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De Pedro Castillo (Pérou) à Evo Morales

mercredi 26 mai 2021, par Jean-Paul DAMAGGIO

Le 6 juin électrices et électeurs du Pérou vont se prononcer pour élire leur président ou présidente. Les résultats du premier tour ont surpris les observateurs car un inconnu est arrivé en tête (19%).

Un inconnu pour le microcosme médiatique et la bonne société.

Pour les 400 000 instituteurs du pays il était leur candidat car il a été leur dirigeant d’une puissante grève du syndicat SUTEP très fort dans le pays (2017) [1]. Cette communauté d’instits a joué le rôle du parti politique. Pedro Castillo porte le beau chapeau de sa région andine et il est devenu en quelques semaines le symbole de toute cette région marginalisée. Il ne faut pas entendre « instituteur » comme chez nous car il s’agit de personnes souvent misérables comme 60% de la population.

Au départ Pedro Castillo a été favorisé par des médias dominants soucieux de diviser la gauche, car même si elle n’existe plus depuis longtemps dans ce pays, elle avait sa candidate Verónika Mendoza.

Bilan : le petit indien donné au départ à 2% peut aujourd’hui devenir président du pays !

Tous les sondages le donnent encore gagnant, même si l’écart diminue, car en face, nous retrouvons une fois de plus Keiko Fujimori, qui fait figure de candidate d’extrême-droite.

Contrairement à la France, la bataille du second tour qui dure un mois est une campagne totalement nouvelle. Et cette fois elle l’est plus que jamais vu que Pedro Castillo est présenté comme un candidat d’extrême-gauche. La peur du communisme a envahi les réseaux asociaux. Vargas Llosa qui depuis 1989 est un adversaire acharné de la famille Fujimori a décidé cette fois de soutenir la fille de l’ancien président qui est pourtant aussi corrompue que son père avec plusieurs procès qui la menacent [2].

En France l’Express vient de titrer : « Pedro Castillo, un marxiste-léniniste aux portes du pouvoir au Pérou. » Un admirateur de Lénine ? Plutôt un admirateur de Mariátegui mais, pour faire peur, le nom de Lénine est plus parlant !

Pedro Castillo, un double d’Evo Moralès ? Ses opposants ne cessent de le répéter or la situation est bien différente.

Elle est à la fois plus fragile et plus solide.

Elle est plus fragile car Evo Moralès s’est appuyé sur un parti politique, le M.A.S. a l’implantation ancienne alors que le parti de Castillo, Perú Libre est tout nouveau et peu implanté.

Elle est plus solide car Moralès a toujours joué la carte interclassiste avec l’intellectuel García Linera comme vice-président. Pedro Castillo est seulement du côté des pauvres et ce sont eux qu’il a réussi à mobiliser car eux se sont reconnus en lui. Nous sommes dans une situation inverse aux habituelles campagnes électorales : il ne s’agit pas d’un candidat qui a convaincu des foules mais ce sont des foules qui ont fabriqué un candidat ! Pour lui, bénéficiant des stratégies de Lula, de Moralès ou même de José Mujica en Uruguay, il n’est pas question de les répéter.

Tout tourne autour de la question de la démocratie devenue le moyen pour les adversaires de la démocratie de se refaire une santé, après chaque défaite. Pour comprendre revenons à Evo Moralès. Quand il a fallu lui trouver un remplaçant, vu son interdiction de se représenter, Evo a préféré un ancien ministre économiste (Arce) à un homme du peuple (David Choquehuanca le vice-président) et aujourd’hui il s’inquiète. Si l’élection présidentielle fut un important succès pour le MAS, les élections régionales qui viennent d’avoir lieu, furent une défaite, et le parti est de plus en plus divisé entre sa tendance modérée et sa tendance populaire.

L’ancien sénateur péruvien Ricardo Napurí et grand observateur de son pays, indique :

« La démocratie dégénère à mesure que la société capitaliste dégénère. Et comme la société capitaliste dégénère beaucoup plus pour les secteurs marginaux, c’est-à-dire les secteurs opprimés, ça devient une fausse démocratie. »

L’appel à la démocratie est donc devenu une force des oligarchies !

Ceci étant le président devra s’inscrire dans la constitution actuelle qui ne lui donne pas la majorité au Parlement.

Oui mais quel est son programme ? Quand les adversaires le désignent comme marxiste-léniniste, je leur fais confiance. Pedro Castillo serait à la fois à gauche sur les questions économiques – il plaide pour plus d’État, la nationalisation des mines ou du pétrole et fait le vœu d’une nouvelle Constitution pour remplacer celle de 1993 donnant la primauté au secteur privé –, et à droite sur des questions de société – il est antiavortement ou contre le mariage pour tous. Tout indique que depuis longtemps ce clivage droite/gauche n’existe plus au Pérou et pourtant il faudrait y revenir. Le combat pour l’IVG serait de gauche ? Mais alors pourquoi au Nicaragua, au Venezuela, dans le Brésil de Lula, gouvernements classés à gauche, le droit à l’IVG est totalement absent ?

Dina Boluarte Zegarra, la candidate à la vice-présidence (en France c’est un poste qui n’existe pas car il ferait de l’ombre au candidat) est du même parti, Perú Libre (généralement il y a une entente avec un autre parti pour élargir la base). C’est une avocate de 58 ans qui vient de l’Apurímac mais qui vit dans un quartier de Lima, Surquillo.

J-P Damaggio


[1Depuis il est devenu entrepreneur.

[2Si elle est élue elle peut devenir la septième présidente en prison dans le pays. Pendant la campagne tout procès s’arrête mais il peut reprendre même si elle est élue (elle est accusée de blanchiment d’argent.