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Joffrin et « Sarko le Libyen »

mercredi 21 mars 2018, par Jacques COTTA

Dans un papier intitulé « Sarko le Libyen », Laurent Joffrin se félicite de la mise en garde à vue de l’ancien président Nicolas Sarkozy, évoquant « des documents compromettants, des accusations proférées par une escouade d’intermédiaires douteux » et « des confessions pleines de ressentiments d’anciens dignitaires de Kadhafi », « des soupçons légitimes ». Mais les démêlées judiciaires de l’ancien président de la République ne sont que prétexte pour le directeur de la rédaction de Libération. Le titre de son billet d’humeur est trompeur. « L’intégrité journalistique, la preuve par Sarkozy » aurait mieux illustré son propos et ses préoccupations. Les français dans leur grande majorité ne font pas confiance à la presse, et ils auraient tort. N’est-ce pas dans cette histoire, comme dans celle de Cahuzac, « l’opiniâtreté de Mediapart suivi par une partie de la presse dont Libé » qui serait à l’origine de l’infortune de l’ancien président ? La preuve donc qu’il n’existe aucun « parti médiatique » au service d’une « oligarchie », thème favori des « populistes en général ».

Laurent Joffrin a raison sur un point. Traiter les journalistes comme une totalité uniforme est une erreur. Certains sont attachés à leur métier et aux règles qui le définissent. D’autres sont plus en prise aux intérêts généraux du média qu’ils dirigent, en relation avec les centres de pouvoir administratifs et financiers. Derrière l’argument Sarkozy ou Cahuzac, ce que Joffrin indique entre les lignes, sans le dire clairement, c’est qu’il nous faudrait croire que les intérêts des propriétaires de presse sont étrangers à la conduite de l’entreprise qui leur appartient. Pourtant à regarder les grandes échéances, et non seulement les ambulances sur lesquelles tirer rapporte pour se redorer la pilule, le bilan est assez criant.

Le président Macron qui fait du zèle dans l’application de son programme, cassant allègrement ce que des générations ont mis des décennies à arracher, à bâtir, à conquérir, est le fait, d’abord et avant tout, du président d’intérêts bien définis, défendus dans les conseils d’administrations, dans les banques dont il est issu, dans l’union européenne dont il applique les directives avec gourmandise. Les propriétaires des médias -dont Libé- qui ne peuvent être confondus avec l’ensemble des journalistes, font partie de cette sphère où se côtoient les grands propriétaires, les grandes fortunes, les grands capitalistes. Possédant la finance, les relais économiques et politiques, les médias, ils sont l’oligarchie. C’est cela que Joffrin cherche d’abord à passer sous silence derrière les turpitudes sarkozystes.

Il n’y aurait pas de « pensée unique », dénoncée par les « démagogues » ou « idéologues », pas plus de « connivence qui relierait les médias et la classe politique ou capitalistique » puisque « élus indélicats ou PDG fautifs doivent en permanence redouter le travail de la presse », nous dit le patron de la rédaction de Libé. Nous savons qu’un évènement est censé souvent chasser le précédent à la vitesse de la lumière, mais tout de même ! Faut-il vraiment faire preuve d’une mémoire à toute épreuve pour se remémorer les grands épisodes qui ont marqué notre histoire récente, ou plutôt d’une amnésie coupable pour les éviter au détour d’une phrase ou d’un raisonnement partisan ? Le référendum de 2005 -date éloignée à l’échelle d’une vie mais très récente pour ses conséquences quotidiennes- est un cas d’école. La façon dont toute la presse sur ordre de ses possédants, relayés par les petits chefs en place au sein des rédactions, a milité hors de toute considération journalistique pour faire passer le « projet constitutionnel européen », dénaturant les propos des partisans du NON, les insultant, les dénigrant, les calomniant, nous ramène à une réalité que Laurent Joffrin gomme bien vite derrière la garde à vue de Sarkozy. Et une fois encore, la façon dont le président actuel, ignoré des français deux ans seulement avant son élection, s’est retrouvé sous les feux de la rampe médiatique, sans raison, sinon celle de le faire élire, vient nous rappeler un fonctionnement médiatique pour le moins orienté…

Laurent Joffrin en appelle à la démocratie pour expliquer le cours des évènements. Il s’en fait défenseur et a bien raison. Mais de là à nier au nom de ses valeurs « le pouvoir de la classe dirigeante, des multinationales, des puissants en général » et leur capacité à « miner, pervertir, annuler au bout du compte, les institutions chargées de lutter contre la corruption et d’assurer le respect des lois, y compris par ceux d’en haut », il y a un pas que le patron de la rédaction de Libé franchit allègrement. Qu’il y ait en effet des résistances -et donc des résistants- dans les institutions de notre démocratie pour faire un travail difficile et minutieux, c’est un fait. C’est d’ailleurs ce qui permet à notre démocratie de vivre, de survivre. Mais que ce travail se fasse toujours contre des pressions venant « d’en haut », au risque d’une carrière, d’un métier, ou d’un placard, c’en est un autre que chaque intervenant constate et souvent dénonce. Les résistances n’enlèvent rien aux velléités des puissants pour cacher, dénaturer, truquer la réalité. Cela dans le monde judiciaire, policier, comme dans la sphère journalistique. Tout dépend comment on se définit soi-même et les responsabilités qu’on est prêt à prendre, dans un sens ou dans l’autre.

Les tirades qui mettent les populistes à toutes les sauces, oubliant d’ailleurs par là-même que le populisme est d’abord une référence au peuple, ne peuvent rien changer à l’affaire. La lutte des classes n’épargne personne, ni aucun milieu.

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