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Combien de temps nos libertés seront-elles confinées ?

vendredi 1er mai 2020, par Jean-François COLLIN

Le premier ministre a indiqué le 28 avril que les mesures de confinement seraient progressivement allégées après le 11 mai. Personne ne sait vraiment dans quelle mesure tant le plan est confus. Notre seule certitude est notre situation verte ou rouge sur la carte de France.

Ce plan de déconfinement progressif ne met pas fin aux pouvoirs exceptionnels dont dispose le gouvernement depuis le début du mois de mars. Bien au contraire, il demandera au Parlement, la semaine prochaine, de prolonger l’état d’urgence sanitaire et les pouvoirs exceptionnels dont il dispose jusqu’au 24 juillet. Le parlement, soumis à l’exécutif, lui accordera cette prolongation, il n’y a pas de doute là-dessus. Le plus inquiétant est qu’il n’y aura sans doute pas beaucoup plus de résistance de la part des forces politiques minoritaires et de la société civile, tant domine l’idée que le pouvoir de l’Etat est notre seule protection quand les choses vont mal. On ne reproche pas au pouvoir de réduire à néant nos libertés fondamentales, mais de ne pas être capable d’acheter à la Chine des masques de protection.

Nous sommes placés, désormais, sous la protection du « couple préfet-maire », nous disent le Premier ministre et le Président de la République. Comme s’il s’agissait d’un couple, alors que l’un dicte à l’autre ce qu’il doit faire, que le préfet contrôle les actes des maires même en période normale, que les préfets ont imposé pendant le mandat précédant, des centaines de regroupements forcés de communes, amputant ainsi le pouvoir d’autant de maires dans des communautés de communes et d’agglomérations.

Qui sait ce qui restera du renforcement du pouvoir exceptionnel du gouvernement après le 24 juillet, si l’état d’urgence est levé à cette date ?
La plupart des mesures d’exception adoptées après les attentats du Bataclan du 13 novembre 2015, au nom de la guerre contre le terrorisme, ont été intégrées à notre droit ordinaire, au motif de donner un cadre légal permanent aux actes du gouvernement.
Auparavant, l’extension temporaire de son pouvoir était justifiée par la théorie élaborée par le Conseil d’Etat au sortir de la première guerre mondiale « des circonstances exceptionnelles » ; le juge administratif ne censurait pas des actes illégaux de l’administration lorsque ceux-ci étaient pris pour faire face à des circonstances exceptionnelles.

Le gouvernement a fait adopter le 23 mars 2020 une « loi d’urgence sanitaire » qui donne une base légale aux pouvoirs exceptionnels qu’il exerce. Le Conseil d’Etat n’a rien trouvé à y redire. Le conseil constitutionnel ne s’est pas montré plus vigilant ; il a repris à son compte la théorie du conseil d’Etat sur les circonstances exceptionnelles, ce qu’il n’avait pas fait jusqu’à maintenant.

L’Allemagne donne une autre image du contrôle des actes de l’autorité politique ; l’interdiction de manifester décidée par un gouvernement régional a été invalidée par le juge fédéral au motif que les impératifs sanitaires ne pouvaient justifier une interdiction générale et absolue de manifester.

Ne vaut-il pas mieux que le gouvernement agisse en dérogation aux règles ordinaires quand les circonstances sont extraordinaires et qu’il s’en explique devant les citoyens, le Parlement et les juges, plutôt que d’intégrer dans notre ordre juridique la possibilité permanente d’extension des pouvoirs de l’appareil d’Etat ?

Ce qui est certain, c’est que le gouvernement s’habitue à exercer les pouvoirs exorbitants dont il dispose et que nous nous habituons à le supporter.

L’histoire des sociétés « développées » est celle de l’extension continue du pouvoir de l’Etat sur les individus, pour le meilleur et pour le pire.
Cette extension s’opère souvent maintenant à la demande des citoyens.
Jusqu’aux années 1970, les mouvements démocratiques défendaient les libertés fondamentales contre l’Etat (liberté d’expression, de manifestation, d’aller et de venir). Ensuite sont venues les revendications de « droits à quelque chose… » (droit d’avoir un enfant, de choisir de son sexe, etc.). Pour que ces droits soient effectifs, il ne suffit plus que l’Etat s’abstienne, il faut qu’il intervienne pour garantir le remboursement d’actes médicaux qui ne l’étaient pas, pour modifier le code civil… Ainsi s’est étendue l’emprise de l’Etat sur la vie privée des gens considérée comme une victoire démocratique.

Nous nous habituons à la soumission aux institutions qui agissent légitimement puisque c’est pour notre bien, au pouvoir de la médecine qui veille sur nous, de la science qui pourtant devrait nous aider à comprendre plutôt qu’à nous résigner.
Nous nous habituons à accepter l’inacceptable : rester enfermés, ne pas sortir sans un papier signé, nous sentir coupables de rester plus d’une heure dehors…

Nous sommes comme des enfants.
D’ailleurs, ne trouvons-nous pas un certain plaisir à nous retrouver dans cette situation d’infantilisation ?
Adultes confinés, nous échappons à l’inconfort des transports en commun, au regard des collègues et des chefs qui ne nous voient que si nous le voulons dans le demi-anonymat des conférences téléphoniques et des visioconférences tremblotantes. Nous sommes débarrassés de l’obligation de nous apprêter pour faire bonne figure. Ce petit bénéficie nous rend encore plus enclins à accepter de perdre notre liberté plutôt que notre vie.
Mais n’est-ce pas un marché de dupes ? Jean-Pierre Dupuy a fort bien expliqué comment nous ne croyons pas vraiment ce dont pourtant nous sommes certains. Il en est ainsi de notre propre mort.

Rappelons que dans le même temps nous trouvons tout à fait normal que d’autres soient obligés de sortir, pour que nous puissions nous nourrir, bénéficier d’infrastructures de télécommunications fonctionnelles, pour nos rues ne soient pas envahies d’immondices et que les malades soient soignés.

Toute réflexion est à l’arrêt et je n’ai guère entendu qu’André Comte-Sponville s’élever contre cet abrutissement collectif, dire qu’il y avait des choses plus graves que le Covid-19 dans la vie. Que nous devrions nous faire plus de souci pour l’avenir de nos enfants que pour notre risque de mourir, assez faible au demeurant. Que nous devrions nous souvenir qu’être heureux permet souvent d’être en bonne santé mais que la bonne santé ne peut pas devenir l’unique but de notre existence.

Quand allons-nous nous réveiller ?

L’opposition qui patauge, reprochant un jour au gouvernement de trop nous confiner, le lendemain de nous déconfiner trop vite, les syndicats qui s’opposent à la reprise du travail tant que les conditions ne seront pas réunies ( ?) ne devraient-ils pas plutôt s’intéresser à la défense de nos libertés fondamentales en période de crise dont dépendent les conditions dans lesquelles le monde se remettra en route demain ?

La communication chaotique du pouvoir exécutif conduit les médias à le présenter comme affaibli, mais je crains qu’à long terme, le confinement ne lui profite. Quelle énergie et quel désir de vivre libre reste-t-il à un peuple dominé par la peur ?

Le 29 avril 2020

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