Les départs se suivent à la France insoumise. Certains font du bruit comme celui de Djordje Kuzmanovic ou celui de François Cocq, d’autres un peu moins, comme celui de Charlotte Girard. Et beaucoup d’autres, moins connus. Le mouvement « gazeux » fuite. Le départ d’Olivier Tonneau qui publie à l’occasion un étonnant article dans Mediapart mérite d’être discuté. « Comment partir sans trahir ? » se demande l’ancien candidat de la FI pour les Français de l’étranger. Après un éloge vibrant de Jean-Luc Mélenchon, il soutient que son « autoritarisme » est nécessité par la situation politique dans laquelle nous sommes, qui exclut la possibilité de construire contre le pouvoir un mouvement démocratique. Pour sa part Tonneau, qui aime sa liberté, quitte donc LFI mais souhaite bon courage à ceux qui restent. Ce texte lamentable à tous égards et d’abord sur le plan moral (« la liberté pour moi, pour les autres, je crois qu’elle doit être mise entre parenthèses ») laisse le lecteur pantois. Le pire, c’est de voir quelques militants de LFI et parmi eux des militants que j’estime qui volent au secours de Tonneau. La démocratie dans LFI n’est pas possible, soutiennent-ils, compte-tenu des conditions actuelles du combat politique.
Cette argumentation d’Olivier Tonneau et de pas mal d’autres militants FI est la reprise du discours tenu par Mélenchon lui-même. Pas de démocratie dans LFI, dit-il à qui veut l’entendre, car la démocratie ce sont les débats d’orientation et les conflits de personne et tout cela débouche sur le fonctionnement du PS et la mort du « mouvement ». De toutes façons, il ne s’agit pas de créer une pensée commune, mais une action commune, quelle qu’elle soit, et tout le reste s’appelle « blablabla ». On est un peu étonné que quelqu’un qui condamne la Ve République comme anti-démocratique considère que la démocratie, c’est du « blablabla ». La délibération publique fondée sur le recours à l’argumentation est discréditée et rejetée par « l’Insoumis » qui appelle donc ses suivants à la soumission au chef. D’ailleurs pour lui, le seul parti possible, c’est le mouvement autour d’un chef charismatique dont les modèles lui ont été fourni en Amérique Latine : Peron (via Laclau), Castro, Chavez, etc. Mélenchon piétine donc allégrement toutes les meilleures traditions du mouvement ouvrier qui faisait de la démocratie interne l’apprentissage de l’exercice du pouvoir. Par contre, il ressuscite une vieille idée qui a un nom : stalinisme.
C’est en effet le stalinisme qui a imposé cette idée que le combat contre le capital supposait qu’on mette en veilleuse la démocratie, vis-à-vis des autres partis et à l’intérieur du parti. Dans le parti de Lénine, pourtant soumis à des conditions de lutte bien plus difficiles que LFI, la liberté de la discussion a été totale et des dirigeants bolchéviks pouvaient même exposer publiquement leurs divergences dans les circonstances dramatiques des semaines qui précèdent la révolution d’octobre. Mais c’est impossible aujourd’hui ! Mélenchon, c’est le retour de Staline… mais la deuxième fois c’est une farce. LFI est une farce de stalinisme. Voilà ce qui apparaît maintenant au grand jour.
Faisant partie de ceux qui ont soutenu la candidature présidentielle de Mélenchon, nous avions cru en une dynamique qui renverrait aux poubelles de l’histoire les côtés bonapartistes et narcissiques du personnage. C’était une erreur. Tenant enfin son hochet, Mélenchon fait tout pour ne pas le perdre – car LFI c’est Mélenchon, répète-t-il aussi. Il veut être à tout prix le premier dans son petit village gaulois quoi qu’il en coûte. D’où un fonctionnement qui reprend le pire de feu le « centralisme démocratique », non dans sa version originale mais dans sa version stalinienne imposée par les « bolchévisateurs » des années 20. Les responsables ne sont pas élus mais nommés et parfois « dé-nommés » suivant les désirs du chef suprême. Ainsi pour avoir critiqué le plus cinglé des députés LFI, l’animaliste Bastien Lachaud, le responsable de la commission des affaires agricoles a-t-il subi cette « dé-nomination ». Un tel fonctionnement est celui d’une secte et l’échec des européennes (échec que Mélenchon refuse presque de reconnaître) est le résultat de ce fonctionnement sectaire.
Il peut sembler curieux de voir d’anciens trotskystes (comme Mélenchon, Coquerel, Corbière, etc.) reprendre des arguments qu’ils ont combattus, leur jeunesse durant. Ce n’est pas tout à fait étonnant. Le système Mélenchon est une sorte de poupée russe dont le modèle est l’ex-OCI : le chef, le groupe des proches du chef, le parti de l’intérieur et le mouvement large, sachant que le dernier mot revient toujours au chef. La différence entre le groupe Lambert et le groupe Mélenchon réside en ceci qu’au moins les lambertistes avaient une vraie colonne vertébrale théorique et ne sont jamais tombés dans l’adulation de quelque militaire rebaptisé « socialiste bolivarien ». Le groupe Mélenchon, c’est donc le groupe Lambert avec tous ses défauts, mais aucun de ses avantages.
Il y a aussi une autre question qui explique ce retour des méthodes staliniennes – on pourrait aussi dire « trumpiennes » puisque quelques responsables et non des moindres se sont vu notifier leur exclusion par voie de tweet. LFI est un conglomérat sans la moindre consistance politique. Des sociaux-démocrates à l’ancienne, des républicains et des francs-maçons y côtoient des indigénistes, des « multiculturalistes », des amis de l’islamisme, des francs cinglés comme les « végans » et autres L214 et toutes les variétés de LGBTQ+. Et rien de tout cela ne peut constituer un quelconque parti puisque sur des questions essentielles, ces divers groupes s’opposent radicalement. Mélenchon qui vient d’une tradition laïque, républicaine et socialiste n’a évidemment que mépris pour les billevesées du marais gauchiste décomposé, mais « Paris vaut bien une messe » et il donne systématiquement raison aux pires (et au PIR) contre les laïcs comme on l’a vu lors de la dissolution du groupe Hébert et l’expulsion des plus laïcs comme Cocq. En vérité, Mélenchon, comme son maître Mitterrand qu’il continue de révérer, ne conçoit les idées que comme moyens de s’assurer du pouvoir et non pour leur valeur intrinsèque. Cultivant son image d’intellectuel et de penseur, il méprise royalement l’intellect et la pensée.
Au total, le stalinisme de LFI est la clé explicative de cet immense gâchis organisé par celui-là même qui avait fait lever l’espoir. Moralité : se souvenir qu’il n’est pas de sauveur suprême, ni Dieu, ni César, ni tribun ! Revenir aussi à ses cours élémentaires de philosophie et la critique des rhéteurs, menteurs et manipulateurs que conduit avec constance Platon.