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Il m’est arrivé d’entendre des illusionnistes...

mercredi 11 mars 2020, par Jean-Paul DAMAGGIO

Il m’est arrivé d’entendre des illusionnistes savants expliquer que la Révolution n’avait pas eu lieu puisque avant il y avait des paroisses et qu’ensuite, sur le même territoire, il y avait des communes. Or il ne s’agissait pas seulement d’un changement de nom mais du passage d’une entité religieuse à une entité politique (l’état civil par exemple change de main) ce qui explique que les premières élections municipales de l’histoire en février 1790 eurent une grande importance.

Celles de Montauban produisirent un événement national car elles furent le modèle définitif de la contre-révolution en pays démocratisé (1). Les Royalistes avaient gagné la mairie en février et souhaitaient organiser leur propre force militaire contre celle de la garde nationale aux mains des révolutionnaires. La situation locale faisait que l’aristocratie pouvait bénéficier de l’appui du peuple catholique constitué pour une très grande part d’ouvriers du textile… leurs patrons protestants étant la partie avancée de la Révolution et les maîtres de la garde nationale.

Une manifestation populaire vola au secours d’une municipalité aristocrate, contre l’idée classique que toute manifestation du peuple ne pouvait aller que dans le sens de la Révolution. Or, il n’y a jamais eu aucun automatisme entre situation sociologique et engagement politique. Par la suite, des artisans qui étaient la voix des ouvriers, ayant pris conscience de la manipulation du maire aristocrate, furent les maîtres du comité de surveillance face à une municipalité bourgeoise où Jeanbon Saint-André joua un grand rôle.

Par la suite même sous régime censitaire les autorités centrales se méfièrent des élections municipales en décidant elles-mêmes de la nomination du maire.
La Révolution de 1830 imposa une petite modification : le pouvoir devait choisir le maire parmi les élus.
La Révolution de 1848 est devenue le vecteur de la politisation de la société masculine avec, d’une part le suffrage accordé à tous les hommes, et d’autre part l’instauration de vraies élections municipales.
Les cafés, cabarets, auberges et autres lieux de sociabilité se changèrent en lieu politique, les uns étant du côté de la gauche, les autres du côté de la droite.
Le Second empire ne s’y trompa pas en décidant de revenir à la situation d’avant 1830. Contrôler le pays passait par le contrôle des mairies.
Finalement la Troisième République deviendra la République en permettant enfin la tenue d’élections municipales authentiques, mais il faudra pour ça attendre les lois républicaines de 1880. Et, même bien après, les préfets savaient utiliser des magouilles pour soutenir leurs amis, comme le sectionnement des communes.
Avec le 20ème siècle, les élections municipales « fabriqueront » le parti radical d’où ses multiples formes suivant sa géographie. De plus en plus, dans la moindre petite commune, chaque élections verra s’affronter les rouges et les blancs avec en point d’orgue l’élection municipale de 1935 qui fut le plus clair signe annonciateur de la victoire du Front populaire en 1936.

Les études des élections municipales sont rares car les communes sont nombreuses, les cas très divers, pourtant c’est là que l’on trouve le vivier des hommes politiques qui feront les plus grands socialistes et quelques grands communistes (le PCF se méfia souvent de ses élus).

D’une façon ou d’une autre, pendant cent ans, de 1883 à 1983, nous assistons à une continuité avec des avancées réelles de socialistes puis des communistes. En 1977 beaucoup ont déduit des succès de la gauche aux municipales la victoire aux législatives de 1978 qui sera finalement reportée à 1981.
Après les élections municipales de 1983, petit à petit, l’élection municipale va se désagréger :
  Sous l’effet de la crise des partis politiques
  Sous l’effet de la marginalisation du pouvoir communal
  Sous l’effet de la mutation économique du pays.

Les élections de 2020 sonnent le glas d’une histoire malade. Dans mon département sur 195 communes, 135 ont une seule liste (elles étaient 99 en 2014) et souvent les candidats en sont heureux, puisqu’ils sont sûrs d’être élus, avant le vote ! Avec quel taux de participation ? Ce point n’a plus d’importance depuis longtemps vu sa baisse à toutes les élections.

Cette absence de conflit électoral signe-t-il un consensus heureux sous le titre sans étiquette ? Je connais plusieurs communes dirigées depuis des décennies par des maires socialistes où le FN obtient depuis vingt ans autour de 40% sans jamais avoir présenté une liste aux municipales !

Puisqu’en effet, parmi les milles choses utiles que nous apprend le FN-RN, il y a cette marginalisation de l’élection municipale ! Ce parti est pris au piège puisque faute de candidats, il ne peut présenter de listes que dans les grandes villes et quelques villes moyennes… où ses résultats sont les plus faibles ! Cependant il reste puissant !

Pour pousser le paradoxe encore plus loin voyons quel a été le cheval de Troie qui depuis 1983 dépolitise les élections municipales : l’introduction sur les listes, pas à pas, de « la société civile », puis des « citoyens », chaque parti étant fier d’afficher à côté de ses membres, des non encartés témoins de son rayonnement ! Et aujourd’hui le bouchon a été lancé plus loin : vive les candidats tirés au sort !
Mais pourquoi, dès qu’on passe à l’échelon au-dessus, les candidats sont presque tous des encartés comme aux élections départementales, et tous le sont, aux élections régionales et législatives ?

Je ne conteste en rien à de simples citoyens la capacité à être de bons élus municipaux mais comprenons bien la situation : les listes citoyennes deviennent des listes circonstancielles ! Or le politique est un combat de longue haleine ! Les élus socialistes ou communistes d’hier se considéraient comme une étape de ce long combat, un point d’appui pour le futur. Le hasard a fait que Montauban a eu sa première liste citoyenne en 1983 (avec il est vrai pas mal de déçus des partis de gauche). Elle n’a eu aucune suite ! Quand hier l’élection municipale était porteuse de divers projets à long terme (même pour les perdants), elle est devenue aujourd’hui, le plus souvent, la preuve de politiques sans lendemain ! Aussi bien pour les alliances réalisées que pour les candidats mobilisés ! Quel bilan tirer par exemple des très nombreuses listes citoyennes de 2001 que les Toulousains des Motivé-e-s ont tenté de fédérer… en une seule occasion.
Bilan : le soir des élections les commentateurs vont braquer les projecteurs sur les métropoles, les lieux qui comptent ! Pour le reste, vive le néant !

Jean-Paul Damaggio

(1) Révolution/contre-révolution, le cas du 10 mai 1790 à Montauban, Jean-Paul Damaggio, Editions La Brochure, 2013. Ce livre était la réponse à un autre : Les sans-culottes Montauban – Verdun (1793-1794)

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