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La décrépitude française et comment y remédier ?

samedi 16 janvier 2021, par Denis COLLIN

Il fut un temps où notre pays était dans le peloton de tête de la recherche scientifique. Nous avions une école de mathématiciens remarquables (il suffit de consulter la liste des médailles Fields), des chercheurs reconnus dans tous les domaines majeurs des sciences de la nature et nos élèves étaient parmi les mieux classés dans les classements internationaux. Mais ce temps est révolu et bien révolu.

La recherche française est « à la ramasse ». Les meilleurs chercheurs français vont travailler à l’étranger et notamment aux États-Unis. Et tout cela se voit, gros comme le nez au milieu de la figure, avec l’épidémie de Covid. Nous utilisons des vaccins allemands produits par des trusts américains pendant que les Anglais produisent leur propre vaccin et vaccinent à tour de bras. Les Chinois ont leurs vaccins chinois et le donnent ou le vendent dans leur zone d’influence et on sortira de l’épidémie en constatant que la Chine est vraiment devenue un géant mondial. Et dans ce nouveau paysage, la France s’effacera encore un peu plus.

Pourquoi en sommes-nous arrivés là ?

On peut distinguer trois raisons étroitement liées. La première est la faiblesse congénitale de notre bourgeoisie nationale, plus portée sur la « tonte du coupon » et la spéculation financière que sur l’audace productive. L’industrie française n’a été bonne que tant qu’elle était au fond une branche de l’État. Aviations, trains, nucléaires : voilà autant de domaines où avait pu s’exercer « l’ardente obligation du plan ». Dans les télécoms, il a suffi que l’État s’y mette pour que nous rattrapions notre retard et nous retrouvions dans le peloton de tête. Avec Giscard, changement radical : la mode est au désengagement progressif de l’État bien que les élites étatiques et industrielles continuent d’entretenir des liens étroits. Giscard pensait que, faute de pétrole, nous avions des idées et que vendre des idées était le bon moyen de devenir puissants, laissant à ces lourdauds d’Allemands et à ces arriérés d’Italiens la tâche peu glorieuse de produire des autos, de l’électroménager ou des machines-outils. Le patronat français a mis en œuvre cette ligne – dans sa grande majorité, car il y a des exceptions intéressantes – et notre appareil industriel s’est étiolé et a quasiment disparu dans de nombreux secteurs. Serge Tchuruk, qui présida à la liquidation d’Alcatel, un fleuron français de télécoms, avait inventé le concept d’entreprise sans usine et fut même décoré du prix du manager de l’année ! En automobile, nous sommes devenus déficitaires car la majorité des voitures des marques françaises sont fabriquées à l’étranger. L’électroménager est un désastre – essayez d’acheter un réfrigérateur français – et même l’agriculture est devenue déficitaire ! Nos élites sont vraiment fortes, très fortes.

Cette situation est liée à un choix qui commence avec Pompidou et qui consiste à faire de la France un pays entièrement soumis aux marchés financiers internationaux. Le marché peut tout ! Inutile de se faire du souci. On décide d’abord que l’État au lieu d’emprunter aux Français empruntera sur le marché mondial – c’est la loi de 1973, dite loi Pompidou-Giscard qui fut suivie par le célèbre emprunt Giscard, en obligations indexées sur le cours de l’or et qui a permis à l’État de rembourser en 15 ans 12,3 fois le montant emprunté, un record inégalé. Toutes nos félicitations aux brillants énarques et polytechniciens Wormser et Giscard. Le résultat est que la dette publique française est ultra-majoritairement détenue par les institutions internationales et notre pays est ainsi dans une situation très fragile. À titre de comparaison, le Japon et l’Italie qui sont très endettés sont endettés à l’égard de leurs concitoyens et être endetté vis-à-vis de soi-même est tout de même une situation plus confortable qu’avoir sous la gorge le couteau des créanciers.

De Giscard à Macron qui brade Alstom aux Américains, la ligne est continue. C’est encore pour permettre à la France de rester dans le grand maelstrom de la mondialisation néolibérale que Mitterrand capitule en 1982-1983 et organise le « grand marché » et les accords de Maastricht, puis l’euro – mis en œuvre quelques années plus tard par un autre gouvernement de gauche, le gouvernement de la « gauche plurielle » qui avait en son sein un certain Mélenchon. Quand les marchés financiers décident, il faut verser des dividendes aux actionnaires et c’est surtout à cela qu’a servi le fameux CICE mis en œuvre sous Hollande et poursuivi par Macron. C’est pour cette raison que SANOFI a permis à ses actionnaires de se goinfrer tout en liquidant des secteurs entiers de la recherche. Pendant ce temps Pasteur-Lille faisait la quête pour mettre un œuvre un médicament pour soigner le Covid et en éviter les formes les plus graves.

La troisième raison est que depuis un demi-siècle nous avons eu une collection incroyable de génies à la direction de l’Éducation nationale. Les réformes se sont empilées un rythme soutenu pour aboutir à la décrépitude totale de notre système scolaire. De Faure en Haby, d’Haby en Allègre, puis en Ferry pour finir en Blanquer avec un stage en Peillon et Vallaud-Belkacem, nous avons une remarquable lignée de malfaisants qui ont détruit en même temps l’enseignement littéraire classique et l’enseignement scientifique. Maîtrise de la langue ou maîtrise du calcul et des connaissances scientifiques de base, nos élèves sont au fond de la classe et en bas du tableau.

En CM1, la France est la dernière de l’UE en mathématiques et avant-dernière pour les classes de 4e, mais rassurons-nous dans quelques années quand nos actuels CM1 seront en 4e alors nous serons derniers partout. Concernant les sciences, la France est passée en dessous de la moyenne des pays de l’OCDE et de l’UE. Tout se passe comme si en 25 ans les élèves avaient perdu un an de scolarité. Ce qui se comprend facilement quand on sait que les horaires de chaque matière ont été rabotés et que les cours « farces et attrapes » en tous genres ont remplacé les disciplines objectives. C’est aussi le niveau d’exigence qui a été drastiquement abaissé : la « bienveillance » qui consiste à tromper des enfants et des jeunes adolescents sur leur véritable niveaux a tout pourri.

Toutes ces réformes destructrices ont été planifiées et réclamées par le patronat et par les élites ; elles ont été appuyées par les ânes savants du pédagogisme, par tous les amateurs d’école ludique, par tous les gauchistes mettant en œuvre sur le terrain leur refus de « l’école bourgeoise », par l’enseignement de l’ignorance (voir l’excellent livre éponyme de Jean-Claude Michéa, 1995) et par un syndicalisme majoritaire FEN-FSU qui, depuis longtemps, fonctionne comme une annexe du ministère et s’est converti à la « réformite ».

Comment sortir de là ?

Il faut reconstruire une industrie et une agriculture françaises. Le «  made in France  » est une bonne idée qui peut trouver un large assentiment. Mais pour cela il faut un plan, ambitieux, et des moyens nouveaux entre les mains de l’État. Mais pour permettre à Michelin de continuer à fabriquer en France, il faut taxer les pneus chinois à prix cassés qui envahissent nos marchés. Mais pour taxer les pneus chinois, il faut aller contre les règlements européens. Impossible, donc, de faire quoi que ce soit de sérieux sans remettre en cause les dogmes européistes et sans rompre avec les traités. Si Montebourg est conséquent, il ne peut se contenter des formules vagues en menaçant d’aller casser de la vaisselle à Bruxelles, il faut d’ores et déjà dire jusqu’où on devra aller et en préparer les conséquences.

Il faut ensuite cesser d’être sous la coupe des marchés financiers et donc retrouver la maîtrise de la monnaie. Pourquoi la banque de France n’émettrait-elle pas des bons obligataires échangeables, qui pourraient servir aussi de moyen de paiement. On pourrait même appeler cela des francs !

Enfin il faut un plan radical pour sauver l’école. Le plus simple serait d’abroger toutes les réformes depuis 1968 ! Peu praticable, cette solution peut guider nos pas.

* Augmenter le niveau de recrutement des professeurs et donc attirer vers l’enseignement les meilleurs des étudiants. Si un professeur de mathématiques à BAC+5 commence sa carrière à 50 % d’un informaticien ou d’un cadre commercial sorti d’une école de commerce, il y a peu de chance que les bons étudiants en mathématiques se précipitent sur les concours ! Donc revalorisation massive. On pourrait ajouter un plan de pré-recrutement – comme l’étaient jadis les écoles normales et les IPES.

* Recentrer l’école sur les « fondamentaux » : lire, écrire, compter, connaître les choses importantes de l’histoire de France et de la géographie. Supprimer les tablettes et chasser les téléphones portables. Si on n’a pas le courage de le faire, il ne faudra pas venir pleurnicher demain.

* Restaurer l’enseignement des langues anciennes dès la Sixième. On pourrait revenir à deux filières, classique et moderne. Et même à trois si on y ajoute dès la Quatrième une filière technologique et professionnelle.

* Restaurer les exigences, ne pas faire passer en classe supérieure des élèves à demi analphabètes, et renoncer à la notation « bienveillante » pour revenir à une notation normale, c’est-à-dire une notation qui pointe ce qui ne va pas et seule permet à l’élève de progresser.

* Au lycée, abroger les réformes Blanquer, Chatel et de Robien. Restaurer le baccalauréat comme examen final national premier grade universitaire.

* Redonner sa place à l’inspection et abroger la réforme Jospin de 1989 qui met les inspecteurs sous la coupe des recteurs.

* Interdire aux parents de venir se mêler de l’enseignement. Parents et élèves doivent réapprendre que, dans la classe, le détenteur de l’autorité est le professeur et personne d’autre.

* Mobiliser les professeurs en cessant de les infantiliser, en cessant de les tracasser par un « management » inspiré des pires méthodes du privé, en cessant de les assommer avec des réunions assommantes et des tâches administratives ineptes.

Voilà quelques idées pour un gouvernement qui voudrait vraiment engager le redressement de notre pays.

Le 15 janvier 2021