Accueil > Actualité > Si j’avais un parti

Si j’avais un parti

mardi 25 juin 2019, par Denis COLLIN

« If I had a hammer » (1949) ça devient en français avec Claude François « Si j’avais un marteau / Je cognerais le jour / Je cognerais la nuit / J’y mettrais tout mon cœur / Je bâtirais une ferme / Une grange et une barrière / Et j’y mettrais mon père / Ma mère, mes frères et mes sœurs / Oh oh, ce serait le bonheur » (1963). Pourquoi ce vieux tube m’est-il revenu en tête ? Parce que je me demandais tout ce que nous pourrions faire si nous avions un parti. Car le problème est là et pas ailleurs.

Les nouveaux mouvements anti-partis se sont écroulés aussi vite qu’ils avaient grandi. En Italie, les « Cinque Stelle » ont perdu la moitié de leurs électeurs et ils ont été battus dans le Sud par leur partenaire et allié de la Lega. En Espagne, Podemos est réduit au rang du supplétif du PSOE. En France LFI avec un peu plus de 6% des suffrages a perdu les ¾ de ses électeurs. Internet, les réseaux sociaux, les adhésions sur un clic, cela peut marcher un moment et cela retombe aussi vite qu’un soufflé. Le capitalisme est une chose dure et résistante et pour l’abattre il faut quelque chose de dur et résistant comme il faut aussi un bon outil pour planter des pieux qui vont marquer les fondations de la nouvelle société. Donc il faut un marteau et pas un mouvement gazeux. Voilà ce que l’expérience vient rappeler brutalement et on ne peut rien construire sans entendre les leçons de l’expérience.

Pourquoi faut-il un parti ? Pour des raisons gramsciennes : nous avons en face de nous un vieux capitalisme aguerri et il ne s’écroulera pas en soufflant dessus comme la cabane de paille des trois petits cochons. Il ne s’écroulera par un bon coup électoral. Il faut renoncer définitivement à la guerre de mouvement et accepter jusqu’au bout la thèse gramscienne de la guerre de positions. Et en déduire les bonnes conclusions, c’est-à-dire construire les casemates du nouveau pouvoir, durablement, sur le terrain de l’ennemi. Un parti (comme un syndicat), c’est cela. Refuser de construire un parti, c’est refuser ce travail stratégique élémentaire.

Ensuite, il faut gagner l’hégémonie (encore Gramsci !) et cela ne se peut que par un travail d’éducation et le peuple s’éduquant lui-même, c’est le travail d’un parti. Le parti par la formation travaille à faire connaître les analyses scientifiques du mode de production capitaliste et les militants en débattent, se forment en en débattant. Ils élisent leurs responsables, les contrôlent, désignent leurs candidats aux élections. Bref, les sections locales sont les foyers de la démocratie ouvrière, les incubateurs de la puissance intellectuelle et pratique du peuple. La « philosophie de la praxis » en acte.

Gagner l’hégémonie, c’est construire une pensée commune, un « projet » commun, un objectif que tous peuvent partager et bien au-delà des adhérents du parti : par des actions sociales et culturelles, par des associations larges qui unissent les déjà convaincus et ceux qui ne le sont pas encore. Bref participer directement à la « régénération morale et nationale » du peuple et par là œuvrer à une transformation sociale en profondeur.

Certes, les partis ont des tonnes de défauts et comme la démocratie elle-même ils peuvent se transformer en bureaucraties et en oligarchies ; ils peuvent être corrompus comme la démocratie elle-même. Mais est-ce en raison de la corruption possible de la démocratie qu’il faut renoncer à la démocratie ? évidemment non ! Le seul moyen de lutter contre la corruption de la démocratie, c’est encore plus de démocratie, la transparence des finances et la lutte contre toutes les formes de népotisme. Il en va de même dans les partis. Et tout comme la république doit régulièrement être soumise à une opération de retour aux fondements (comme le préconisait Machiavel), le parti doit être régulièrement régénéré.

Le mépris professé ici et là à l’encore des batailles de textes et de motions est vraiment très mal venu. Les batailles de textes et de motions s’appellent tout simplement débat démocratie et il n’est pas d’autre moyen pour que le peuple s’éduque lui-même comme il s’éduque en apprenant à décrypter les projets de lois et les discours des dominants.

Comment lutter contre les dérives des partis ? En organisant le parti de bas en haut, en donnant la plus large autonomie aux sections locales, en refusant qu’un courant monopolise la direction du parti, en tenant des congrès réguliers et en garantissant la plus large liberté des tendances et des fractions. Rien de nouveau dans cela. Les recettes sont connues. Mais la principale est celle-ci : le parti doit être un parti de masse, pas un parti d’une élite autoproclamée. Quand on a plus de 7 millions de voix et 500.000 soutiens nominaux, on peut construire un parti d’au moins 100.000 membres, pour commencer. A condition de le vouloir et de ne pas casser les jambes à toutes les bonnes volontés et à condition de se mouler dans les structures nationales de la vie politique (les communes, les départements) et d’attirer tous ceux dont l’ambition pourra être mise au service de la cause commune.

On nous dira que ces choses-là n’ont plus cours, que la vie passe par les réseaux sociaux et qu’on ne trouvera plus personne pour faire les cages d’escalier et vendre le journal du parti le dimanche matin… Mais les « gilets jaunes » apportent un démenti cinglant à ce pessimisme branché. Les nouveaux moyens transmissions donnent plus de souplesse et de réactivité au mouvement, mais ce qui compte, c’est enfin de se rencontrer, de se rendre compte que le voisin a les mêmes problèmes que soi et que les pensées peuvent converger facilement pourvu qu’on y mette du sien.
Bref, si j’avais un parti, je pourrais transformer le monde.