Plus qu’un service public, l’éducation nationale est une institution républicaine, par laquelle l’idée même de république s’est consolidée dans le pays. Héritière des Lumières et de la volonté d’abolir les privilèges sous la Révolution française, l’école républicaine existe depuis près de 150 ans dans notre pays à la fois comme instruction, car elle permet à tous de développer sa raison et son esprit critique, et comme éducation, car elle permet de former chacun au cadre républicain commun, celui de la citoyenneté et d’une société des égaux. Faire de chaque élève un citoyen éclairé est la mission de l’école républicaine.
Dans cette perspective, l’école (de la maternelle à l’université) a trois fonctions :
1) donner à chacun accès aux savoirs, aux valeurs et à la culture de son pays, bref de développer toutes les facultés qui sont en chacun pour développer son existence dans un cadre collectif ;
2) comprendre les principes politiques et moraux qui régissent la vie commune et agir en citoyen éclairé, capable de faire preuve d’esprit critique ;
3) permettre à chacun de préparer son avenir pour vivre, autant que possible, de l’exercice du métier de son choix.
L’école doit donc transmettre 1) des outils pour penser et ne pas être soumis à la pensée des autres ; 2) une culture : l’idéal de la culture humaniste ; 3) des qualifications fondées sur la mesure de savoirs objectifs.
On peut ainsi en distinguer aisément les trois cycles :
Primaire : savoir lire, écrire, compter, calculer, être instruit des rudiments d’histoire et de géographie.
Secondaire : la transmission des humanités, c’est-à-dire des langues étrangères, des langues anciennes, de la culture littéraire, artistique, historique, philosophique, et des principes fondamentaux des mathématiques et des sciences naturelles.
La dernière phase de la vie scolaire est celle de la préparation à la vie professionnelle, aussi bien de la formation aux métiers manuels qu’à celle des activités intellectuelles les plus élaborées comme la recherche.
La dernière phase est par nature diversifiée et peut faire une large place à l’apprentissage sous contrôle de la puissance publique tant en ce qui concerne la condition sociale des apprentis que les contenus pratiques enseignés. De même, l’enseignement secondaire pourrait emprunter des filières diversifiées en fonction des appétences et des capacités des élèves, l’essentiel résidant dans les passerelles ouvertes entre ces filières.
Une école qui instruit n’est possible que si elle place en son centre non pas l’élève, ni d’ailleurs le professeur, mais le savoir objectif transmis. Cela suppose qu’on en finisse avec l’idée d’une école « ludique », qui favorise la reproduction des inégalités et de l’ordre social existant. L’école transmet non seulement des savoirs mais aussi le sens de l’effort, l’humilité nécessaire pour apprendre et penser par soi-même. Elle ne cherche pas « l’employabilité » ou la gestion socialement utile des compétences, elle cherche à former des individus capables de vivre dans le cadre social et républicain, tout en disposant des savoirs théoriques et pratiques pour ne pas être sous domination sociale et intellectuelle des autres, et continuer à s’informer, à débattre et à apprendre par soi-même, de manière autonome, comme avec les autres.
L’école ne peut pas promettre à tous de devenir chefs d’entreprise, avocats d’affaires internationaux ou polytechniciens. La division technique et sociale du travail s’impose à l’école et ce n’est pas à l’école de changer la société. En revanche, l’école peut transmettre des qualifications, la possibilité de reprendre plus tard ses études et des outils intellectuels pour se défendre. Aucune société ne peut se passer d’ouvriers mais si l’école produit des ouvriers instruits, elle aura accompli sa tâche.
Là encore il y a urgence. Les réformes successives qui ont été imposées à l’école, au collège pour arriver au lycée, les réformes de l’enseignement supérieur vont à l’opposé des objectifs que nous dégageons ici. Un grand nettoyage s’impose qui remette en cause tous les effets nocifs de ces réformes successives. Toutes s’inscrivent en effet dans la trajectoire indiquée par l’OCDE dès la fin des années 90, et par l’Union Européenne dans la foulée : modifier l’école et l’enseignement pour le plus grand nombre destiné à des « petits boulots » (que les experts de l’OCDE sur la base d’un rapport issu des USA listent sans vergogne, « vendeurs », « gardiennage », « agents d’entretien », « assistants sanitaires », « conducteurs de camions », « remplisseurs de distributeurs de boissons ou d’aliments »), prôner « l’adaptation au marché de l’emploi et à sa précarité », promouvoir « la formation sur le tas » ou encore « l’adaptabilité de la main d’œuvre », faire ainsi des économies substantielles et développer les compétences du petit nombre (notamment dans des formations privées) qui sera chargé d’encadrer et de faire marcher au pas les plus nombreux ! Cela est explicitement écrit par le Centre de développement de l’OCDE – cahier de politique économique n°13-1996 : « Si l’on diminue les dépenses de fonctionnement, il faut veiller à ne pas diminuer la quantité de service, quitte à ce que la qualité baisse. On peut réduire, par exemple, les crédits de fonctionnement aux écoles ou aux universités, mais il serait dangereux de restreindre le nombre d’élèves ou d’étudiants. Les familles réagiront violemment à un refus d’inscription de leurs enfants, mais non à une baisse graduelle de la qualité de l’enseignement. » Ce programme se réalise graduellement à travers toutes les réformes de l’éducation et de la formation des enseignants.
Remettre l’éducation et l’instruction publique à leur place centrale et prioritaire : c’est nécessaire, c’est possible. Il suffit de le décider pour le faire !