un paquebot en juxtaposant des barques. Ce qu’il faut préserver, quand on passe du local au national, c’est, comme l’explique E. Chouard : « tant qu’on vote on exerce son pouvoir, dès qu’on le délègue on le cède ».

Pour y parvenir, il faut nécessairement passer par la démocratie pyramidale :

La démocratie pyramidale

Lorsque la démocratie horizontale n’est plus possible du fait du nombre et de la distance, la démocratie pyramidale s’impose, mais évidemment doit reposer sur d’autres critères que ceux qui ont été appliqués jusqu’à présent tels que ceux fondés sur la concurrence qui donne les clés à la bureaucratie. Son utilisation demeure nécessaire et possible, tout en incluant le respect de la démocratie horizontale.

Cette représentativité doit obéir à des règles qui conservent à l’échelle nationale la représentation du tout à chaque individu et le moyen collectif d’opérer des changements.

Par exemple tel délégué qui ne rend pas compte de son mandat ne permet pas à ses mandants de tirer le bilan et d’y apporter les corrections voulues. D’ailleurs, le retour d’expérience permettant aux masses de s’éduquer en procédant par approximations successives est trop long sur le temps des mandatures actuelles.

Lorsque délégation est donnée à un député pour cinq ans, sans la possibilité de lui imposer un mandat ni de le destituer, le retour d’expérience est confisqué ou trop long. Par conséquent, les seuls choix pour le citoyen consiste soit à changer de délégué, sans davantage de garantie que pour le précédent, soit de ne pas prendre part au vote, ou de voter par défaut. Ce sont les éléments qui finissent par conduire au salutaire dégagisme, mais par contre, qui n’offre pas de projet de remplacement. (C’est plus facile de réaliser l’unité contre que pour une proposition constructive)

Dans la période de transition, comme le pouvoir d’utiliser les bureaux de votes appartient à l’état, il convient et il est possible de recourir aux moyens informatiques. Cela doit même faire l’objet d’un appel aux experts en informatiques qui épousent la cause du RIC pour établir un site de consultation en réseau sécurisé par le procédé de ‘blockchain’. Les résultats seront opposables aux sondages institutionnels et feront monter en puissance leur influence dans l’opinion publique.

C’est une façon de se rendre indépendant à l’intérieur même des institutions bourgeoises et peser de plus en plus lourdement dans l’opinion publique, ce qui est le meilleur garant contre la violence de l’état. Ceci n’élude pas l’éventualité qu’il faille se défendre stratégiquement contre la violence de l’état bourgeois envers les masses. Cela fera l’objet d’un chapitre à part, mais il est crucial d’élaborer une transition qui évite le chaos dans lequel ce sont les chefs de guerre qui prennent le pas sur la démocratie.

Conclusion, la combinaison des deux modes d’élaboration au niveau local où la démocratie horizontale peut exercer et garantir la démocratie et passer par la délégation pyramidale à des ‘experts’ pour donner à l’ensemble des citoyens les tenants et les aboutissants de toute élaboration politique de tous niveaux et de les sanctionner les choix éclairés au niveau national par la démocratie horizontale qui est le vote que procurent les moyens informatiques.

Les forces motrices

Ce sont les syndicats et les gilets jaunes. Ils opèrent dans deux sphères, celles de la répartition des richesses. Les premiers à la source dans les entreprises, et les seconds par le biais des impôts.

Les syndicats (lutte de classes)

Fondés sur la défense des intérêts matériels et moraux des salariés, ils sont un puissant moyen de regroupement unitaire organisant au niveau de l’établissement toutes les catégories. Le syndicat au niveau local c’est le miroir de la classe au stade originel :’’ le syndicat, c’est nous sans intermédiaire’’, sans être la courroie de transmission de quelconque parti ou officine.

Par contre, à l’échelle nationale, ils doivent prendre en compte la pleine mesure de leurs fondamentaux, et en particulier l’abolition du système capitaliste.

Pour y parvenir, on doit retrouver les mêmes principes énoncés dans les démocraties horizontales et verticales, parce que les problèmes posés par la délégation de représentativité sont les mêmes.

Le rôle historique que joue le syndicat qui est nié par les bureaucraties procède du fait que les revendications particulières coïncident avec l’intérêt général. Pas seulement du point de vue des conventions collectives et du code du travail. L’exemple de la santé permet de comprendre qu’en défendant leurs conditions de travail et leur niveau de vie, les salariés des hôpitaux participent du niveau de la santé de la population, l’ONF le patrimoine, les enseignants le service public etc.

Au stade réactionnaire où est arrivé le système capitaliste, la lutte doit se focaliser sur sa fin.
L’exemple suivant suffit à montrer qu’aucune supplique, aussi juste soit la revendication, aucune grève se situant sur le terrain économique ne fera changer d’un iota la volonté des capitalistes de continuer à faire descendre les revenus de toutes les couches de la petite bourgeoisie jusqu’aux plus démunis : Concernant la Sécurité Sociale, son code prévoit par l’article L. 131-7 que l’état doit compenser intégralement les exonérations de cotisations, mais les baisses de prélèvements obligatoires décidées en lois financières pour 2019 ne donneront pas lieu à compensation. Au moment même où l’hôpital publique croule sous les dettes et éreinte tout le personnel, le gouvernement se fixe de baisser les ressources de la caisse et veut sous-financer les retraites.

Les obstacles à la centralisation des forces à l’échelle du pays sont en interne les bureaucraties et en externe les partis qui confisquent au syndicat son rôle politique.

Seuls les procédés énoncés plus haut de délégation de représentativité peuvent permettre de rétablir la confiance en nous-mêmes, les syndiqués et d’ouvrir au niveau national un rapport de force irrésistible à partir de la consultation à cette échelle.

La délégation verticale est nécessaire pour que les mobilisations qui s’opèrent au niveau local dans des réunions sanctionnées par des votes à main levée, soient analysées et rendues exploitables pour éclairer la prise de décision finale au niveau national.

Sans les obstacles bureaucratiques et de l’isolement, la dynamique des syndicats peut entraîner celle des gilets jaunes et réciproquement, qui ne peuvent que se retrouver sur le terrain qu’ils auront choisi pour mener en commun la même lutte unie pour le pouvoir parce que leurs règles de démocraties et leurs buts sont communs.

Les deux devant être reliés par la lutte pour le pouvoir sur des terrains apparemment différents sans laquelle ils restent prisonniers du parlementarisme.

Aussi longtemps que les masses n’auront pas pu se passer de ce type de consultation sous la forme de représentativité pyramidale, tous les appareils ramèneront les révoltes dans le creuset du parlementarisme pour les étouffer, les trahir.

Les expériences révolutionnaires qui ont contourné la représentativité parlementaire l’ont remplacée par les partis de gouvernement qui ont confisqué le pouvoir au peuple.

Le parlementarisme englobe le bonapartisme puisque tout procède du même type de délégation représentative verticale, que ce soit à un député ou à un président type cinquième république, y compris lorsqu’il se pare du vocable de gauche.

Le rôle et la puissance des médias n’a pas faibli, au contraire depuis sa conception par A. Thiers.

« La monarchie, n’est pas le meilleur régime contre le socialisme. Dans un gouvernement monarchiste, c’est la volonté d’un seul qui commande. C’est vulnérable. Les gens peuvent se soulever au nom de la liberté. Par contre, la république, c’est l’autorité et la force qui obtient l’obéissance consentie. Il faut substituer au mythe royal, le mythe du suffrage universel. C’est-à-dire le mythe de la volonté nationale. C’est un rempart extrêmement puissant, c’est la volonté nationale elle-même qui décide qu’il faut faire une république conservatrice. Quiconque se soulève contre un gouvernement républicain, se soulève contre la liberté qui s’est exprimée et qui règne par la vertu du suffrage universel. Donc on peut mobiliser toutes les forces nationales contre ceux qui prétendraient lutter contre un gouvernement démocratique.
J’en serai le maître, avec le centre gauche. »