Bruno Le Maire, ministre démissionnaire de l’économie, a fait savoir le 31 juillet qu’il transmettra à Gabriel Attal, avant la fin de cette semaine, les « lettres plafonds » fixant le montant des crédits accordés à chaque ministères.
Ces « lettres plafonds » prennent place dans la procédure budgétaire habituelle qui commence par des négociations entre les ministères et la direction du budget, dès le mois de février de chaque année. Ensuite, la direction du budget rédige ses propositions et le ministre du budget les soumet à la signature du Premier ministre, sous la forme de lettres destinées à chaque ministre, au début de l’été.
Il s’agit là de la procédure ordinaire, suivie par un gouvernement installé, disposant d’une majorité à l’Assemblée nationale, pas d’un gouvernement démissionnaire.
La détermination du montant des dépenses de l’État ne relève pas des affaires courantes.
Sous la 4e République le concept « d’affaires courantes » était défini par la Constitution, qui fixait les limites de l’action d’un gouvernement démissionnaire, restreinte aux mesures permettant d’assurer la continuité de l’État, aux actes nécessaires au fonctionnement quotidien de l’administration et à l’exécution de décisions prises avant la démission du gouvernement. Mais elles ne comprennent pas les mesures engageant l’avenir.
Le Conseil d’État a annulé un décret pris par un gouvernement démissionnaire qui dépassait ces limites, en 1952. Depuis les débuts de la 5e République, la question ne s’est pas vraiment posée, dans la mesure ou les gouvernements démissionnaires n’ont jamais eu une longue existence.
Bruno Lemaire ne s’embarrasse pas de ces contraintes. Il veut s’en tenir au calendrier habituel d’élaboration du budget. Et il avertit qu’il proposera des baisses significatives des dépenses publiques, afin de respecter la trajectoire budgétaire présentée à la Commission européenne.
Le ministre démissionnaire de l’économie promet des économies chiffrées en milliards d’euros et le respect de l’engagement d’être en dessous des 3% de déficit en 2027.
On dit souvent que la discussion budgétaire constitue un moment essentiel de la vie parlementaire et une délibération politique majeure. Dans les faits, c’est assez exagéré. Le projet présenté chaque année par le gouvernement reste inchangé dans ses grandes masses et les amendements apportés par les parlementaires ne le modifient que très marginalement. L’annulation de 10 milliards de crédits par voie réglementaire, dès le mois de janvier 2024, était bien supérieure aux modifications qui avaient pu être apportées au cours du débat budgétaire (cf. mon article dans AOC du 13 mars 2024). Cela traduit l’état de subordination du Parlement à l’exécutif depuis le début de la 5e République.
Il n’en demeure pas moins que notre constitution confie au Parlement la responsabilité de définir les recettes et les dépenses de l’état et non au bon plaisir du pouvoir exécutif.
Manifestement cela semble avoir échappé à Bruno Le Maire.
Ce qui est plus étonnant, c’est que cela semble avoir échappé également à Éric Coquerel, député « La France Insoumise » et président de la commission des finances de l’Assemblée nationale. Selon le journal « Les Echos » du premier août, il aurait déclaré : « Cela ne me choque pas vraiment (il s’agit de l’annonce par Bruno Le Maire de l’envoi des lettres plafonds). Si rien ne sort la deuxième quinzaine d’août, la présentation du budget en octobre sera menacée. »
Ils sont d’accord tous les deux pour dire que le principal est de respecter le calendrier budgétaire des temps normaux. Peu importe que le pays n’ait pas de gouvernement, que personne ne sache comment une majorité pourra se constituer à l’Assemblée nationale pour voter un budget quel qu’il soit. Il faut faire comme on a toujours fait.
Cela veut-il dire qu’Éric Coquerel ne croit pas une minute à la possibilité d’un gouvernement dirigé par Lucie Castets, au nom du Nouveau Front Populaire (NFP) ? Ses propos semblent l’indiquer, car si un tel gouvernement devait advenir, il faudrait plusieurs semaines à la nouvelle administration pour présenter un projet de budget différent de celui qui a été préparé par Bruno Le Maire, sauf à penser qu’il reprendrait à son compte les propositions faites par la direction du budget sous l’autorité du gouvernement d’Emmanuel Macron et de ses gouvernements.
Le week-end dernier a d’ailleurs montré l’importance du travail à réaliser. Lucie Castets a fait une proposition de réforme fiscale : faire payer aux Français expatriés leurs impôts comme s’ils vivaient en France, à la manière des États-Unis. Cette proposition, au demeurant sympathique (qui le serait encore plus si elle concernait aussi les entreprises multinationales), a suscité la réaction suivante du président LFI de la commission des finances, E Coquerel : « J’ai produit un rapport parlementaire avec Jean-Paul Mattei sur le sujet en 2019. La conclusion est que ce sera inapplicable. »
Manifestement, il faudrait que les partis du NFP qui ont propulsé Lucie Castets sur la scène publique, travaillent plus étroitement avec elle pour éviter ce genre de couacs. Il est vrai qu’ils ne portent guère à conséquences aussi longtemps que sa nomination à Matignon reste une éventualité sur laquelle ne semblent pas tabler les principaux responsables du parti de Jean-Luc Mélenchon.
On peut se demander ce que cherche Bruno Le Maire en se livrant à cette provocation. S’agit-il d’obliger Gabriel Attal, à la fois Premier ministre démissionnaire et président du groupe macronistes à l’Assemblée nationale, à sortir de l’ambiguïté et à prendre position sur des arbitrages budgétaires qu’il préférerait laisser à son successeur ? Pense-t-il contribuer ainsi à l’accélération du regroupement de la droite et des macronistes qui partagent en réalité ses orientations budgétaires ? Laissons E. Macron et ses soutiens répondre.
Mais le Nouveau Front Populaire, s’il souhaite vraiment gouverner le pays, devrait, à la différence d’Éric Coquerel, être choqué par les déclarations de Bruno Le Maire et mener clairement campagne contre la signature et l’envoi de lettres fixant aux ministre des orientations budgétaires pour 2025, par un gouvernement démissionnaire, juridiquement et politiquement illégitime pour engager l’avenir des finances publiques du pays.
1er août 2024
Jean-François Collin