Il ne fait pas de doute qu’un pouvoir légitime ne saurait être autre chose qu’un pouvoir issu du peuple car seul le peuple détient la souveraineté, et tout pouvoir en conséquence doit émaner de lui et de lui seul. Ceci est le principe fondamental de la théorie démocratique. Ni pouvoir de nature « divine » incarné dans un monarque de droit divin, ni pouvoir incarné par un monarque « constitutionnel », ni pouvoir oligarchique camouflant le règne d’une classe sociale, ni pouvoir dictatorial, qu’il soit civil ou militaire, ni pouvoir « présidentiel » dont la « constitution » n’est que la feuille de vigne de la dictature (Wilhelm Liebknecht), ni pouvoir « parlementaire » camouflé derrière un « suffrage universel » qui désigne des « gouvernants » dominant les « gouvernés » sous prétexte de « gouvernement représentatif ».
Tous ces régimes politiques dessaisissent le peuple de ses pouvoirs et le réduisent à des « votants » chargés seulement de déposer un bulletin de vote tous les cinq ou six ans dans l’urne funéraire de la « démocratie », en le renvoyant à un travail aliéné sur lequel il n’a pas plus de pouvoir, dans « l’entreprise » ou les organisations capitalistes.
On voit actuellement où nous mènent ces régimes, et particulièrement en France où un monarque « présidentiel » prétend nier le verdict du peuple et désigner un premier-ministre ne correspondant pas au choix souverain des électeurs. Qui sait ce que nous concocte le pouvoir macronien, avec la complicité active de tous les partis politiques bien ensevelis dans le système de la « cinquième république » et de la « démocratie représentative » ?
N’est-il pas temps de s’interroger sur ce que nous voulons pour l’avenir ?
Il y a une contradiction, bien étudiée par Marcel Gauchet, entre légitimité démocratique et incarnation du pouvoir. On a vu brièvement plus haut ce qui pour nous est la légitimité démocratique, on doit s’interroger sur la nature du pouvoir.
Le pouvoir n’est pas un phénomène magique et indéfini qui s’imposerait fatalement aux peuples. C’est la domination d’une classe sociale sur les autres, et notamment sur la principale : celle qui travaille, produit la plus-value et qui est l’objet de l’extorsion de cette plus-value. Cette classe est la classe travailleuse productive. Elle représente quelques 90 % de la force de travail nationale : ouvriers, employés, techniciens, cadres moyens, artisans, professions de service à la personne, commerçants, paysans, enseignants, chercheurs, fonctionnaires.
Les autres classes pareillement exploitées sont celles que la bourgeoisie espère conserver dans son giron, en la rémunérant mieux et en lui donnant l’illusion du partage du pouvoir, ce sont les catégories des « dominants dominés » : cadres de « confiance, » du secteur privé, professions intellectuelles « supérieures », haute fonction publique de commandement, elles représentent quelques 8 à 9 % de la population active. La bourgeoisie la maintient sous sa coupe en lui offrant les miettes du festin et il est à déplorer que ces couches sociales aient encore l’illusion de partager ce pouvoir.
Il reste 0,1 %, c’est l’aristocratie stato-financière (E Todd) qui concentre tous les pouvoirs stratégiques (économique, financier, militaire, culturel, idéologique, médiatique, symbolique).
C’est cette classe qui concentre le pouvoir, et notamment les 0,001 % qui sont aux postes de commandement (CAC 40, IGF-Inspection Générale des Finances qu’il faudra abolir- haute administration ministérielle, principaux postes politiques stratégiques, grandes banques, officiers supérieurs de l’armée, cardinaux de l’église catholique « zombie » - encore E. Todd- etc.).
Le pouvoir c’est l’action par laquelle la classe possédante s’emploie à « produire des effets voulus », et à maintenir « l’ordre social et politique » qui sert ses intérêts particuliers en non l’intérêt général de la société.
Mais ce pouvoir caché doit être dissimulé sous une incarnation, c’est le rôle des monarques héréditaires ou élus, des « présidents de la république » ou « du conseil » et de tout le « personnel politique » des « démocraties représentatives » bourgeoises.
La tâche qui se présente devant nous, c’est la liquidation de ces pseudo-démocraties, et l’instauration de véritables démocraties délibératives qui- elles - se passeront de l’incarnation.
La démocratie délibérative, sociale et politique, doit supprimer la confusion entre capacité de représenter (sous mandat impératif) et désir de commander (pour des raisons socio-politiques et/ou psychologiques).
Pour ce faire, il convient de prendre quelques mesures bien connues désormais par les politiques et dont le peuple doit s’emparer.
D’abord, le pouvoir doit être dans la citoyenneté collective et non dans l’individu privé (théorie fallacieuse de « l’individualisme méthodologique »), qui n’est rien moins qu’autonome. Les citoyens possèdent seuls l’égalité du droit à la parole et l’égalité d’exercer leurs droits politiques (iségoria et isonomia dans la Grèce ancienne). Ils possèdent seuls le droit de dire en public le fond de leur pensée, et le droit d’être écouté (Parrhésia). Ces droits s’expriment dans les Assemblées populaires avec l’intelligence collective c’est à dire avec la co-construction de la décision politique populaire.
Le corollaire est que le pouvoir doit être dans les Assemblées populaires et non dans l’Exécutif. Celui-ci -le gouvernement- doit être soumis à l’Assemblée Nationale par un contrat de législature qui vaut mandat impératif.
Ainsi, l’Exécutif n’a plus de pouvoir de commandement incontrôlé, il est soumis à son mandat et sous le contrôle des Assemblées (par ailleurs élues au suffrage universel direct, et à la représentation proportionnelle avec prime à la majorité). Il s’agit bien d’un « régime d’Assemblée » mais l’Assemblée est directement liée au peuple qui l’a élue sur mandat impératif (Le contrat de législature). L’Exécutif devra même être décentralisé dans les communes et les départements, afin de décongestionner le Léviathan bureaucratique national, sans le désarmer, car une démocratie délibérative a besoin d’un Etat stratège, notamment pour la planification économique et écologique.
Ensuite il ne saurait y avoir de démocratie délibérative sans vertu républicaine (Res Publica), et il ne peut y avoir de vertu républicaine sans déclaration des droits et des devoirs du Citoyen. Celle de 1789 devra donc être actualisée (en intégrant celle du 24 juin 1793, jamais appliquée), pour l’adapter à nos sociétés « modernes » et surtout à une société non capitaliste. C’est à dire à une société débarrassée de la domination d’une oligarchie bourgeoise prédatrice, apatride et mondialisée qui « se sent mieux à New York qu’à Amiens » (R. Glucksmann).
Enfin, il ne saurait être question que le suffrage universel direct puisse être remplacé par le tirage au sort de façon systématique. Les citoyens doivent délibérer dans leurs Assemblées (communales, départementales et nationale) et chacun doit compter pour un dans l’élaboration des mandats qui engageront tout élu. Il ne peut être question de mettre en place des « mini-peuples » artificiels pour dessaisir le peuple sous des apparences « démocratiques » , et encore moins pour élaborer une nouvelle constitution.
Ce qu’un peuple décide souverainement, il peut le défaire s’il le décide aussi souverainement.
Dans l’Athènes démocratique du Ve siècle avant notre ère, l’Assemblée prenait ses lois en précisant : « il est apparu au peuple que ... », ce qui signifiait que la loi pouvait être modifiée quand le peuple le décidait (Christophe Pébarthe). Qui peut prétendre que ce que 6 à 12000 citoyens faisaient sur la Pnyx au cinquième siècle avant notre ère et sans les moyens dont nous disposons aujourd’hui, est impossible et « utopique » en 2024 ?
Ce type de démocratie, la démocratie délibérative, est le seul capable de supprimer l’incarnation arbitraire du pouvoir et de faire triompher la seule incarnation acceptable en démocratie : celle du peuple. Car seule la décision politique prise en délibération « par le plus grand nombre » est légitime.
Jean-Michel Toulouse
15 juillet 2024