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Huit questions en débat.

jeudi 2 juillet 2020, par Denis COLLIN

Ces huit questions et leur esquisse de réponse datent d’août 2008. Il m’a semblé utile de republier ce texte resté confidentiel.

I. Y a-t-il un “stade suprême du capitalisme” ?

Il n’y a pas de stade suprême du capitalisme, c’est-à-dire pas de développement historique s’accomplissant avec la nécessité qui préside aux métamorphoses de la nature. Le capitalisme se développe par phases ponctuées de crises majeures, des phases plutôt monopolistes et étatistes, des phases qui au contraire font une large place à la concurrence et à la déréglementation, des phases d’organisation « monocentrée » sous la direction d’une capitalisme dominant, des phases polycentriques marquées par la confrontation de plusieurs puissances. Mais rien qui permette de prédire une crise finale et pas de phase du capitalisme qui soit l’antichambre immédiate du socialisme.

II. Pourquoi, après la faillite patente de la social-démocratie et du “communisme” historique du XXe siècle aucun regroupement reprenant la tradition marxiste révolutionnaire n’a-t-il pu dépasser le stade groupusculaire ?

La faillite de la social-démocratie (en tant que parti de transformation sociale, évidemment) et celle du communisme historique procèdent toutes deux de raisons de fond et non comme le pensent les « marxistes révolutionnaires » de la trahison des dirigeants. C’est précisément parce que, finalement, l’explication finale de la faillite des deux vieilles « internationales »est limitée à cette prétendue trahison que les groupes « marxistes révolutionnaires » ont été incapables d’offrir une véritable alternative.En réalité, c’est à un certain marxisme lui-même qu’il faudrait s’attaquer et aux illusions qu’il charrie concernant le caractère révolutionnaire en soi de la classe ouvrière.

III. La révolution était-elle prématurée, l’état des forces productives ne permettant pas de changer brutalement les rapports de production ?

D’un certain point de vue la révolution est toujours prématurée puisqu’elle ne peut avoir lieu que dans les situations de crise politique et économique profondes et donc toujours dans les pays « objectivement » les moins prêts pour passer au socialisme. Lénine l’avait compris : l’impérialisme se brise toujours en son maillon faible.

IV. La bureaucratie n’était-elle pas inéluctablement liée à un système planificateur ?

La planification suppose un appareil de planification, d’autant plus important et complexe que l’économie est développée et diversifiée. Inversement un « socialisme de marché pur »(par exemple des coopératives ouvrières échangeant leurs produits sur un marché) reviendrait très vite au capitalisme pur. Est reposée la discussion sur les modèles de socialisme qu’avait initiée Tony Andréani.

V. La démocratie ne suppose-t-elle pas un long apprentissage ?

La démocratie n’existe nulle part. une réelle démocratie supposant la participation active de tous à toutes les affaires communes suppose une longue éducation. Les marxistes ont longtemps cru que le capitalisme finalement faisait lui-même cette éducation. C’est à l’évidence une erreur profonde. Le développement du capitalisme vide progressivement de toute substance les activités dans lesquelles les individus s’impliquent comme membres d’une communauté. La démocratie, telle que présupposée dans la tradition marxiste suppose un lien fort entre individu et communauté, lien que le capitalisme disloque. Autrement dit, loin d’être facile comme le pensait Marx,

VI. Qu’y avait-il d’utopique dans la pensée marxiste ?

Il y a au moins deux utopies dans la pensée marxiste. La première est la croyance au passage à une société sans État. La théorie et l’expérience enseignent que cette croyance a été des plus funestes. L’abolition des formes de la séparation entre État et société civile qui est présupposée dans le marxisme ouvre directement la voie à une société où l’abolition de l’État s’identifie à son extension totale. C’est la clé de ce qu’on a appelé d’un terme devenu creux, le totalitarisme. La deuxième dimension utopique du marxisme est son hyper-individualisme, paradoxal au regard des représentations courantes du marxisme,mais qui fonde entièrement l’utopie communiste telle qu’elle apparaît dans quelques textes où Marx se risque à faire de la cuisine dans les marmites du futur.

VII. Le marxisme n’était-il pas profondément (et trop) imprégné par la modernité occidentale ?

Le marxisme se pose comme l’accomplissement de l’histoire européenne et la réalisation de philosophie (cf. Marx). Cela l’a conduit d’une part à très mal mesurer le phénomène de la colonisation (ceci dit pour rester modéré) et ensuite à considérer peu ou prou que tous les pays devaient passer par les étapes qu’avaient suivies les pays d’Europe. Même la théorie de la révolution permanente de Trotsky reste dans ce schéma même si l’étape démocratique bourgeoise est fondue dans l’étape révolutionnaire pour les pays coloniaux et semi-coloniaux.

VIII. Comment les dominés pourraient-ils prendre le pouvoir et le conserver ?

Aucune classe dominée n’a pris le pouvoir. Les esclaves ont été crucifiés. Les paysans pauvres ont servi de masse de manoeuvre à la classe bourgeoise et intellectuelle des villes pendant les révolutions des XVIIe et XVIIIe siècle.Et pas plus la classe ouvrière n’a réussi a exercer le pouvoir. Ce sont des appareils d’intellectuels plus ou moins issus de la classe dominante qui l’ont fait en son nom (comme la bourgeoisie révolutionnaire parlait au nom du peuple tout entier). Il n’y a pas de transformation sociale radicale sans qu’une fraction notable des dominantes soit prête à l’assumer.

Denis Collin - Août 2008

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