Accueil > International > Vous avez dit souveraineté ?

Vous avez dit souveraineté ?

mercredi 6 janvier 2021, par Jean-François COLLIN

Il est beaucoup question de la souveraineté depuis quelques mois, notamment dans les interventions du Président de la République depuis le début de la pandémie.

Ainsi, dans son intervention du 12 mars 2020 annonçant le premier confinement, déclarait-il :

« Ce que révèle cette pandémie, c’est qu’il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché. Déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner notre cadre de vie, au fond à d’autres, est une folie. Nous devons en reprendre le contrôle, construire plus encore que nous ne le faisons déjà une France, une Europe souveraine, une France et une Europe qui tiennent fermement leur destin en main. Les prochaines semaines et les prochains mois nécessiteront des décisions de rupture en ce sens. Je les assumerai. »

Il a réaffirmé cette intention à l’occasion de ses vœux le 31 décembre 2020 :

« Notre souveraineté est nationale et je ferai tout pour que nous retrouvions la maîtrise de notre destinée et de nos vies. Mais cette souveraineté passe aussi par une Europe plus forte, plus autonome, plus unie. C’est ce que nous avons bâti en 2020. »

Il y a loin de la coupe aux lèvres, hélas !
Le 1er janvier 2021, le Sénat américain a adopté le budget du pays qui prévoit notamment 740 milliards de dollars (605 milliards d’euros) de dépenses militaires pour l’année 2021.
Les États-Unis dépenseront en un an 86 fois plus d’argent pour leur défense que l’Union européenne n’en dépensera entre 2021 et 2027. En effet, celle-ci a prévu de consacrer 7 Md€ à la fantomatique défense européenne au cours de cette période, à l’occasion du conseil européen du mois de juillet 2020 considéré par E. Macron comme un grand moment de la construction européenne (la Commission de l’Union européenne proposait de dépenser 13 milliards pour financer des projets de défense européens au cours de la même période, mais elle n’a pas été suivie par les États membres).
Si l’on veut considérer les choses sous un jour plus favorable, en additionnant les dépenses nationales des pays de l’UE consacrées à leur défense, elles atteignaient 281 Md $ pour les 28 en 2018, avant le départ du Royaume-Uni donc, soit 1,5 % de leur produit intérieur brut.
Seules la France, la Grèce et l’Estonie consacrent plus de 2 % de leur PIB à leur défense. En valeur absolue, la France est le pays qui y consacre le plus de moyens (39,2 milliards d’euros en 2021, soit 22 % de plus qu’en 2017) ; le Royaume-Uni était le second contributeur le plus important, son départ de l’UE signifie donc un affaiblissement dans ce domaine. L’Allemagne y consacre une partie moins importante de ses ressources.
Bismarck avait coutume de dire que la diplomatie sans les armes c’est comme la musique sans les instruments… cet aphorisme est malheureusement confirmé par la réalité des relations internationales.
L’écrasante supériorité militaire des États-Unis ne s’exprime pas seulement, et peut-être pas principalement sur les champs de bataille où ils connaissent des fortunes diverses. En revanche, dans les relations politiques et économiques, elle s’exprime pleinement.
En même temps qu’il adoptait le budget 2021, le Sénat a décidé de renforcer les sanctions contre les pays et les entreprises européens qui participent ou soutiennent la construction du gazoduc Nord Stream 2 qui transportera le gaz russe depuis Viborg et Oust Louga jusqu’à Greifswald en Allemagne.
Le renforcement des sanctions contre les entreprises participant à la construction de ce gazoduc est un véritable scandale du point de vue du droit international. Il s’agit d’un accord entre l’Allemagne et la Russie qui ne concerne en rien les États-Unis d’Amérique. Le gazoduc n’est pas construit dans les eaux territoriales américaines. Des entreprises de l’Union européenne et de la Russie réalisent des travaux. On peut penser ce que l’on veut de ce projet, que l’Allemagne considère essentiel dans sa stratégie énergétique au moment où elle abandonne l’énergie nucléaire, mais les États-Unis n’ont rien à dire à ce sujet. Certains pays de l’Union européenne ont fait connaître leur opposition à ce projet, comme la Pologne qui voit d’un mauvais œil tout ce qui renforce la position de la Russie. Mais elle ne dispose d’aucun moyen politique ou économique pour s’opposer à sa réalisation, bien qu’elle soit plus directement intéressée que les États-Unis. E. Macron ne soutient pas vraiment l’Allemagne et a déjà fait part de ses réserves sur le projet, sans pouvoir lui non plus l’empêcher. D’ailleurs, des compagnies françaises y participent.
De quel droit les États-Unis sanctionnent-ils des entreprises européennes par des moyens divers (saisie de leurs avoirs aux États-Unis, exclusion des marchés américains, augmentation des droits de douane, etc.), alors que toutes ces mesures sont contraires aux nombreux traités signés par les États-Unis avec l’Union européenne, aussi bien qu’aux règles de l’Organisation mondiale du Commerce ?
Au nom du droit du plus fort, il n’en est pas de meilleur.
La pratique américaine consistant à considérer que ses lois ont une effectivité extraterritoriale est connue. Elle leur a permis d’extorquer des milliards de dollars de pénalités à des entreprises françaises et européennes.
En même temps que les États-Unis renforçaient leur arsenal pour empêcher la réalisation du gazoduc Nord Stream 2, ils ont étendu le champ des sanctions prises dans le cadre du conflit qui oppose Boeing, le constructeur d’avions américains au bord de la faillite après l’échec retentissant de son dernier modèle de long-courrier cloué au sol bien avant la pandémie en raison des problèmes techniques et de sécurité qu’il rencontrait, et Airbus qui occupe une place de plus en plus importante sur le marché mondial. Les États-Unis ripostent en imposant des surtaxes sur les tarifs douaniers sur un ensemble de produits, en ciblant certains pays de l’Union européenne. S’agissant de la France, une partie des exportations de vin était déjà touchée par ces surtaxes de 25 % de droits de douane l’année dernière. En 2021 cette surtaxe est étendue à tous les vins et aux spiritueux.
Tout cela est parfaitement contradictoire avec les règles de l’organisation mondiale du commerce dont l’Union européenne et les États-Unis sont membres, mais qu’importe.
La riposte de l’Union européenne à ces diverses sanctions américaines a été terrible. Joseph Borel, le « ministre des affaires étrangères de l’Union européenne » a déclaré au cours de l’été 2020 (c’était avant que des mesures encore plus dures soient prises en ce début d’année 2021) « que ces mesures étaient inacceptables et contraires au droit international ».
Ces déclarations n’ont bien entendu été suivies d’aucune mesure de rétorsion prise par l’Union européenne.
Du côté français, la riposte est tout aussi terrifiante après l’annonce de l’extension des sanctions des surtaxes visant les exportations de vins français aux États-Unis. Notre gouvernement a produit un communiqué qualifiant « d’illégitime » la décision américaine.
On imagine les tremblements de terreur de l’autre côté de l’Atlantique…
Il faut préciser que tandis que nous nous passionnons pour les combats qui opposent Donald Trump à Joe Biden, les Républicains et les Démocrates sont parfaitement d’accord lorsqu’il s’agit de décider de sanctions unilatérales contre tel ou tel partenaire qui leur pose un problème politique, économique ou commercial, et dans ce cas contre nous.
Inutile d’attendre le salut de l’investiture prochaine de Joe Biden, car vous risquez d’être déçus.
Parler de souveraineté européenne dans ces conditions n’est qu’une fable.
L’Europe est l’organisation de notre impuissance collective face aux États-Unis aussi bien que face à la Chine, les deux puissances continentales qui dominent le monde.
L’Union européenne continue à signer joyeusement des accords de libre-échange avec le plus grand nombre possible de pays dans le monde.
Elle vient d’approuver un accord sur les investissements avec la Chine, en faisant semblant de croire que celle-ci allait respecter les règles européennes sur les subventions aux entreprises, presque interdites chez nous quand elles sont la règle en Chine, sur la fin du travail forcé dans les usines chinoises, imposé notamment aux Ouïgours. Je constate d’ailleurs que le jour où la présidente de la Commission européenne officialisait cet accord sur les investissements avec la Chine, en parlant naturellement d’un grand succès et des perspectives considérables qu’il offrait aux entreprises européennes, le parlement turc entamait la discussion d’un projet de loi sur les conditions du renvoi en Chine des Ouïgours, projet très bien accueilli en Chine.
La souveraineté n’est pas une vague idée. Elle signifie le droit pour un État et pour un peuple de décider librement des règles auxquelles il accepte de se soumettre, sur le territoire national qu’il occupe. Elle est la condition de la démocratie qui suppose que les règles de vie d’une Nation ne lui soient pas imposées par une volonté extérieure.
À l’évidence, nous en sommes très loin.
Le constat est posé, depuis longtemps, par le Président de la République lui-même. Mais la solution ne peut consister à réaffirmer que l’approfondissement de la construction européenne y apportera la réponse. Soixante ans de construction européenne témoignent du contraire.
On est en droit d’attendre des candidats à l’élection présidentielle, qui focalise déjà toutes les attentions, qu’ils nous disent précisément comment ils comptent répondre à cette question qui est au fond la plus importante pour les citoyens que nous sommes, puisqu’elle est celle de notre liberté.

5 janvier 2021
Jean-François Collin

Messages

  • Questions qui ne peuvent être éliminées et qui s’adressent non seulement aux dirigeants actuels de notre pays, mais aussi à ceux qui veulent prendre leur place et en particulier aux souverainistes, fort nombreux si on juge par la quantité de partis, de clubs et d’associations qui s’en réclament. On ne peut être souverain que si on peut se défendre, si on a "des armes à soi", comme le disait le grand maître de la politique moderne, mon bien aimé Machiavel. Quand on est un petit pays (ce que nous sommes, n’en déplaise aux spécialistes en rodomontades sur la "grandeur de la France"), la question de la défense suppose une défense citoyenne. Voici bien 25 ans, pour la défunte revue "Le marxisme aujourd’hui", j’avais recensé un livre du général Kepel qui proposait une approche radicalement nouvelle de la défense nationale, reposant sur la mobilisation du peuple et la défense civile. Ce sont des questions qu’il faudrait aussi discuter.

  • Il s’agit du général Copel. Par ailleurs, l’article est accessible dans les archives de La Sociale. C’est ici : https://la-sociale.online/archives_la_sociale/la-question-militaire.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.