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BDS, Israël, antisionisme, antisémitisme et autres questions embrouillées

samedi 7 avril 2018, par Denis COLLIN

Il est tout à fait clair que nous avons affaire, aujourd’hui, à un regain assez marqué de l’antisémitisme, non pas tant dans l’ensemble de la population de ce pays que dans certaines fractions, principalement chez les musulmans et particulièrement les plus jeunes dont la « radicalisation » ne cesse d’inquiéter, à juste titre. L’assassinat de Mireille Knoll, rescapée de la rafle du Vel d’hiv, en est un exemple particulièrement odieux, faisant suite à l’assassinat de Sarah Halimi, le 4 avril 2017. Ces deux « faits d’hiver » ont mis en lumière l’insécurité croissante des Juifs en France. Un nombre non négligeable de familles juives ont déjà quitté leur pays pour émigrer en Israël ou aux États-Unis, d’autres ont quitté leurs quartiers, particulièrement dans la banlieue parisienne, parce que la situation devenait très pénible, notamment pour les élèves juifs. Des élèves juifs sont aussi inscrits dans les écoles privées parce qu’ils sont en butte aux quolibets, injures, menaces et parfois des coups de la part des petits apprentis nazis qui se parent maintenant non de la chemise brune mais de la chemise verte islamique. C’est vraiment une situation très inquiétante et que toute une partie de la « gauche » même la plus radicale n’accorde pas à ces faits l’intérêts qu’ils méritent ou diluent le problème en éviter de dire d’où vient exactement cet antisémitisme ne fait que souligner combien cette « gauche » s’est perdue elle-même.

Comme dans toutes les crises, il y a toutes sortes de spécialistes de l’exploitation du malheur. Et parmi ceux-ci le CRIF, qui n’a de « représentatif » des Juifs français que l’adjectif, mais est devenu depuis déjà pas mal de temps une officine de propagande non pas pour Israël mais pour la politique de la colonisation, se faisant le défenseur inconditionnel de ce politicien corrompu qu’est Netanyahu, appuyé sur les plus extrémistes, les plus racistes qui ne cachent pas leur désir d’une « solution finale » contre les Palestiniens et se sont donné l’objectif d’un « Grand Israël », ce qui ne pourrait se réaliser qu’on expulsant la population non juive de la région. Ces courants-là existent depuis longtemps. Les fondateurs de l’État d’Israël tenaient le Likoud pour un parti fasciste. En France, la LDJ, ce groupuscule qui agressé Mélenchon lors de la « marche blanche » est non seulement fasciste mais franchement raciste – il mène toute une propagande contre les « mariages mixtes » qui sont une déperdition du « sang juif » – le vocabulaire est celui des nazis.

Que la plus grande partie de la classe politique française cotise au CRIF en se précipitant à son coûteux banquet annuel, cela ne signifie que les dirigeants français sont des amis des Juifs, mais qu’ils sont des petits toutous des États-Unis, des pousse-au-crime pour aggraver le chaos dans cette région, comme ils le font systématiquement depuis trois décennies. Dans cette politique insensée des dirigeants « occidentaux » en général et Français en particulier, les antisémites trouvent évidemment des arguments pour s’en prendre aux Juifs en général. Consciemment ou non, les crétins du CRIF jettent de l’huile sur le feu et propagent à leur manière la peste antisémite parce qu’ils croient qu’elle alimentera en réaction la colonisation en Israël.

Cette politique est une pure folie, du point de vue même des intérêts d’Israël. Il y a actuellement un peu plus de 14 millions de Juifs dans le monde dont 6,5 millions en Israël. Leur « Grand Israël » raciste anti-arabe et antimusulman ne serait qu’une forteresse assiégée, condamnée à brève échéance tout simplement par la démographie … ou un retournement des USA qui n’hésiteront pas à sacrifier les Juifs si leurs intérêts l’exigent. Ce que je dis ici, nombre d’Israéliens le disent aussi, notamment les mouvements pacifistes et les journaux comme Haaretz, et pas seulement les mouvements juifs antisionistes (car il y a aussi des Juifs antisionistes en Israël).

Le pire, peut-être, c’est que le Likoud et tous les faucons sont aujourd’hui engagés dans une alliance stratégique avec l’Arabie Saoudite, c’est-à-dire avec le pays qui a promu, à coups de milliards de pétrodollars le pire antisémitisme dans tout le monde musulman. Ce n’est pas tout à fait nouveau, car on sait que le Hamas est, à l’origine, une « joint venture » entre le Mossad et l’Arabie Saoudite en vue de dézinguer l’OLP… Le nouvel homme fort d’Arabie Saoudite, Mohammed Ben Salmane (MBS !), a reconnu le droit à l’existence d’Israël qui en retour le soutient ardemment dans sa lutte contre l’Iran. Netanyahu est aujourd’hui l’un des principaux promoteurs d’une guerre entre sunnites et chiites, ce que, semble-t-il, Trump ne verrait pas d’un mauvais œil. Les « institutions juives » de France devraient jouer un rôle dans la lutte contre cette politique, en promouvant la cause d’une paix juste dans des frontières sûres et reconnues au lieu d’apporter leur pierre à destruction de la culture et l’identité spirituelle juives.

Disons un mot sur la question du sionisme. Le sionisme est un mouvement national, né au XIXe siècle, dans tout le courant des mouvements nationaux – le printemps des peuples de 1848 – qui ont mené à la désagrégation des empires, celui de Habsbourg d’abord, celui de Russie et aussi l’empire ottoman. L’idée d’un foyer national juif ne recueillait pas, loin de là, l’assentiment de tous les Juifs d’Europe. Le principal parti ouvrier « marxiste » juif, le Bund, était hostile au sionisme et revendiquait seulement l’égalité et l’autonomie culturelle des Juifs. Rappelons que c’est ce parti qui a fourni les cadres de la résistance juive face au nazisme et ce sont ses militants qui ont organisé l’héroïque insurrection du ghetto de Varsovie. L’impérialisme anglais, selon sa stratégie de division pour mieux régner en opposant les opprimés les uns aux autres, s’était déclaré favorable à ce projet avec la déclaration Balfour de 1917. La destruction des Juifs d’Europe par les nazis a fait balancer le cours de l’histoire en faveur du projet sionisme. Les « bundistes » rescapés ont eu du mal (à quelques exceptions près) à rester en Europe. Beaucoup de socialistes juifs ont vu dans ce nouveau pays l’occasion de construire un socialisme original, sur la base des kibboutz, oubliant qu’il y avait déjà sur place un peuple, ces Palestiniens qui, ironie cruelle, sont peut-être pour l’essentiel les descendants des Hébreux d’avant la destruction du Temple !

On devrait maintenant laisser la question d’Israël et du sionisme aux historiens. Du reste, de nombreux historiens israéliens étudient sans complaisance la naissance et la violence de cette grande catastrophe qu’ont vécue les Palestiniens. Israël est un fait et sa naissance, au total, n’est ni plus ni moins illégitime que celle des autres nations où la violence, l’injustice faite aux peuples indigènes et les massacres ne manquent pas. Personne ne demande la destruction des États-Unis alors que cet État purement colonial s’est créé sur le génocide des Américains natifs ! Même chose pour l’Australie, le Canada, et ainsi de suite. Rappelons aussi que les États arabes sont des vestiges de la colonisation arabe en Afrique du Nord, au Levant, etc. et la conversion des habitants de ces contrées s’est faite dans le sang. Le temps fait son œuvre et fait oublier les origines. Il n’y a donc plus aucune raison d’être antisioniste et pas plus d’être sioniste. Le problème réel, c’est le droit des Palestiniens à avoir, eux aussi, un État, et pour les Israéliens la laïcisation de l’État d’Israël.

Je termine avec BDS (Boycott, Désinvestissement, Sanctions). Ce mouvement se fixe pour objectif un boycott d’Israël pour défendre les droits des Palestiniens. Il est soutenu d’ailleurs par une petite minorité de citoyens juifs israéliens, lesquels peuvent le faire publiquement sans être illico jetés ne prison… Le modèle est celui du boycott de l’Afrique du Sud du temps l’apartheid, un mouvement qui a contribué à la chute de ce régime avec la libération de Mandela. Mais la situation d’Israël n’a rien à voir l’Afrique du Sud, même si on peut trouver des ressemblances entre les territoires « peau de léopard » de l’entité palestinienne et les bantoustans. On peut craindre que derrière BDS, au-delà des bonnes intentions affichées se cachent des motivations moins avouables. Car pourquoi ne pas lancer un BDS contre la Turquie, contre la Chine (qui s’y connait aussi en brimades contre ses minorités) … ou contre les USA. Ce traitement spécial réservé à Israël à bien quelque chose d’étrange.