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Effondrement (I)

La crise la plus monstrueuse est devant nous

dimanche 22 mars 2020, par Denis COLLIN

Il y a dans l’atmosphère quelque chose d’étrange. Rien n’a changé dans la nature. Le printemps fait ses premières incursions. Les arbres bourgeonnent et fleurissent. Les vaches retournent au pré… tout continue comme avant. Et pourtant les villes sont devenues des villes fantômes. Les voisins se hèlent de loin quand ils le peuvent. Les individus doivent se replier chez eux, quitte à voler quelques minutes de communication humaine, ici ou là. Voilà une semaine que cela dure et c’est une éternité.

Prévu pour 15 jours, le confinement ne se terminera pas dans une semaine. Presque tous savent désormais que nous aurons de la chance si nous sortons de ce monde de dystopie à la fin d’avril. Et la litanie des morts en Italie désespère chaque matin un peu plus. Ce n’est qu’un mauvais moment à passer dit-on. Pas sûr. On parle du jour d’après, du jour où on réglera les comptes. On se console comme on peut. Personne désormais n’est certain qu’il y aura un jour d’après.

Dans leur ouvrage Le capitalisme a-t-il un avenir ? (La Découverte, 2014) Immanuel Wallerstein et alii donnent en gros trois ou quatre décennies au capitalisme avant qu’il ne cède la place à autre chose, une chose qui pourrait être pire ou meilleure que le capitalisme. Souvent les prédictions en sciences humaines font faillite parce qu’on annonce comme imminent quelque chose qui mettra beaucoup de temps à advenir. Aujourd’hui, on doit se demander si Wallerstein (spécialiste de l’histoire longue) n’avait pas vu trop loin. Il se pourrait que l’effondrement du capitalisme ait commencé. Les marxistes se sont longtemps cherché querelle : que vaut la théorie de l’effondrement défendue par Rosa Luxemburg ? Le capitalisme, au contraire, n’est-il pas si solide que la seule chose que l’on puisse faire est d’obtenir des améliorations à l’intérieur même du système ? Ou encore le capitalisme, pour tomber, n’a-t-il pas besoin qu’on le fasse choir, que le « sujet révolutionnaire » entre dans la danse ? Il se pourrait que le sujet révolutionnaire inattendu soit le virus et que la chute du capitalisme ne débouche pas du tout sur le socialisme, mais quelque chose de totalement inconnu.

I - La crise la plus monstrueuse est devant nous

Si nous sortons de la crise du Covid-19, deux choses sont à peu près certaines :

(1) il y aura, à intervalles plus ou moins rapprochés, de nouvelles crises sanitaires du même type, car ces crises mondiales sont consubstantielles à la « mondialisation ». Ce sont des crises de l’anthropocène, dit le professeur Sansonetti.

(2) Il y aura une crise économique terrible qui va précipiter des millions et des millions de gens dans la misère et la question de la pérennité du système sera posée.

Il ne pourra repartir que dans les plus grandes souffrances et par une destruction massive de capital et de force de travail.

La crise est déjà commencée puisque l’effondrement boursier est engagé. D’ores et déjà la crise de 2008 est dépassée. Des milliers de milliards de dollars de capitaux se sont envolés. Le 12 mars pour le CAC40, le 16 mars pour Wall Street ont été les pires journées. Les doctes journaux économiques s’interrogent : pourquoi les marchés financiers subissent-ils la crise du coronavirus ? Ces gens vivent dans un monde tellement déconnecté du réel qu’ils éprouvent le besoin de se poser des questions de ce genre. Essayons de leur répondre, malgré tout. Comme toujours, les causes se combinent : si je pousse une bille qui se met à dévaler la pente, il y a deux causes : la bille dévale la pente parce qu’elle est ronde et parce que je l’ai poussée. La crise financière est là parce que l’économie était disposée à rouler vers l’abîme et parce que le vilain petit virus est venu donner le coup de pied qui manquait.

Le capital ne peut vivre qu’en se reproduisant sur une échelle élargie. Telle est la loi inflexible. Le capital, ça doit s’accumuler et pour s’accumuler il faut faire de bons profits. Mais, en dernière analyse, pour faire du profit, il faut que des travailleurs produisent de la plus-value et que les marchandises produites trouvent un marché. Or ces deux conditions sont absentes aujourd’hui. Les travailleurs produisent de la plus-value, mais la quantité de plus-value relativement au capital investi tend inexorablement à baisser. Le consommateur se réjouit de la baisse des prix alimentaires autant que de ceux de la quincaillerie high tech dont nous sommes si friands. Mais fondamentalement, tout cela lamine les prix et les salaires. Pour enrayer cette dynamique on diminue le nombre de travailleurs, qu’on remplace par des machines, mais l’avantage comparatif obtenu par les premiers à mettre en œuvre de nouvelles techniques est vite raboté, en vertu des « lois du marché » et le problème se repose à nouveau à une échelle plus vaste. Chaque capitaliste veut diminuer ses « coûts salariaux » et pour ce faire augmente le capital constant, mais finalement le taux moyen de profit baisse. Pendant ce temps des masses de marchandises produites ne trouvent plus d’acheteur.

Pour sortir de cette situation, il existe plusieurs solutions.

La première consiste à accélérer la rotation du capital et pour ce faire il faut accélérer l’usure « morale » des biens produits. La quincaillerie électronique en est un bon exemple. L’automobile en est un autre et l’immense et très mauvaise farce du véhicule électrique « non polluant » n’a pas d’autre but que de tenter de relancer cette énorme machine à produire qu’est l’industrie automobile.
Une autre solution, partielle, consiste à chasser le « low cost  ». D’où le développement prodigieux de la mondialisation qui fait que non seulement les vieilles puissances industrielles ne fabriquent plus qu’une petite partie de ce qu’elles consomment mais encore, pour ce qu’elles produisent, dépendent aussi des approvisionnements étrangers. On le voit aujourd’hui sur les médicaments, les tests de dépistage et des produits aussi « basse technologie » que les masques manquent. Cette course folle à la mondialisation fragilise l’ensemble du système et engendre des coûts écologiques faramineux.

Une troisième solution consiste à anticiper des gains futurs et à les distribuer. Tout l’édifice de la spéculation financière repose sur cette idée : distribuons aujourd’hui la plus-value de demain. C’est typiquement le cas très simple du crédit : le créancier empoche dès le premier mois ou la première année les intérêt d’un capital investi dans la production mais qui n’a pas encore produit une once de plus-value. Cette troisième solution, ce capital fictif, a connu un développement démesuré qui aboutit à ce qu’existent aujourd’hui des masses capitaux qui ne correspondent plus à aucune activité réelle mais uniquement à l’activité spéculative. Ces capitaux n’ont de la valeur que tant que les opérateurs y croient. On est en pleine théologie, comme Marx l’avait déjà montré. Mais alors que Dieu peut se soustraire à toute preuve empirique, il n’en va pas de même pour l’argent. Il y a un moment où il faut passer à la caisse ! Quand les taux d’intérêts des prêts bancaires sont à zéro voire négatifs, cela signifie que plus personne ne veut emprunter d’argent pour se lancer dans des entreprises douteuses dont on n’espère aucun profit. Si l’intérêt est bien prélevé sur la plus-value produite par le capital industriel (ou agricole), les taux d’intérêts actuels montrent que nous sommes dans une énorme crise de surproduction de capital. Si on remet les compteurs à zéro, non seulement quelques riches seront touchés d’un coup et avec eux beaucoup de moins riches ; mais aussi les institutions vitales seront ruinées. Ainsi les fonds de pension ont-ils déjà subi de sérieux revers et ce n’est qu’un début.

Tout le monde s’attendait à une crise violente. On spéculait : partirait-elle des crédits devenus insolvables des étudiants américains ? Ou de quelque événement imprévu. C’est sur cette situation qu’intervient une épidémie qui paralyse progressivement tous les grands pays. Le virus est l’élément contingent qui a réalisé le nécessaire. La Chine peut toujours dire qu’elle est sortie du Covid-19 et qu’elle relance la production, qui va acheter les tablettes et téléphones portables chinois quand les boutiques sont fermées, quand les gens se retrouvent au chômage partiel, voire sont licenciés, quand les auto-entrepreneurs de la société ubérisée n’ont plus aucune rentrée d’argent ? Un week-end du 15 août prolongé d’une semaine, c’est déjà une drôle d’affaire, mais prolongé de quatre à six semaines, c’est le début de la fin. L’interconnexion de toutes les économies de ce « système national-mondial » ne va pas freiner la chute mais l’accélérer. Les situations « à la grecque » risquent de toucher l’Italie, l’Espagne, la France et peut-être l’Allemagne. Une récession profonde est annoncée aux États-Unis. Le cours du pétrole tombé tout près des 20$ le baril est à la fois une conséquence de la crise – les usines tournent au ralenti quand elles tournent encore, les individus confinés ne se déplacent plus – et accélérateur de cette crise. Les pétromonarchies vont se trouver en faillite. Et les États-Unis si fiers de leur pétrole de schiste vont être contraints de mettre la clé sous la porte. La grande crise de 1929 ne sera peut-plus qu’une timide répétition générale de ce qui s’annonce.

Pour l’heure, tous jettent à la rivière les dogmes d’hier et promettent de faire tourner la planche à billets : 200 milliards dit l’un, 500 dit l’autre, 750 milliards dit la BCE qu’on avait oubliée… Mais ce sont des milliards pour les banques, qui ne manquent pas de milliards mais de clients prêts à emprunter pour investir… Pour les capitalistes, la solution qui s’imposera, découlant d’ailleurs directement de cette étrange « économie de guerre » que nous connaissons aujourd’hui, sera la guerre ouverte contre tous les acquis sociaux, une réduction drastique du niveau de vie des travailleurs (indépendants autant que dépendants) et la mise en pièces de ce qui reste des libertés démocratiques. Ne doutons pas un instant que d’ores et déjà ces gens sont prêts à engager la guerre civile contre leur propre peuple. La répression des Gilets Jaunes, là aussi, ne fut peut-être qu’une avant-goût de ce qui nous attend.

Messages

  • Pour nuancer votre discours, je me réfère à Sanders, premier grand visage, grande voix, grand acteur politique de son pays les Etats-Unis.
    Obstinément, il reste dans la course à la candidature pour porter le message du plus grand nombre, qu’il représente envers et contre tous les médias et contre les élections truquées des primaire du parti démocrate —auquel il a dû s’associer.
    Son message, dans un ancien jeu de mot propre à sa langue et à son pays, c’est : "Not me, Us."
    Mais ce message fait sens très littéralement pour tous les peuples : ce qui vaut et ce qui est l’ultime force de l’Homme, c’est la capacité de dire et de faire exister et retentir un "Nous".
    Un Nous qui réclame justice sociale et lois.
    Que les biens qui seront produits soient moindres, est une réalité que pourra pallier avant tout la capacité à formuler et imposer cette revendication.

  • Tout cela me semble plutôt juste. Il ne reste plus qu’à se dire que le pire n’est pas obligatoire.

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