2020 : La commune de Moissac élit un maire RN (47% au premier tour, 62% au second tour)
2021 : Le canton de Moissac élit un binôme RN. Au second tour, score sans appel : 62% et 65% sur la commune de Moissac. Au premier tour Romain Lopez devient une anomalie dans le Sud-Ouest.
Que nous apprend cette situation concrète sur sa stratégie et celle de ses opposants ?
Moissac dont j’étudie l’histoire depuis quarante ans [1], est une petite ville connue mondialement pour son cloître [2]. Politiquement elle était une commune radicale dans un département radical jusqu’à avoir longtemps un maire PS issu du PSU.
La stratégie de Romain Lopez
La stratégie du RN essaie de faire évoluer celle du FN depuis 1984 : seul contre tous et tous contre lui. Un parti à la fois contre la droite et contre la gauche que J-M Le Pen avait symbolisé par la formule : non à la bande des quatre (PCF-PS-Centre-Droite).
Dans aucune démocratie aucun parti ne gagne seul, en conséquence le FN puis le RN s’est condamné à vivre dans l’opposition, une stratégie limitée, mais de ce fait solide.
Romain Lopez attaché parlementaire de Marion-Maréchal Le Pen prône depuis longtemps l’union des droites, leçon que cette dernière a tiré de son expérience en PACA et qu’il a transplanté à Moissac où il est historiquement implanté. Son succès est-il la preuve du bien fondé de cette position : un RN à droite donc contre la gauche ?
Il se trouve que le même jour les élections régionales à Moissac donnent au le RN seulement 43% au second tour, au coude à coude avec la gauche. Avec 65% Lopez démontre donc qu’il est capable d’unir bien au-delà du RN ! (20% de plus !) Laissons les pourcentages pour regarder le nombre de voix RN : régionales 1540 voix, départementales 2391.
Inversement la gauche fait 1527 aux régionales et seulement 1240 aux départementales avec un binôme dont le candidat PRG est très connu car ancien président de l’intercommunalité, où il est à présent vice président aux finances. Notons cependant qu’aux régionales il y avait trois listes et seulement deux binômes aux cantonales.
Ce succès intervient au moment même où le RN subit un échec historique réel aussi dans le département de Lopez, le Tarn-et-Garonne : il y avait deux élus sortants au Conseil régional et il n’en reste qu’un. Le dirigeant historique de ce parti perd son poste de conseiller municipal de Montauban en 2020 et de conseiller régional en 2021. Romain Lopez n’a jamais caché que localement son modèle est Brigitte Barèges maire LR de Montauban qui, à un moment, pensa s’unir avec Robert Ménard pour une liste aux Régionales dont un sondage leur donnait 16% (mais on sait la valeur limitées des sondages). Puis elle a été condamnée et inéligible.
Sauf qu’en PACA où Marion Maréchal-Le Pen avait failli être élu, c’était cette fois un transfuge de LR qui conduisait la liste… sans succès. Un porteur de cette idée d’union des droites ? D’ailleurs le même phénomène s’est produit en Occitanie où le parachuté était un ancien UMP à la place de Louis Aliot. Et en Rhône-Alpes-Auvergne la tête de liste était un transfuge de LFI. Marine Le Pen a voulu mettre en avant des candidats « d’ouverture » mais sans succès.
En fait, plus qu’une stratégie d’union des droites Robert Ménard a expliqué que le RN avait surtout besoin de figures capables d’assumer leurs responsabilités. Du vote pour une étiquette (réflexe de l’électorat FN) il faudrait passer au vote pour une figure, phénomène devenant d’autant plus urgent, quand l’étiquette perd de sa valeur. Pour accéder au pouvoir Marine le Pen banalise le RN alors que son électorat est un électorat en colère qui de ce fait, s’y retrouve moins.
Le cas de Moissac confirme que le RN est à la croisée des chemins.
Un avenir possible construit sur des membres compétents ou un retour vers la marginalité ? Cette question a une utilité pour définir la manière d’agir contre ce parti.
La stratégie de ses opposants à Moissac
Pendant l’Occupation Moissac a protégé des enfants juifs gagnant ainsi le titre de ville des Justes [3] et les opposants ont beaucoup utilisé cette image : comment la ville des Justes peut-elle tomber entre les mains d’un fasciste ? D’où ce vieux débat à gauche : le FN-RN est-il un parti fasciste et dans ce cas qu’est-ce que le fascisme ?
Depuis très longtemps je conteste cette assimilation du RN au fascisme ce qui peut me faire passer pour un soutien du RN qui, lui, prétend même qu’il n’est pas d’extrême-droite !
Je sais qu’invoquer le fascisme c’est convoquer l’histoire pour rendre le RN horrible mais qui entend ce discours ?
A Moissac justement, en 1935, au cours d’une réunion publique des Croix de Feu, un jeune a été assassiné par un de ses camarades du rugby, un vrai fasciste, et ce fait est oublié par les opposants de gauche du RN, peut-être parce qu’il confirmerait l’écart entre le fascisme d’hier et le RN d’aujourd’hui [4] !
Qu’il y ait au sein du FN puis du RN des fascistes je suis près à l’entendre mais la stratégie de ce parti consiste à jouer le jeu électoral même à un moment où ce « jeu » devient de moins en moins crédible.
L’accusation de fascisme du RN masque en fait la profonde maladie de notre démocratie, et affiche une incapacité à la penser et à la combattre. Sans chercher à surprendre je prétends que le dit fascisme est plus présent dans la vie médiatique qu’au FN !
Depuis 1984, barrer la route au FN est devenu le slogan le plus vide de sens que je connaisse et, à le contester, on passe aussitôt pour un faible face à l’horrible. Or les partis héritiers de la gauche portent des responsabilités, dont le score du FN-RN n’est que l’effet.
A Moissac, le PRG a cru utile pour lui, d’engager une guerre contre les vestiges du PS, et la droite victorieuse par défaut en 2014 n’a pas su s’unir en 2020 ! Ainsi Lopez a pu ramasser les miettes !
Mais, face à la dégénérescence des partis politiques, le RN est obligé de repenser sa stratégie. Ses opposants peuvent-ils, à Moissac et au-delà, repenser la leur, plus adaptée à la situation ? L’atomisation des organisations qui touche même les pays où les deux blocs étaient de tradition (sauf les USA) devient un fléau. D’un côté les électorats manifestent des envies massives de changement (le M5S en Italie, Podemos en Espagne, la campagne Mélenchon en 2017, le Brexit en Grande Bretagne etc.) de l’autre ces espoirs vite déçus voient s’étioler ces nouveaux mouvements et les conditions très différentes de leur existence n’empêchent pas ce même résultat : le M5S est en train de s’effondrer, Podemos se divise et LFI a perdu le nord. Dans les trois cas cependant un même constat qui vaut encore plus pour le PS : l’incapacité à mobiliser les classes populaires. Une sociologie de la classe politique permettrait de saisir la coupure profonde entre elle et la société réelle, coupure qui empêche une analyse complète de l’histoire du FN-RN pour créer les moyens d’en sortir. Et qui fait que l’abstention est source de leur bonheur !
Jean-Paul Damaggio