A l’allure où vont les choses, dans moins de dix ans, nos sociétés qualifiées de modernes seront complètement déshumanisées. Aujourd’hui, pas un problème posé à notre quotidien ne trouve d’autres réponses, de la part des politiques, que la communication digitale, la numérisation, les plateformes, etc. etc.
Ainsi, la solution à l’anxiogène problème des déserts médicaux passerait par la Téléconsultation. Même si ce moyen moderne ne doit pas être rejeté d’emblée, il doit être sérieusement encadré. De toute façon, il ne peut être la réponse à la pénurie de médecins.
De manière exceptionnelle, tout au moins déclarée comme telle, du fait du COVID, le Gouvernement avait élargi le rayon d’action de la Téléconsultation, au-delà du département. Comme l’indique l’adjectif « exceptionnel », cette période devait avoir une fin et donc retrouver son rayon d’action départemental. Mais ceci ne semble pas être du goût de la sénatrice LREM de l’Eure, Nicole Duranton, qui a saisi le Ministre de la Santé pour faire tomber le périmètre départemental. En agissant ainsi, la parlementaire de l’Eure ouvre la boîte de Pandore.
Dans la période précédant le COVID, pour obtenir les remboursements de la Sécurité Sociale, la Téléconsultation devait respecter deux critères :
1) Etre réalisée, sauf exception, entre le patient et son médecin traitant.
2) Ne pas être pratiquée au-delà des 12 mois après une consultation physique du patient par son médecin traitant.
Ces deux critères avaient et ont pour intérêt d’éviter des dérives :
Multiplier les Téléconsultations sans examen physique régulier.
Transformer la Téléconsultation médicale en véritable supermarché de la santé.
En effet, depuis plusieurs années « le tourisme médical », notamment pour la spécialité dentaire, se développe à bas bruit avec des pays de l’Europe de l’Est et du Maghreb. Au cours des dernières années, concernant la médecine générale, la France a tenté de séduire des médecins étrangers à venir s’installer dans l’hexagone. Sans grand succès.
Ainsi, les intégristes du digital imaginent des consultations en distanciel, et comme semble le suggérer la sénatrice Duranton, quelle que soit la distance. Avec les sacro-saintes règles européennes de la libre circulation en tout genre, il serait ainsi possible de consulter à distance un praticien estonien, bulgare, hongrois, slovène ... et pourquoi pas chinois.
De fait, nos sociétés du 21ème siècle feraient leur la fameuse tirade« Si tu ne viens pas à Lagardère, Lagardère ira à toi » Sauf qu’en matière de santé, les dangers sont grandissimes pour les patients et vous devinez peut-être lesquels !
Même avec des règles départementales, la Téléconsultation ne réglera pas le problème des déserts médicaux. Pourquoi ?
L’immense majorité des médecins généralistes expliquent que leur activité est surbookée.
Prenons l’exemple d’un praticien qui consulte 9 H par jour. A raison de 25 à 30 patients consultés quotidiennement, cela fait entre 125 à 150 personnes examinées par semaine. Il semble évident qu’il n’y ait plus d’espace libre pour la Téléconsultation.
Voilà pour la disponibilité.
Voyons maintenant la manière de pratiquer.
Le médecin est dans son cabinet, face à son écran, OK.
Pour le patient, c’est un peu plus compliqué !
Soit on met à sa disposition une cabine de Téléconsultation en libre-service (style photomaton) ! Qui investit dans cet équipement ? Les collectivités locales ? Un groupement de médecins ? Qui assure le fonctionnement, la maintenance ?
Soit on installe des cabinets de Téléconsultations pourvus de personnel soignant qualifié.
Qui prend en charge :
l’investissement du cabinet ?
la maintenance et l’entretien du cabinet ?
le recrutement, la rémunération du personnel ?
On voit bien que la Télémédecine n’est pas la solution aux déserts médicaux.
De plus, quid de l’examen du corps ? Par ailleurs, les généralistes expliquent qu’ils ont besoin également de connaître le contexte moral dans lequel évolue le patient ou la patiente, familial, professionnel, etc. pour soigner la pathologie. A ce jour, les seuls exemples donnés en pâture sont ceux exercés dans des maisons de retraites, là où l’équipement est facile à installer et où du personnel qualifié est présent.
Quelques expériences sont également tentées dans des hôpitaux ruraux. La seule solution passe par l’installation de médecins généralistes là où il en manque et pas seulement en zone rurale. Hélas, les jeunes médecins ne sont pas enclins à s’installer en zones rurales, pour de bonnes et parfois de mauvaises raisons.
Au cours du quinquennat de Nicolas Sarkozy, il avait été tenté d’instaurer un maillage d’établissements de médecine générale comme cela existe pour les pharmacies d’officine. Mais les syndicats ou associations d’étudiants en médecine firent savoir qu’il était hors de question de subir des diktats en matière d’installation.
Dans cette même période, les jeunes médecins expliquaient ne plus vouloir exercer de manière isolée. Ce message fut entendu par de nombreuses collectivités locales qui construisirent des maisons médicales ou autres maisons de santé pluridisciplinaires. Aujourd’hui, l’ensemble du territoire national est pratiquement doté de ce genre d’établissement. Ce n’est pas pour autant que des médecins les rejoignent !
Il faut donc chercher ailleurs la solution.
En 2017, en vue de préparer une loi pour réglementer l’entrée à l’Université, une étude parlementaire révélait de cruelles vérités sur la vie étudiante.
Pour une année universitaire, le budget moyen pour un étudiant était de 11.000 € (logement – nourriture – santé – frais universitaires) L’aide publique maximale était de 555 € mensuels sur 10 mois. Les étudiants victimes de cette situation sont issus de familles d’ouvriers, d’employés et de professions intermédiaires. Cela oblige 73 % d’entre eux à avoir une activité salariée, dont la moitié à mi-temps et un tiers à temps complet. En 2017, cette situation s’était aggravée de 10 points, comparativement à la génération précédente. Au final, un étudiant sur cinq vit sous le seuil de pauvreté. Comment étudier sereinement dans de telles conditions ?
A cela s’ajoute l’insalubrité et l’exiguïté des résidences universitaires. Cette situation ne s’est pas améliorée, au contraire, car le Président Macron a dû considérer que la situation sociale était tellement généreuse qu’il a supprimé 5 € à tous les bénéficiaires de l’Allocation pour le Logement. Ainsi, si l’on veut apporter une solution durable au problème des déserts médicaux, il faut s’adresser aux 73 % d’étudiants qui ne peuvent étudier sereinement, faute de temps disponible consacré exclusivement aux études supérieures.
Dénoncer une situation sans proposer des éléments de solution me paressant peu crédible, voilà vers quoi il faudrait se tourner. Il faudrait créer une offre d’aide pécuniaire pour les étudiants en précarité sociale, assurée par l’Etat pour toute la période d’études. En contrepartie, l’étudiant bénéficiaire s’engagerait à accepter l’un des postes vacants de médecins généralistes ou de spécialistes qui lui serait proposé à l’issue de ses études, pour une période fixée par la loi.
Ce système existe déjà dans la Fonction Publique de l’Etat, il pourrait servir d’exemple.
Il va de soi que ce système ne serait utilisé que pour les zones déficitaires. Pour ce qui est de la prescription médicale, elle resterait, bien évidemment,une exclusivité du praticien en vertu du « Serment d’Hippocrate » Hélas, les politiques, toutes tendances confondues, ne semblent pas enclins à initier cette démarche.
Seul le numérique a grâce à leurs yeux. Or, la Téléconsultation n’a pas été inventée pour améliorer la politique de santé, mais pour tenter de pallier la carence du système économique et sociétal.
Sans une forte mobilisation de la population, rien de concret et d’efficace ne se fera.
Attention au crash médical !!!