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Le décolonial, un discours de gauche ?

lundi 8 février 2021, par Jean-Paul DAMAGGIO

« Françaises, français, vous avez été nuls, et vous l’êtes encore ! » Telle est la petite musique quotidienne déversée par les grands médias. D’ailleurs vous avez été des colonialistes et il serait tant d’y penser ! Dans ce contexte le discours décolonial se présente comme un discours révolutionnaire, alors que c’est l’inverse dans les faits ! Quoi, la France n’aurait pas été colonialiste ? La classe dominante l’a été réussissant à entraîner le soutien d’une bonne partie de la classe dominée. Mais l’histoire ne s’arrête pas là !

En mai 1871 un fonctionnaire français subissant le siège de Tizi Ouzou conduit par les révoltés kabyles, en tire cette conclusion :

« Le gouvernement de la France saura toujours conserver l’Algérie, non comme les Espagnols, les Italiens, les Anglais, en régnant par la force, mais en faisant appel à la reconnaissance des peuples qu’il protège et civilise. »

Voilà pour le discours colonialistes au nom de la civilisation ! Mais autour de 1906 un autre Français déclare :

« Il nous dit aussi telle quelle est, la malheureuse vie de ces nègres, véritables « chair noire (1) » jetée en pâture aux instincts grossiers de trafiquants plus ou moins galonnés, qui sans impunité, sous prétexte de civilisation, pillent, tuent, éventrent et anéantissent les indigènes terrorisés. Durant des années il a vu la monstruosité des traitements infligés à ces malheureux et son âme s’est soulevée de colère. »

Les anticolonialistes ont existé (sous des formes diverses) et l’homme que je viens de citer ne s’est pas contenté de colère, mais dénonça clairement l’injustice. Peu importe son nom dont on me dira, c’est l’exception qui confirme la règle, or il ne fut pas seul !

Le discours décolonial s’explique par deux phénomènes dont l’un est souvent oublié : oui la France a connu les plus grandes révolutions… et par conséquent, les plus grandes contre-révolutions !

Côté révolutionnaire, pour faire oublier l’adversaire, on inventa ce mythe : la droite est en France la plus bête du monde.

Côté contre-révolutionnaire a été pointé le consensus sur le colonialisme.

Mais faisons un détour par un pays qui, tout en étant colonisé, est un thermomètre de la révolution, le Mexique, qui a d’ailleurs servi de modèle pour la rédaction de la loi de 1905, et que Napoléon III tenta de coloniser pour mieux combattre les USA.

Le nouveau président AMLO (2) devait mettre en marche une «  Quatrième Transformation  » (le mot révolution étant piégé), après les ambitions, du curé Hidalgo père de l’indépendance, de Benito Juarez, figure tutélaire du libéralisme et du patriotisme, de Francisco Madero, défenseur d’une République transparente et morale.

Pays toujours colonisé, AMLO va de reculs en reculs malgré un soutien populaire exceptionnel. Aujourd’hui les trois partis d’opposition cherchent à s’unir pour le faire tomber : le PRD de gauche, le PRI du centre, le PAN de droite (dans l’ancien catalogue politique). AMLO vient du PRD et où il a constaté comment ce parti a jeté la gauche dans les bras de la droite. Peut-il réussir face aux embûches ? L’étude de son parcours est un indice des évolutions politiques actuelles dans le monde, d’autant que, s’il a face à lui, toute la classe politique réunie, il est confronté aussi à cette autre fausse révolution : le crime organisé.

Alors dans tout ça, le discours décolonial en France ? Le Mexique même sans le poids colonial sur son histoire, a perdu sa gauche, et cherche difficilement une relance du processus émancipateur. En France l’essentiel de la gauche pousse les démocrates à creuser leur propre tombe car, à l’exaltation des anticolonialistes d’hier, d’ici et d’ailleurs, elle préfère la culpabilisation générale des « Français », avec le plus souvent des discours en dehors du contexte.

Il est indispensable de comprendre que le système actuel (pas seulement Macron et pas seulement en France) a besoin de révolutionnaires de salon, quand le précédent combattait tous les révolutionnaires !

Quand une bonne part de la gauche célèbre le décolonial (plutôt que les anticolonialistes) elle scie la branche sur laquelle elle est assise, avec le soutien constant et peu surprenant des grands médias. Et ce point n’est pas inquiétant en soi, il devient dramatique car il nuit à la construction d’une alternative émancipatrice.

J-P Damaggio

2Notes2

(1) Il existe un roman de 1889 intitulé Chair noire qui est introuvable.

(2)Andres Manuel Lopez Obrador dont je m’étonne qu’on parle si peu de sa disparition depuis plusieurs jours pour cause de corona virus.