Quarante ans d’histoire du FN-RN
Déjà en 1990 j’écrivais un article sur le FN dans la revue M Mensuel Marxisme Mouvement dont voici la conclusion :
« Je crois que nous ne remercierons jamais assez Le Pen pour les efforts d’intelligence auxquels il nous pousse. Efforts d’analyse des médias, de la démocratie, de l’identité et que sais-je encore ! Dans le cadre de tels efforts, “ce que vaut une ombre l’humoriste le sait bien”. Mais à ce jeu, il est vrai, Le Pen peut finir par gagner. Comme le disait un Italien après la défaite de son équipe au Mondial : ce n’est pas l’Argentine qui a gagné, mais l’Italie qui a perdu. »
Je cite l’Italie, car l’article pointait le passage éclairant de l’extrême droite italienne du MSI, à la Ligue du Nord.
Sauf qu’en quarante ans, les efforts d’intelligence ont été réduits, à gauche comme à droite (sauf chez Sarkozy !) et je ne l’écris pas pour célébrer les miens, ceux d’un simple citoyen, instituteur qui plus est, de la France profonde (vous allez le vérifier).
En 1984 double erreur d’analyse à gauche : le score du FN était sans lendemain quant au score du PCF il ne pouvait que remonter. La droite de son côté a pensé récupérer aisément cet électorat égaré.
L’électorat en question n’était ni éphémère ni récupérable par la droite. Pour éviter une telle erreur qui a persisté au-delà du pensable, il fallait analyser la mutation sociale mondiale née avec les années 80 reposant sur trois piliers : la mise en place d’un capitalisme féodal, la contre-révolution iranienne, la mutation capitaliste de la Chine et de la Russie. Le Pen n’a rien analysé, il s’est laissé porter par une vague qu’il rendait visible, mais que la gauche renvoyait aux poubelles de l’histoire d’un seul mot : « facho ».
Je ne vais pas ici rappeler 40 ans d’âneries de l’extrême gauche, du PCF ou du PS, et qui continuent de plus belle, pour nous confirmer la myopie d’une gauche ni conciliable ni réconciliable.
A titre anecdotique j’ai quitté le PCF en 1987 quand après la projection du débat Lajoinie-Le Pen j’y ai appris que Le Pen avait été lessivé, tout comme Manon Aubry a explosé dernièrement Bardella dans un autre débat télé. En 2011 dans un autre cas Mélenchon avait mis Le Pen K.O. ce qui permettait enfin de livrer les combats décisifs.
Oui la France, comme les USA d’ailleurs, a instruit le nazisme [1] et pas seulement entre 1940 et 1944. Mais à bien étudier la situation et le FN-RN nous ne sommes ni à l’heure d’une marche sur Rome ni à l’heure de l’incendie du Reichtag. C’est vrai la division des gauches a permis en Allemagne, à un parti de 33 % de s’emparer du pouvoir sans organiser ensuite la moindre élection et le souci d’union est en effet à retenir pour résister.
Mais dénoncer la réduction du FN-RN au retour du fascisme ne consiste pas à atténuer la dite lutte, mais à chercher le fascisme ailleurs !
Je le répète, il existe dans l’histoire de la société française et donc aujourd’hui encore des marques du fascisme, mais elles ne sont pas fondamentalement au FN-RN !
Dès 1990 je retenais l’idée que le succès du FN-RN (car pour moi dès ce moment là je n’avais aucun doute, ce parti allait poursuivre sa marche en avant au rythme de la marginalisation du PCF) nous imposait une analyse toujours plus minutieuse du fonctionnement des médias et bien sûr je renvoie là à l’œuvre de Guy Debord.
Le hasard m’a fait travailler pendant deux ans aux USA, mais pas dans une université quelconque, mais dans une école primaire d’un bayou louisianais qui pour des Étasuniens n’est pas… aux USA. J’ai été horrifié en découvrant, en 1974, la publicité coupant les films à la télé ! Je n’imaginais pas qu’en France, la première télé privée nous serait offerte par le président élu en 1981 (une des 101 proposition ?! A évoquer ce thème voilà que le RN inquiète les propriétaires des télés privées non parce qu’il veut les nationaliser, mais parce qu’il veut TOUT privatiser ! On se souvient que Sarkozy avait réduit la pub sur les chaînes publiques pour aider le privé…
Mais reprenons le fil de l’histoire.
D’autres avant moi ont démontré minutieusement que le fascisme actuel est islamiste [2] et voilà que le FN-RN se fait le champion de la lutte contre l’islamisme ! La question n’est pas ce que cache le FN-RN, mais ce que la gauche lui a offert pour un double bénéfice, dénaturer la gauche, et les objectifs qui étaient les siens.
Peut-on être à la fois contre le Hamas et contre l’extrême droite israélienne qui par son action rend le Hamas sympathique ? Rappelons que les autorités israéliennes ont préféré le Hamas à l’autorité palestinienne ! Les extrémismes s’épaulent toujours.
Le RN s’est emparé de la laïcité, mais ce qu’il défend n’est pas la laïcité. Etc.
Ce monde à l’envers cher à Eduardo Galeano [3] a été rendu possible, car le FN-RN s’est situé en permanence en dehors du face-à-face Gauche/Droite. Ce n’est pas là le fruit de son intelligence, mais la récupération classique d’une position d’extrême droite sauf que, là aussi, il lui a suffi de surfer sur la vague, pour prendre le vent de l’histoire. En 2017 ils ont été deux candidats à reprendre ce positionnement, Macron et Mélenchon. Macron au nom du centrisme, Mélenchon au nom de la détestation d’Hollande [mais en usant d’un sectarisme inutile]. Si bien qu’au second tour pour prendre position Mélenchon a interrogé ses soutiens qui révélèrent trois cas presque identiques en poids : voter Macron, voter blanc, s’abstenir.
Dans un duel gauche/droite le FN-RN n’a jamais eu besoin d’interroger ses membres : il n’a aucune consigne à donner [sauf de rares exceptions] et ses électeurs n’en font pas un fromage, certains votent à droite, d’autre à gauche et d’autres s’abstiennent.
Le face à face droite/gauche hérité de la révolution française est mis à mal depuis qu’en 1945 par le modèle politique des USA qui s’est imposé petit à petit en Europe. Pour l’anecdote quand en 1947 les USA soutenus par la social-démocratie française valide le pouvoir de Franco c’était la gauche ?
Il nous reste donc à être assez intelligents pour concevoir à partir de l’héritage de la gauche un dépassement du duo ancien. Sans cet effort, l’extrême droite mondiale occupera la scène avec l’aide d’aventurier du genre Macron. J’écris extrême droite faute d’un autre mot, car il me piège puisqu’il valide la référence à la droite et à la gauche. Le mot fascisme venu de Rome permettait de contourner l’obstacle voilà pourquoi je pense que le modèle politique italien mérite toute notre attention [et ça n’a rien à voir avec le nom italien du président du RN].
Alors en 2024 ce n’est pas le RN qui a gagné, mais la gauche qui a perdu et reprendre un terme héroïque de l’histoire ne fait que confirmer qu’elle vit sur son passé, incapable qu’elle est de fixer un avenir adapté aux temps actuels.
Oui, mais quoi proposer de plus concret que mes élucubrations ? J’aurais aimé écrire les paroles de la chanson d’Antoine pour faire l’histoire, mais ce n’est pas moi… ni Antoine d’ailleurs.
Jean-Paul Damaggio
P.S. 1 : J’ai cité trois sources parmi des dizaines [30 pour la seule histoire des 40 ans du FN-RN. Sujet auquel j’ai consacré un livre à partir du cas du Tarn-et-Garonne].
P.S. 2 : Le RN continue le FN en s’adaptant aux évolutions de la vague. L’adaptation est apparue en 2011. Dans une cantonale précédente le FN n’avait rien obtenu rien de plus au second tour. En 2011 la progression a été nette au second tour. Rappelons que le nom de Front s’expliquait par la diversité de cas rassemblés dans le FN [d’où l’idée permanente que l’explosion était au bout du chemin] alors que le Rassemblement signifie l’unification politique du parti.