Accueil > Débats > Quelle fonction occupent aujourd’hui les propositions de Sécurité sociale (...)

Quelle fonction occupent aujourd’hui les propositions de Sécurité sociale professionnelle ou de revenu universel dans la lutte des classes ?

jeudi 25 mars 2021, par Jacques COTTA

En février 2012 je publiais « Un CDD sinon rien » aux éditions "Gawsewitch". Comme le nom l’indique, je traitais notamment dans ce livre la question du contrat de travail, la volonté toujours présente du patronat dans le champ social de voir substitués au contrat à durée indéterminé porteur de droits pour les salariés des contrats plus souples, expressions d’une grande précarité. Ce qui aujourd’hui est remis au détour de la crise sanitaire au goût du jour -intermittence, « ubérisation » du travail, temps partiel, etc…, a donc une longue histoire. C’est dans cette lignée qu’il est bon aujourd’hui d’apprécier certaines propositions qui se veulent novatrices. De la sécurité sociale professionnelle évoquée et défendue par Jean Luc Mélenchon au revenu universel cher à Benoît Hamon, toutes ces propositions s’inscrivent dans la marche du capitalisme. Ces propositions sont en réalité des armes mises à dispositions des classes sociales dans la lutte qui les oppose. Mais au service de quelle classe ? Celle des exploiteurs ou celle des exploités ? Celle du capital ou celle du travail ? Quelle fonction remplit donc cette gauche qui se veut imaginative face à une crise qu’elle se propose de régler ou simplement de gérer ?

Au point de départ, le contrat de travail

Durant des décennies, le CDI a été la norme. Les contractuels, les vacataires, les intermittents, les porteurs de CDD ou de tout autre contrat de travail marqués par la précarité étaient l’exception. Le CDI répondait à la volonté du patronat de s’attacher la main-d’œuvre et en même temps à la volonté du salariat attentif aux perspectives de carrière, notamment dans les grandes entreprises, et soucieux de droits protecteurs sur le marché du travail.

Les temps ont changé. Depuis les années 2010 le CDD est devenu la norme de recrutement. Au nom de la « modernité » il n’y aurait d’autre solution que de s’y adapter. En 2008 par exemple, 61 % des « déclarations uniques d’embauche » adressées par les employeurs à l’URSSAF concernaient des contrats à durée déterminée de moins d’un mois, c’est-à-dire installés dans la précarité. Dans les embauches des entreprises de plus de 10 salariés, sa part s’est élevée à plus de 75 %. Les chiffres aussi surprenants soient-ils sont éloquents. Les CCD submergent le monde du travail et au train actuel, le CDI vit sa dernière période avant d’être détrôné par les contrats précaires. De plus ces contrats portent souvent sur le temps partiel, nouvelle différenciation dans le statut de l’emploi.

Dans le privé, les contrats précaires répondent à la demande des employeurs qui désirent bénéficier d’une grande souplesse, celle de pouvoir « ajuster leur volume d’emplois aux variations de l’activité », de pouvoir embaucher en fonction des besoins du moment et de licencier aussi vite, avec un minimum de « coûts » à la clé.
Dans le public, c’est paradoxalement l’apparition des contrats à durée indéterminée qui remplit une fonction analogue, en cassant les statuts et en permettant ainsi de jouer sur les effectifs, de supprimer garanties et droits des fonctionnaires, de faire de l’emploi la principale variable d’ajustement en jouant sur les salaires notamment, de supprimer des postes en nombre important, sans avoir recours seulement au non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite, volonté affirmée par les gouvernements successifs de « droite » comme de « gauche ».

En règle générale, il s’agit de faire du travail et du salaire les principales variables d’ajustement afin de préserver les profits des directions générales ou des actionnaires, notamment dans des conjonctures fluctuantes. Sans entrer dans les détails, il est utile de souligner à ce stade que toutes les discussions sur le droit du travail et « la simplification du code du travail » qui ont eu cours avec Nicolas Sarkozy, François Hollande et Emmanuel Macron, les différentes lois Travail sous leurs présidences respectives, ont été justifiées par « une trop grande complexité » , nécessitant donc une refonte pour définir un contrat de travail qui serait « plus adapté à la situation économique » , « plus souple » , « plus flexible » , « plus simple » . Bref, l’objet réel derrière un jargon souvent complexifié à loisir est toujours le développement de la précarité des salariés au détriment de leur sécurité.

Et surgit la Sécurité professionnelle

Juste après son élection en 2007, Nicolas Sarkozy inscrit à l’ordre du jour la question du « contrat de travail unique » qu’il avait évoquée durant la campagne électorale. Pour répondre au souci des employeurs, il se propose alors de regrouper sous un même contrat de travail les différentes formes existantes, permettant ainsi à la fois la flexibilité désirée et l’absence de recours juridique de la part des employés en cas de différend avec leurs employeurs. Les propositions présidentielles s’appuient sur une série de travaux qui depuis une dizaine d’années traitent partiellement cette question, du « contrat d’activité » avec un groupement d’employeurs issu du rapport Boissonnat, aux rapports officiels qui ont fleuri en 2003 et 2004, en passant par la fameuse « sécurité sociale professionnelle » introduite par la CGT en 2002.

La sécurité sociale professionnelle, nous y voilà. Selon les propositions de la centrale syndicale, les droits ne seraient plus attachés au contrat de travail, mais à la personne, donc transférables d’une entreprise à une autre, et opposables à chaque employeur : « droit à la formation continue », à « la santé », à « la retraite », à « l’emploi », à « la carrière », à « la démocratie sociale ».

En 2006, la CFDT se mêle du sujet et demande « des garanties collectives » visant « la sécurisation des parcours professionnels », « la validation des acquis d’expérience », « l’extension du droit individuel de formation », « la continuité des protections sociales complémentaires », « l’équivalence des droits entre les différentes branches professionnelles »...

Ni le gouvernement, ni le Medef, pourtant si prompts en général à user de l’argument des déficits pour s’opposer à toute mesure sociale, n’abordent alors la question du financement de ces droits pour leur éventuelle mise en œuvre. Là n’est pas l’essentiel. Le patronat voit en effet l’avantage inespéré qu’il peut tirer des propositions syndicales. Derrière ces propositions se cache en effet la remise en question du statut du travail, les droits des salariés étant déconnectés du contrat de travail et de l’emploi occupé.

Ainsi, des propositions présidentielles qui reviennent toujours, sous une forme ou une autre, « pour un contrat de travail unique » dont les garanties dépendraient de l’ancienneté dans l’emploi, la principale concerne « l’assouplissement des règles de licenciement ».

C’est dans ce contexte que les débats sur la « flexisécurité » engagés tant par le pouvoir politique que par la CGT ou la CFDT, et par les organisations patronales, qui reviennent sur le devant de la scène périodiquement, prennent tout leur sens. Portée par la Commission européenne et par l’OCDE, la « flexisécurité » est censée officiellement combiner la flexibilité du marché du travail à la sécurisation des trajectoires des personnes. Mais la réalité est tout autre, éclairée par les organisations patronales qui s’engouffrent dans le débat. À la veille des élections présidentielles de 2012, l’Union des industries et des métiers de la métallurgie, le bailleur de fonds historique du Medef rendu célèbre en 2007 et 2008 par la mise en examen de Denis Gautier-Sauvagnac, lançait un « manifeste » en direction des futurs candidats. Sous la bannière de « la compétitivité », il est alors question de « réforme de la protection sociale » et d’« accroissement de la flexibilité ». Ainsi, la « flexisécurité » se propose « d’ajuster temporairement la durée de travail et les rémunérations des salariés à la hausse comme à la baisse en fonction de la conjoncture ». Dans la même veine, l’assurance chômage est jugée « trop généreuse pour les travailleurs temporaires », les « intermittents du spectacle » et les « salariés qualifiés ».

Et aujourd’hui

Les différentes discussions qui aujourd’hui sont engagées sur les questions de la sécurité sociales professionnelle, du revenu universel, de l’assurance chômage, des retraites, ou autres visent à trouver des moyens d’adaptation à une crise annoncée, dont les effets sont pour le moment différés. Ce sont des centaines de milliers de travailleurs de toutes professions qui vont être menacés dans leur emploi, leurs revenus, leurs conditions de vie. Avec eux, ce sont des millions qui devraient s’apprêter à subir les déflagrations qui nous serons présentées comme inévitables.

L’existence des intermittents du spectacle qui aujourd’hui occupent des théâtres pour expliquer qu’ils sont « sur le point de crever », leur démonstration digne des propos de Victor Hugo qui en son temps réagissait déjà sur des questions similaires, nécessite le maintien et le développement des droits liés à leur condition. Mais en rien la possibilité d’élargir leur absence de protection à toute autre profession. Développer les droits pour eux sans affaiblir quiconque, voilà un impératif qui devrait être partagé. Voilà pourquoi la proposition de sécurité sociale professionnelle aujourd’hui va à l’encontre de l’intérêt général.

La flexibilité, la précarité, le remise en cause du travail, la fragilisation du contrat, sa suppression, l’ubérisation sont autant de signes qui indiquent en effet le gouffre dans lequel le capitalisme en crise rejette des millions de salariés, de jeunes, de retraités. L’urgence est-elle de savoir comment préserver « avec le moins de dégâts possible » le capitalisme en crise, ou bien d’aborder la façon d’y mettre un terme, le système à lui substituer dans l’intérêt du travail et non seulement du capital ?

Les positions développées sur la sécurité sociales professionnelle par les organisations syndicales, reprises par Jean Luc Mélenchon notamment, celles qui concernent le revenu universel si cher à Benoit Hamon entre autre, ne sont que des tentatives illusoires d’adaptation à la crise, et en rien une tentative de réponse à sa résolution qui ne peut passer que par le combat pour reprendre en main notre destinée et redonner au travail les acquis qui lui sont ôtés par le capital. Ces propositions ne peuvent qu’affaiblir le monde du travail au prétexte qu’il s’agirait d’en aider certaines couches. Du pain béni pour des employeurs qui depuis des années cherchent sans la trouver la façon d’y parvenir.

Jacques Cotta
Le 25 mars 2021

Messages

  • L’évolution du droit et du statut du travail est lié à l’évolution du processus de production. Tout d’abord elle se fait, depuis les années 1980 selon une politique imaginée par l’ingénieur Japonais OHNO de production à flux tendus, c’est à dire zéro stock et chaque producteur devient le client et fournisseur de l’autre producteur. C’est à dire que chacun est devenu responsable par rapport aux autres et à l’ensemble des producteurs. Ainsi la production se fait donc en principe à la demande du consommateur. Il faut donc qu’elle soit capable de réagir et de passer à un rythme supérieur immédiatement. Cela n’alla pas sans transformation des qualification, du temps de travail et de la rémunération. C’est l’essence même de la flexibilité : flexibilité de la chaine, flexibilité du travailleur et de son statut. Cette méthode d’abord appliquée à l’industrie s’est répandue très rapidement ensuite dans le tertiaire et même la fonction publique sous la forme des objectifs à réaliser, individuellement puis collectivement. Bien entendu celui qui par ses absences au travail, sa lenteur d’exécution etc, bref qui ralentit la réalisation de l’objectif est sanctionné et peut l’être y compris par l’ensemble de l’équipe. La solidarité entre salarié a été sérieusement ébréchée. L’individualisation concurrentielle a brisé la solidarité. C’est à partir de cela que nous en sommes arrivé aujourd’hui à "l’auto entrepreneur" qui n’est qu’un salariat dépendant du travail confié par un patron mais sans les mêmes avantages sociaux et salariaux des salariés avec un CDI, la présence de syndicats dans l’entreprise etc.. Et tout "auto entrepreneur" n’est pas un start up, ces ovni apparus récemment dans le monde de l’entreprise qui peuvent utiliser les compétences de travailleurs avec un niveau de formation élevé sans qu’ils soient dans un contact salarié-employeur et qui apportent leur compétence pour "le fun". Enfin c’est ce qu’ils affirment, sachant qu’ils se font connaître et peut-être recruter plus tard. Mais c’est encore un autre monde ou les "règles" du droit du travail" ne s’appliquent plus....

  • Tout à fait d’accord avec l’analyse de JACQUES COTTA qui se place,en definitive ,en defenseur serieux du monde du travail.
    Si le syndicalisme PROGRESSISTE EXISTAIT,il menerait une campagne de longue durée pour expliquer que la REMUNERATION DES SALARIÉS devrait être regie par le SALAIRE A LA QUALIFICATION dans le cadre d’une Convention Collective Universelle construite par un shndicalisme de classe hors de porteer du capitalisme.Par exemple,la discrimination salariale Hommes/Femmes disparaitrait.Le salaire devrait ÊTRE indexé au coût de la vie reflétant exactement le coût des dépenses pour vivre Normalement (santé , loyer, éducation ,loisirs., nourriture, entretien vestimentaire,frais pour aller au travail , etc etc.... ) Bien sûr que la composition des éléments de cet indice devrait être définie par les interesses eux-MÊMES organisés dans un syndicalisme DIGNE DE CE NOM.......Et à mon avis la question cruciale pour les travailleurs,c’est d’etre considérés comme des ÊTRES HUMAINS LIBRES capables de decider de leur vie socialement et au travail.Cela signifie donc que le Droit Feodal dans l’Entreprise ( petite,moyenne,grande ) doit disparaitre pour que les travailleurs decident EUX-MEME DE LEURS CONDITIONS DE VIE,DE TRAVAIL.Et enfin le salaire devrait continuer lors de la fin d’activite,à l’age et conditions definies collectivement.Aucune prétention à étaler une " recette" car cela devrait ÊTRE construit
    par un SYNDICALISME DIGNE DE CE NOM.ET REPRIS POLITIQUEMENT.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.