Les principales idées force pour appréhender la situation que la covid 19 a déclenchée procèdent d’abord de l’analyse économique. Ce sont les changements dans cette situation qui déterminent les rapports de force entre le monde du travail et du capital.
Le levier de la dette va peser encore plus fort que l’après 2008. Aucun gouvernement social qui pourrait s’ériger en remplacement de celui de Macron du fait de son effondrement de gouvernance ne tiendrait pas plus d’un déjeuner de soleil s’il prétendait restituer les acquis sociaux dans le cadre des institutions financières actuelles.
C’est la raison pour laquelle, tout projet politique d’émancipation vers une société fiable et résiliente accouchée d’une constituante doit être mis en perspective avec son architecture économique et financière pour rendre crédible sa mise en application et son déploiement.
Alors que le bilan de la crise covid est catastrophique pour le capitalisme ultra libéralisé et son gouvernement, il reste encore un chemin à parcourir pour réunir les forces suffisantes afin de s’opposer victorieusement aux prétentions de l’oligarchie financière et ouvrir la voie à un changement de société.
Il s’agit pour l’avant-garde regroupée dans les syndicats lutte de classe et les gilets jaunes de former une majorité en s’alliant avec la couche petite bourgeoise qui est représentée globalement par ceux qui ont pu fonctionner en télétravail pendant le confinement.
Cette convergence ne peut se faire que par des voies pédagogiques lui démontrant qu’elle aurait tout à gagner à rompre avec le management.
La mise en suspension de l’économie par Macron démontre ce que pendant plusieurs mois, ce que peut produire la finance quand c’est l’état qui en prend la direction.
La description faite par Romaric Godin est d’une précision et d’une clarté inégalée : https://www.mediapart.fr/journal/france/050520/quelles-politiques-face-la-crise-economique
- L’économie en suspension
Encore quelques jours avant le début du confinement, les rapports entre les peuples et leurs gouvernements étaient cadrés par l’austérité exigée à la suite du krach de 2008.
Cela impliquait la continuité des bas salaires initiée en 1983, l’amputation à marche forcée de tous les acquis de civilisation hérités du programme du CNR.
L’impôt était drainé des couches inférieures de la population au profit des très riches et du soutien à la compétitivité des entreprises, c’est-à-dire maintenir les profits.
Soudain, du jour au lendemain, il suspend le fonctionnement de la majeure partie de l’économie quel qu’en soit le coût !
- Premier enseignement pour les masses :
« Ainsi, le circuit économique est-il maintenu tant bien que mal en vie par la grâce des autorités politiques : en théorie, les ménages peuvent consommer ce qui peut encore l’être, payer leurs loyers et acquitter leurs diverses factures, tandis que les entreprises peuvent conserver leurs effectifs, payer leurs fournisseurs et assurer un minimum de production. Mais ce circuit n’est possible non plus parce que les échanges de biens et services lui donnent les moyens de fonctionner, mais seulement parce que l’État s’est substitué au marché comme source de financement primaire. » -*
Notons au passage combien le rôle veule des assurances est dévoilé. En tant que pilier du capitalisme, il est incapable d’assumer les risques sur le principe mutualiste.
- Deuxième enseignement :
Ce ‘’socialisme de congélation retire au marché sa capacité de chantage à l’emploi en maintenant la tutelle de l’état sur l’économie marchande. Cela met en lumière les capacités de l’état :
Soit pour orienter, déployer différemment l’appareil de production. vers la satisfaction des besoins humains, soit préserver les rapports d’exploitation pour la sortie du décofinement.
- Troisième enseignement :
De l’argent, il y en a et permet d’envisager ce qu’il serait possible de faire.Tout repose sur la création monétaire effectuée par la BCE.
Faut-il empêcher à tout prix les faillites ?
Que faire alors ? Face à cette urgence, on pourrait aussi poursuivre la « congélation » de l’économie avec le soutien de l’État. Si cette option est moins probable que la précédente, elle n’est pas impossible dans la mesure où, avec le soutien de la BCE, les moyens publics sont considérables et où, surtout, les frontières entre crise sanitaire et crise économique risquent de demeurer floues pendant longtemps.
« Dès lors, pourquoi ne pas tout faire pour éviter les faillites des entreprises et préserver l’emploi ? On peut donc imaginer que, pour que l’ajustement à la baisse soit moins violent, on poursuive et même on élargisse le système de chômage partiel pour se substituer aux entreprises dans le paiement des salaires, avec, par exemple, l’élargissement des aides directes aux entreprises et des prêts garantis par l’État.
L’argument en faveur d’une telle politique est solide : en empêchant les faillites et donc les suppressions d’emplois, on freine cette spirale autonome de la crise économique. On soutient la demande en évitant de laisser tomber dans la misère et l’incertitude beaucoup de salariés et on favorise à la fois les dépenses des ménages, moins inquiets pour leurs emplois, et l’investissement des entreprises, rassurées par la capacité de consommation future des ménages et par leur propre survie. Une fois le tissu économique préservé, le plan de relance nécessaire pour retrouver un équilibre socialement soutenable sera sans doute moins fort que dans le premier cas.
Dans ce cas, pour faire simple, l’intérêt des entreprises particulières deviendrait l’intérêt général. Et la politique sociale consisterait donc à éviter les faillites. C’est au reste l’évidence : l’effondrement social des États-Unis qui, en un mois et demi, a vu le nombre de chômeurs augmenter de 30 millions est un puissant contre-exemple de ce que ne rien faire impliquerait. Le régime de substitution de l’économie marchande par l’État devrait alors se maintenir jusqu’à ce que cette dernière ait repris son autonomie. »
- Ce qui est possible
« Dès lors, la faillite n’est pas le désastre que l’on nous décrit, c’est une forme d’expropriation causée par le fonctionnement même du système capitaliste. Personne n’a confisqué le capital à ses propriétaires, ce dernier a simplement perdu sa valeur. La puissance publique peut alors, si elle le juge utile, reprendre l’entreprise pour la diriger, comme un repreneur classique, dans une direction qu’elle définit elle-même. Mais si elle ne le juge pas utile, elle peut proposer des solutions aux salariés.
Si la priorité doit être donnée à l’évitement de la crise sociale plutôt qu’à sa simple gestion, alors il est fondamental d’utiliser la capacité d’action actuelle des pouvoirs publics pour redéfinir les relations entre l’économie et la société. Cela est possible, dans un premier temps par trois actions simples : conditionner l’aide aux entreprises, envisager la socialisation des entreprises et protéger les salariés par une politique sociale ambitieuse. L’autre terme de l’alternative, c’est la poursuite du chantage à l’emploi et de la soumission du corps social aux intérêts du capital. »
- Ce qui est nécessaire
Bien évidemment, Il n’y a rien à attendre ni du gouvernement ni de la BCE pour s’engager dans une telle voie. Pour autant, la démonstration est faite. Il faut un organisme de crédit central, mais national, démocratique et d’utilité publique au service d’une politique d’intérêt général, ce qui impliquera de faire la distinction au départ entre les PME et les multinationales.
En effet, partant d’une économie hautement développée, tout le monde a vu que l’accumulation du capital ne sert plus qu’à enrichir des actionnaires. Le révélateur étant que les aides de l’état font surnager les PME, alors que les multinationales en profitent pour verser des dividendes.
Par conséquent, la monnaie suffit comme instrument de mesure des flux de quantité de travail échangés dans le process de production. C’est une source de crédit qui doit être ni plus ni moins qu’une anticipation de revenus futurs si les investissements correspondent à l’amélioration du bienêtre de l’ensemble de la société.
Le contre-exemple : C’est pour cette raison que les pays émergents font appel au FMI, alors que le but de cette organisation ne consiste pas à les amener à un stade d’autonomie, mais d’en faire une composante supplétive de l’économie américaine, interdisant toute formation de capital indispensable à la construction d’une économie interne solide (Martine Orange 7/05/20 »
Nous sommes bien à la croisée des chemins : le retour à la ‘’normale’’, ou au véritable changement.
C’est absolument vital car la reprise dans le carcan macronien de l’économie libérale, c’est la voie assurée vers le chaos et l’achèvement de la privatisation des services publics via les partenariats public -privé. (I.e. : voir l’article de Godin).
- Mais c’est là qu’il faut résoudre la plus grande des difficultés : Le faire comment ?
Dans cette période de concurrence exacerbée dans le cadre de la mondialisation, la justesse des revendications et la puissance des organisations syndicales ne peuvent pas faire céder le pouvoir si elles restent sur le terrain économique qui permet à l’oligarchie financière de diviser et soumettre la majorité de la population par le levier de la dette.
Avec la disparition ou la faiblesse des partis institutionnels dits de gauche, a disparu tout ce qui pouvait en période de crise systémique faire surgir les revendications économiques sur le terrain politique. Parce qu’elles s’inscrivaient dans la perspective d’une société socialiste pérenne seule capable de pouvoir concilier la satisfaction des revendications avec la liberté et le bienêtre, la bourgeoisie craignait de tout perdre.
Ce qui avait commencé avec ce que Marx appelait ‘’un spectre hante l’Europe’’ en 1848, incarné par la Commune de Paris en 1870 et continué avec la révolution russe, le communisme a été battu en brèche par le stalinisme et est devenu une chimère avec la chute du mur de Berlin.
Par conséquent, la démonstration apportée par la crise du covid restitue la crédibilité d’une transformation socialiste.de la société, capable de convaincre les couches petites bourgeoises ou du moins d’en obtenir une bienveillante neutralité, pour autant que les moyens d’y parvenir ne soient pas ceux de la moralisation du capitalisme.
Avec qui ?
L’histoire ne se répète pas et les masses ne délégueront à aucun parti passé ou en devenir leur pouvoir tant elles ont expérimenté la gangrène de la bureaucratie et ses trahisons.
Pour autant, elles ont besoin de se centraliser face à un appareil d’état prêt à déchaîner la violence pour la défense de l’ordre établi, alors qu’elles ont tout intérêt à proposer un changement par des voies pacifiques.
Regroupés différemment pour des raisons historiques, l’avant-garde est constituée du prolétariat organisé dans les syndicats lutte de classe et les gilets jaunes. Ils ont toujours pris leurs responsabilités pour la défense de leurs revendications. La raison pour laquelle elles n’aboutissent pas et ne peuvent pas aboutir tient au fait que les dirigeants des syndicats refusent de prendre les leurs.
Les gilets jaunes nés d’un mouvement spontané a été capable de faire trembler le pouvoir sur ses bases en s’exprimant dans la rue. Les syndicats agissent au niveau de l’entreprise et sont confrontés à la fois au patronat et au pouvoir en place avec les limites que nous connaissons.
L’alliance entre les syndicats et gilets jaunes peut évoluer dans un rapport démocratique sur un projet de société fondé sur la défense de l’intérêt général, à condition que les syndicalistes se donnent les moyens d’emmener leurs directions plus loin qu’elles ne le voudraient dans la voie de la rupture avec la bourgeoisie.
En clair, la base a toujours pris ses responsabilités en ne cédant rien à la volonté de voir aboutir ses justes revendications, malgré la violente adversité que leur oppose le gouvernement. Par contre, les directions syndicales, non seulement ne les prennent pas, mais elles camouflent leur soutien au système en ne se situant jamais au-delà du terrain de la dénonciation. C’est pour cette raison qu’elles reconduisent sempiternellement des grèves et des manifestations sans lendemain.
De ces faits, elles se défaussent de leur rôle à promouvoir la lutte pour l’abolition du système capitaliste. Il faut exiger d’elles qu’elles resituent le syndicat sur ses fondements en mettant en avant les revendications de nationalisation et d’ôter la finance des mains privées.
La fin du confinement et la crise sociale qui va s’ensuivre va décupler les postures de dénonciation qui ne débouchent jamais sur des propositions de destitution du pouvoir actuel, sauf par les voies parlementaires habituelles.
On ne surmontera pas cette difficulté sans revenir sur la question que soulève Pinçot Charlot : https://la-bas.org/la-bas-magazine/textes-a-l-appui/monique-pincon-charlot-c’est-la-premiere-secousse-d’un-seisme-plus-profond ‘’le marché de la contestation sociale.’’
Autant il est nécessaire qu’il y en ait qui informent pour éclairer le jugement de leurs concitoyens, façon les échappés de la caverne de Platon. (Lanceurs d’alerte, journalistes, sociologues, certains économistes du CNRS etc.) autant il y a ceux qui en font commerce. C’est bien leur droit, mais c’est inacceptable de la part de ceux qui se sont portés à la tête d’organisation pour le changement.
VERS UNE ASSEMBLEE CONSTITUANTE
Macron porte le chapeau de la faillite du système capitaliste. En tant que Bonaparte des institutions de la Vème république, il concentre la question du pouvoir.
Tous les arguments militent pour exiger sa destitution, mais cette question ne peut pas être abordée sans mettre en perspective la constituante.
C’est une voie pacifique qui permet de réconcilier la légitimité et la légalité. Les circonstances mettent ce projet à portée.
En outre, cela permet de centraliser les forces de changement sans en passer par la férule des partis qui ne font que maintenir le parlementarisme, le meilleur paravent de la dictature de l’oligarchie financière depuis A. Thiers
J-P Battais 14/05/2020