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Aux États-Unis, quel libéralisme face au COVID-19 ?

Revue de presse 16 avril – 23 avril 2020

mardi 28 avril 2020, par Antoine BOURGE

Plus de 52 000 morts ont officiellement été causées par le coronavirus aux États-Unis. Dans un premier temps sous-estimée par Trump et son administration, l’épidémie s’abat impitoyablement sur les plus vulnérables dans un système où la santé a un coût exorbitant et où la qualité de la protection sociale est fonction des revenus. La fracture sociale induite par le libéralisme économique est béante, mais le confinement suscite aussi de nombreuses manifestations en faveur des libertés et contre l’oppression de l’État.

WHAT IS « ETAT SOCIAL » ?

Passivité coupable de Trump

 Un problème de prérogative se pose puisque Trump, au niveau fédéral, est accusé de ne pas avoir débloqué suffisamment de moyens financiers et matériels, et d’avoir laissé chaque État gérer la situation. Cette situation est relevée sur Mediapart :

« (…) faute d’intervention fédérale massive, chaque État livré à lui-même surenchérit contre les autres pour acquérir les respirateurs et les équipements hospitaliers qui lui font défaut. La situation est folle. C’est dingue, explique dans le Financial Times le président de la conférence des maires américains, Tod Cochran. « Vous imaginez pendant la Seconde Guerre mondiale les gens surenchérissant les uns sur les autres pour avoir ce dont ils ont besoin ? Il faut une personne, une institution qui centralise tout ça. » »

 Les prises de décisions sont timides, notamment pour aider les précaires, les travailleurs pauvres et tous les oubliés du rêve Américain. Sur le Huffington Post signale :

« Le Congrès américain a adopté (le 18 mars) un plan d’aide sociale d’environ 100 milliards de dollars et Donald Trump l’a signé dès le lendemain. Son but, renforcer la protection sociale des Américains face à la pandémie (...). Il prévoit notamment “le dépistage gratuit pour toute personne ayant besoin d’être testée, y compris celles qui n’ont pas d’assurance”. Les frais et tests annexes au test ne seraient eux pas pris en charge par contre, a priori. »

 L’aide sera finalement de 2000 milliards de dollars Courrier International reproduit un document disponible en anglais sur le site How Much(EN) où l’on peut constater que le total des aides à la santé publique et des allocations sociales (aide alimentaire, banques alimentaires, etc.) s’élève à près de 180 milliards de dollars, les aides aux États est également assez faible avec une aide de près de 340 milliards dont 274 milliards pour lutter contre le COVID-19, tandis que petites entreprises et grandes entreprises (comme les compagnies aériennes) recevront 877 milliards et les ménages des aides directes (300 milliards de versements directs). Cette infographie a le mérite de souligner la disproportion entre les aides versées directement – près de 1140 milliards – dans une logique individualiste plutôt que de miser sur les secteurs à large impact social (hôpitaux, accès aux médicaments, …) – environ 860 milliards.

 La mollesse de Trump, d’ordinaire prompt à bondir en tous sens, est jugée coupable selon certains membres de l’establishment, comme le révèle Mediapart :

« Glenn Kirschner, ancien procureur fédéral à Washington, qui estime que Trump devrait être poursuivi après son départ de la Maison Blanche pour ses négligences multiples dans la crise sanitaire, et d’éventuels « homicides volontaires ou involontaires ». Sénatrice de l’État d’Ohio, Tavia Galonski aimerait voir Trump poursuivi pour « crimes contre l’humanité ». « Il a introduit de la confusion dans l’esprit des gens, dit-elle. Il leur fait peur, des gens vont être tués à cause de lui. Donald Trump n’a guère de souci à se faire de ce côté-là : après le 11-Septembre, les États-Unis se sont retirés du traité instituant la Cour pénale internationale. »

Protection sociale faible et pour une minorité aisée

 L’Humanité signale que les Américains cumulent trois peines :

« 22 millions d’Américains ont perdu leur emploi en quelques semaines, dont une bonne proportion qui a, du jour au lendemain, vu s’envoler l’assurance-santé qui y était liée. Les 330 millions d’habitants des États-Unis subissent une triple peine : le coronavirus (comme l’ensemble de la planète), un système de santé et de protection sociale défaillant et le trumpisme, entre déni et darwinisme social rentré. »

 Dans L’Humanité, Christophe Deroubaix compare la part des dépenses de santé en France et aux États-Unis :

« Le pays (les États-Unis) consacre 18 % de son PIB aux dépenses de santé (11 % en France), dont un quart est avalé par les frais administratifs, reflet de la complexité quasi kafkaïenne de l’édifice intégralement géré par les compagnies privées. L’Obamacare comme les contrats d’entreprise n’assurent qu’une prise en charge minimale. Les familles doivent régulièrement mettre de leur poche ou renoncent à se soigner. En 2018, 44 % des Américains ont reporté une visite médicale en raison de son coût. »

 Dans le contexte de la pandémie les conséquences sont déplorables pour la majorité des Américains mal couverts ou qui, avec le confinement, ont perdu leur emploi. A lire sur Mediapart :

« Cent cinquante millions d’Américains bénéficient d’une assurance santé financée par leur employeur : l’explosion du chômage va donc priver des milliers d’entre eux de couverture. Une grande partie des ménages, souvent endettés, n’ont pas d’économies et les banques alimentaires sont prises d’assaut, bien plus encore que lors de la crise financière de 2008. »

 On trouvera plusieurs témoignages sur le site du Huffington Post, dont celui-ci :

« Cette Américaine a souffert du Covid-19 et s’en est heureusement sortie. Non couverte par une mutuelle santé, comme 27,5 millions d’Américains, elle a par contre reçu une facture de 34.927,43 dollars (environ 33.000 euros) pour le traitement et les tests qu’elle a subis. »

Et plus loin, on peut mesurer l’ampleur du désastre politique autant qu’humain :

« Avec une mutuelle santé fournie par son travail, l’Américaine aurait découvert une facture bien moins salée, mais aurait reçu une facture tout de même. Aux États-Unis, 32% de la population active a des dettes médicales, selon un sondage mené en février 2020. Parmi ces personnes dans le rouge, 28% ont une ardoise de 10.000 dollars ou plus à régler à cause de leurs traitements ou examens. »

L’économie avant tout

 Cet article trouvé dans Courrier International est caricatural mais représentatif d’une partie de l’Amérique :

« “La vraie question est la suivante : allons-nous couler toute l’économie pour sauver 2,5 % de la population qui, en règle générale, 1/ coûtent cher à la société et 2/ ne sont pas productifs ?” Ces quelques mots publiés sur Twitter dimanche 22 mars par Scott McMillan sont rapidement devenus viraux aux États-Unis. Cet avocat californien s’est attiré les foudres de nombreux utilisateurs du réseau social, mais il est loin d’être la seule voix à exprimer face à la pandémie de Covid-19 ce que le New York Magazine qualifie de “conservatisme virulent spécifique aux républicains américains”. Lundi 23 mars, le lieutenant gouverneur du Texas Dan Patrick a ainsi suggéré sur la chaîne Fox News que “les grands-parents, dont lui-même, seraient heureux de sacrifier leur vie pour préserver le bien-être financier de leurs enfants et petits-enfants”, rapporte le Washington Post. »

 Autre sacrifice sur l’autel du profit, certains pays africains devraient servir de cobayes pour tester des traitements expérimentaux contre le COVID-19. L’affaire de la fondation Bill Gates, relatée par Mediapart, a attiré notre attention :

« (…) l’influence de Gates en Afrique est proportionnelle au poids de son portefeuille : sur les quelque 3 milliards de dollars investis chaque année par sa structure, près de la moitié « bénéficie » au continent. Rien qu’au Burkina, la fondation a investi plus de 100 millions de dollars ces dernières années, dans les domaines de l’agriculture, la nutrition et la planification familiale. BMGF (Bill and Melinda Gates Foundation) est en outre l’un des principaux bailleurs de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) – en 2017, elle en était le deuxième plus gros contributeur, avec un apport de 324 millions de dollars, derrière les États-Unis, mais loin devant le Royaume-Uni, le Japon ou l’Allemagne. L’un des grands combats de la fondation concerne les organismes génétiquement modifiés (OGM). Gates, qui soutient à grands frais l’agriculture chimique et biotechnologique au détriment des semences libres, de l’agriculture vivrière et des petits paysans, est aujourd’hui considéré comme le principal promoteur des OGM sur le continent. »

LIBERTE CONTRE PROTECTION

L’État fédéral contre les États

 Le Point donne un bon aperçu du système à deux niveaux en vigueur aux États-Unis, avec d’un côté les États et de l’autre l’État fédéral :

« Le 10e amendement de la Constitution limite les pouvoirs du gouvernement fédéral à des domaines explicitement mentionnés (diplomatie, impôts, armée...). Tout le reste, par défaut, est ’réservé aux États’. En 1824, dans un arrêt intitulé Gibbons v. Ogden, la Cour suprême des États-Unis a étendu le pouvoir de police des États en cas de crise sanitaire, en les autorisant à déclarer des mises en quarantaine, des couvre-feux ou toutes autres mesures nécessaires pour répondre à une épidémie. C’est pourquoi, depuis un peu plus d’un mois, les gouverneurs ont adopté des mesures de confinement de leur population plus ou moins contraignantes, avec des dérogations variées et des échéances différentes. Une poignée s’en sont même abstenus. A aucun moment, le gouvernement fédéral n’a donné de consigne qui s’appliquerait dans l’ensemble des États-Unis, et aujourd’hui il n’est pas plus en mesure d’ordonner un déconfinement général. Avec ses derniers propos, Donald Trump ’a largement surestimé son autorité constitutionnelle’, estime donc Mark Rozell, professeur de politiques publiques à l’Université George Mason en Virginie : ’Il ne peut pas forcer un gouverneur à abandonner des mesures sanitaires protectrices par un décret présidentiel’. »

Quelles libertés garanties ?

 Sur le plan des libertés individuelles. Pour certains Américains, revendiquer un État peu interventionniste consiste à dénoncer le confinement comme étant un abus de pouvoir et une violation des libertés fondamentales de la part des gouverneurs. Voici comment Français.rt.com rend compte des manifestations contre les mesures de confinement :

« Au sein des manifestants, des supporters du président Donald Trump mais également des militants libertariens : « C’est la nouvelle norme. On ne reviendra pas à l’ancienne norme : Je refuse [ça] ! », s’est insurgée une manifestante de cette mouvance à Denver dans le Colorado, arborant une pancarte sur laquelle était écrit « Le gouvernement est non-essentiel ». »

Dans le même article, on trouve aussi cette critique de bon sens adressée aux gouverneurs sur le plan économique. Sur quelles bases fermer les petites entreprises et laisser les géants continuer à prospérer ? :

« Maryland, Idaho, Etat de Washington, Colorado, Texas, Arizona, Nevada... des rassemblements et manifestations ont eu lieu dans plusieurs États des États-Unis pour demander la levée des mesures de confinement et le retour au travail. « Fermer les entreprises en choisissant les gagnantes et les perdantes, dans lesquelles il y a les essentielles et les non-essentielles, est une violation de la constitution fédérale et de l’Etat », a déclaré Tyler Miller, l’ingénieur à l’origine de cette manifestation auprès de Reuters. »

 La non-intervention de l’État serait finalement à géométrie variable : réservée au domaine économique quand il profite au « big business ». Ainsi, on pourra lire dans Courrier International que, dans le cadre de la lutte contre contre le COVID-19, l’intervention de l’État n’est pas toujours judicieuse :

« Le Texas, en particulier, s’est révélé être un laboratoire de la gestion de la pandémie par les conservateurs. Comme l’Ohio, l’Alabama et quelques autres États dirigés par des gouverneurs républicains, il a dans un premier temps inscrit l’avortement sur la liste des interventions médicales “non urgentes” qui devraient attendre que la menace immédiate du virus soit passée. Et quand, à la fin mars, les autorités ont ordonné la fermeture des écoles et des commerces non essentiels, le procureur général républicain de l’État, Ken Paxton, a prévenu les établissements pratiquant l’IVG qu’ils “s’exposaient aux sanctions les plus sévères prévues par la loi” s’ils continuaient à recevoir des patientes. »

 Malgré le confinement, de nombreuses grèves ont vu le jour aux États-Unis, où le droit de grève n’est pas aussi bien encadré qu’en France. Commun Commune nous fournit quelques données sur les mobilisations des « invisibles » :

« Alors que le pays est désormais le plus touché par la pandémie de Covid-19, avec plus de 23 000 morts le 14 avril, les États-Unis connaissent une série de grèves depuis près d’un mois, pour beaucoup sauvages, liées à la situation sanitaire. Le site d’information paydayreport.com en recense pas moins de 73 sur une carte interactive, dans un contexte où l’absence de droits sociaux surexpose les travailleurs en première ligne. »

Un État fédéral interventionniste

 Sur le site Salon, on trouvera une critique des partisans d’un État minimal, dont les politiques de réduction des financements dans le domaine de la santé préventive et curative ont entraîné, selon Carl Pope, la catastrophe sanitaire dans laquelle les États-Unis se trouvent :

« (…) over the past 21 years, during which time the reckless ’we don’t need to prepare for anything except war’ brand of Republicanism ignored repeated warnings that a pandemic was coming, savaged budgets for agencies like the NIH (National Institute of Health) and CDC (Centers for Disease Control and Prevention), starved state public health capacities and allowed them to wither in half, drove moderate Republicans who supported health-care investment — such as former Sen. Arlen Specter of Pennsylvania — out of the party and presided over a massive shutdown of health care capacity in rural America. Eventually, with the rise of the Tea Party and then the election of Donald Trump, the Republicans surrendered their party to the nihilism of its only remaining principle, articulated by Grover Norquist as « I don’t want to abolish government. I simply want to reduce it to the size where I can drag it into the bathroom and drown it in the bathtub ». (…) we found out that « when you drown government » people die [1].’ »

 Le principal opposant à J. Biden dans la course à l’investiture du parti Démocrate, Bernie Sanders, bien qu’il se soit retiré, n’a pas abandonné le combat des idées, comme nous en fait part Mediapart ici :

« Après une nouvelle série de défaites le mardi 10 mars, son sort semblait scellé et une partie de l’appareil démocrate l’avait immédiatement appelé à se retirer. Ces primaires apparaissent comme décisives dans le choix de Bernie Sanders de se retirer même s’il appelle aujourd’hui à envoyer, à l’occasion des primaires qui continueront à se tenir dans certains États, « le maximum de délégués » au congrès d’investiture pour peser sur le programme démocrate. « Nous avons gagné la bataille idéologique », a ajouté Sanders, qui a de fait imposé ses thèmes de prédilection, à commencer par la sécurité sociale universelle, dans le débat démocrate. »

 Sanders continue donc à se battre pour ses idées en se faisant force de propositions mais aussi en levant deux millions de dollars pour lutter contre le COVID-19, ainsi qu’en témoigne un article dans L’Humanité :

« Concernant la crise économique et ses conséquences sociales, Bernie Sanders formule une batterie de mesures ambitieuses, qui visent à « renflouer les salariés pas les dirigeants des multinationales » : un chèque de 2000 dollars par habitant et par mois durant la durée de la crise, mesures de sauvegarde des PME, moratoire sur les expulsions locatives, les saisies immobilières, sur les défauts de paiement, extension de la couverture chômage, protection des travailleurs non liés par un contrat de travail (gig economy), construction d’abris d’urgence et utilisation des logements vides pour les centaines de milliers de SDF. Enfin, le texte met l’accent sur la surveillance de l’évolution des prix des médicaments et enquête fédérale en cas de suspicion de tentative d’enrichissement indu de la part des compagnies pharmaceutiques. »

 Pour terminer, il et important de mentionner l’ambiguïté de Trump sur l’usage asymétrique qu’il fait de l’État. Doit-il être le garant des libertés sans respecter la séparation des pouvoirs ? Courrier International se fait le relais de ces critiques :

« Le président américain a provoqué la stupéfaction mercredi 15 avril en menaçant d’user de pouvoirs constitutionnels jamais employés auparavant pour forcer la confirmation de juges et autres nominations au Sénat. Une décision qui, si elle était appliquée, remettrait en question l’équilibre des pouvoirs aux États-Unis, estime la presse américaine. »

DETOURNER L’ATTENTION POUR GAGNER L’ELECTION DE NOVEMBRE ?

Biden, silence radio

 A l’opposé de Sanders, Joe Biden, le candidat de l’establishment démocrate, ne propose pas de virage radical et reste dans le sillage d’Obama, ce qui est insuffisant pour la frange « gauche » du parti. L’Humanité en dit ceci, comparant Sanders et Biden :

« Il semble que sur le sujet du « Medicare for All », les Américains partagent son avis [celui de Bernie Sanders] : la proposition d’un programme fédéral, créé en 1965 sous la présidence de Lyndon Johnson, afin d’assurer une couverture santé universelle aux plus de 65 ans avec l’intention de l’étendre à l’ensemble de la population. (…) Joe Biden, ne veut toujours pas en entendre parler. La pandémie et ses conséquences ne l’ont pas fait bouger d’un iota : il entend apporter des améliorations à l’Obamacare, réforme-signature des deux mandats de Barack Obama, dont il a été le vice-président, mais qui a, depuis longtemps, montré ses insuffisances fondamentales puisque 30 millions d’Américains ne sont pas assurés et que, selon Bernie Sanders, 60 autres millions sont mal assurés. »

Trump candidat pour un deuxième mandat : « Keep America Great » ?

 Trump était en pleine campagne pour sa réélection au moment du déclenchement de la crise sanitaire. Comme nous l’avons vu plus haut, il est accusé d’avoir mal géré la crise sanitaire et pris des décisions trop tardives. Certains gouverneurs pointent du doigt le discours ambivalent du Président, entre ses tweets dirigés contre le confinement dans certains États et ses discours officiels, qui pourrait souligner sa faiblesse et le desservir pour sa réélection, comme le signale Français.rt.com :

« Ce message (pour encourager les manifestations contre le confinement) a été critiqué par des gouverneurs d’États américains, dont Larry Hogan, gouverneur pourtant républicain du Maryland, qui a estimé qu’« encourager les gens à manifester contre un plan sur lequel vous venez de faire des recommandations », n’avait « pas de sens ». »

 Trump n’a pas assez de tests mais une langue bien pendue pour tacler les gouverneurs démocrates comme nous en informe France Info :

« Pour réaliser des tests massifs, les états ont besoin du pouvoir fédéral. Trump assure que tout est prêt. Le gouverneur républicain du Maryland vient de déclarer que les annonces de Trump étaient totalement fausses, et qu’il n’était pas en mesure de tester sa population. Et il n’est pas le seul. En fait, Donald Trump tente de rejeter toutes les erreur sur les gouverneurs, tout en essayant de maintenir l’image d’une homme qui a compris de la crise, et qui n’est responsable de rien. Son seul objectif : ne pas perdre l’élection présidentielle. »

 Pour détourner l’attention de sa gestion plus que légère de la crise, Trump a plusieurs tours dans son sac. Après les encouragements aux défenseurs des libertés contre les gouverneurs, c’est l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) qui a été la cible des attaques de Trump. Voici ce qu’en retient ce chroniqueur du New York Times, dans Courrier International :

« Certes, l’OMS mérite bien certaines critiques, et j’en ai moi-même formulé bon nombre. Elle s’est montrée complaisante envers la Chine, a eu des déclarations intempestives au début de l’épidémie (en mettant en doute par exemple, le 14 janvier, une transmission interhumaine du virus), et serait bien avisée de permettre l’entrée de Taïwan en son sein. Cependant, elle a bien mieux géré la crise du coronavirus jusqu’à présent que ne l’a fait le gouvernement Trump. L’OMS a posté son premier tweet d’alerte sur le coronavirus le 4 janvier, avant de sonner l’alarme par divers biais pour finir par déclarer l’épidémie “urgence sanitaire mondiale” fin janvier. Elle a mis au point un test de diagnostic efficace aujourd’hui utilisé dans des dizaines de pays, alors que les États-Unis restent incapables de dépister correctement leur population. »

 Décisions démagogiques ou de bon sens sur la suspension de l’immigration vers les États-Unis ? Les emplois précaires (ouvriers agricoles, caissières, etc.), souvent occupés par des immigrés, permettent de faire vivre ceux qui télé-travaillent ou sont confinés. Donc l’immigration a du bon pour préserver la santé de la middle class et de l’upper class tout en maintenant des salaires bas. Voici ce qu’en dit Français.rt.com :

« (…) d’après un article du New York Times publié le 20 avril, Donald Trump pourrait suspendre les cartes vertes – document d’identification qui permet aux citoyens non américains de s’installer et de travailler légalement aux Etats-Unis sans besoin de visa – dès les prochains jours, ainsi que les visas de travail. En outre, Donald Trump avait dès le mois de janvier restreint les déplacements avec la Chine où le Covid-19 est apparu en décembre, avant d’interdire les voyages entre les États-Unis et la plupart des pays européens à la mi-mars. »

L’ORDRE INTERNATIONAL BOUEVERSE ?

 Dans un article assez long et opposant diverses opinions, Mediapart soulève la question de la part grandissante de la Chine dans l’ordre international bien que l’emprise des États-Unis reste puissante :

« Interrogé par Mediapart, le professeur de science politique Yves Schemeil confirme l’importance du hard power sur lequel la puissance américaine peut compter, et que traduisent son niveau de richesse, sa capacité inégalée de projection militaire, son avance technologique et son contrôle d’Internet, ou encore sa croissante autonomie énergétique. »

Et plus loin :

« (…) un haut cadre de Morgan Stanley insiste sur la façon dont les États-Unis, après 2008, sont parvenus à restaurer la croissance de leur PIB et sa part dans la richesse mondiale. Épicentre de la crise, ils en sont sortis « plus forts que jamais en tant que super-pouvoir financier ». Le dollar reste ainsi la monnaie de référence mondiale, ce qui témoigne de la confiance que lui accordent les acteurs économiques et étatiques, mais accorde surtout du pouvoir à la puissance qui émet cette monnaie. Grâce à « l’exorbitant privilège » du billet vert, les États-Unis peuvent en effet s’endetter massivement à moindre coût. De plus, leurs sanctions financières ont une portée inégalable (les Européens en ayant fait la cuisante expérience dans le dossier iranien). »

 Le cas de la France, blâmée pour être trop dépendante (et c’est très vrai) de la Chine et globalement de ses importations, notamment dans des secteurs stratégiques (santé, informatique, déchets, automobile, etc.), révèle aussi l’extrême dépendance de la Chine vis-à-vis de ses pays clients. Les États-Unis et la Chine sont comparés par rapport à leur capacité de relance économique :

« Contacté par Mediapart, Jean-Pierre Cabestan invite à « comparer les enveloppes des différents plans de relance [à la suite du Covid-19 – ndlr] : le Chinois paraît bien prudent et maigre à côté de l’Américain ». Le sinologue ajoute que plus la paralysie de l’activité des Occidentaux dure, plus elle affectera la Chine dont un cinquième du PIB dépend encore des exportations. À plus long terme, si ces mêmes Occidentaux cherchent à réduire la dépendance qui est la leur pour des équipements cruciaux, « le découplage [qui en résultera] portera tort à l’activité économique en Chine, dans une mesure encore difficile à estimer ». »

 Finalement, les Américains s’accrochent eux-aussi péniblement aux atouts qui leurs restent et qui semblent bien faibles dans ce contexte : le pétrole, dont le prix à la baisse est comme un puits sans fond... faute d’acheteurs.. Tout comme E. Todd en faisait le constat en 2002 dans son Après l’Empire, nous pouvons faire aujourd’hui le constat de la faiblesse américaine dans l’article de Martine Orange sur Mediapart :

« La pandémie du coronavirus, l’arrêt d’une grande partie de l’économie mondiale, l’effondrement de plus d’un tiers de la consommation mondiale de pétrole et de plus de 50 % des prix du brut ont permis d’arriver à une conclusion jusqu’alors impensable. Dimanche soir, l’Arabie saoudite, la Russie et les États-Unis, les trois principaux pays producteurs du monde, ont annoncé avoir conclu une entente internationale en vue de réduire la production pétrolière mondiale. L’accord engage vingt-trois pays producteurs, membres ou non de l’Opep. Ces pays s’engagent ensemble à diminuer chacun de 23 % leur production. Cet effort partagé était une condition posée par la Russie. À partir de mai, 9,7 millions de barils par jour devraient être effacés du marché. »

Conclusion, même si Trump se félicite des tractations, le système est à bout de souffle, le serpent se mord la queue et ça sent la fin de règne.

Antoine Bourge

Le 26 avril 2020


[1Traduction : « Je ne veux pas abolir l’État. Je veux simplement le réduire à une taille qui me permettrait de le traîner jusqu’à la salle de bain et le noyer dans ma baignoire. » (…) nous nous sommes aperçus que « quand on noie l’État » les gens meurent.