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Nouvelle "guerre froide" ?

Défendre une position internationaliste

mardi 18 janvier 2022, par Denis COLLIN

Les tensions entre les USA et la Russie passent au second plan des préoccupations des médias, occupés qu’ils sont à entretenir la peur du Covid. Biden et Poutine ont entrepris des discussions, mais les deux chefs d’État se présentent comme intransigeants. Au cœur des tensions, la question de l’Ukraine que les États-Unis veulent voir entrer dans l’Otan et que Poutine voudrait au moins neutraliser, en entretenant une guerre larvée dans le Donbass.

Washington et Moscou

Si l’on considère les deux parties en présence, l’une ne vaut pas mieux que l’autre. Le régime des oligarques russes n’est vraiment pas démocratique, mais il faut une conception très singulière de la démocratie pour qualifier ainsi le complexe militaro-industriel qui gouverne à Washington sans que puisse émerger une quelconque alternative. Mais au-delà de cette apparente symétrie qui renverrait dos à dos les deux protagonistes, il est bon de se rappeler que les États-Unis n’ont jamais perdu de vue leur intérêt stratégique qui n’est ni plus ni moins que le contrôle de la Russie transformée en vassal, comme ils ont réussi à vassaliser la Grande-Bretagne et l’Europe occidentale. Rappelons aux amateurs de démocratie que les États-Unis, après la fin de l’URSS ont commencé à démanteler la Russie et ont fait tout ce qui était possible pour empêcher que se maintienne une quelconque unité entre les différents États qui composaient la « Confédération des États Indépendants », qui était censée remplacer l’URSS, et ce en dépit d’un référendum populaire qui demandait massivement le maintien de la coopération entre les anciennes républiques soviétiques. En 1996, Boris Elstine remporta le deuxième tour de la présidentielle, grâce à une fraude massive, organisée par les agences américaines sur place — alors que tout le monde pensait que le candidat communiste Guennadi Ziouganov devait l’emporter. On souvient comment les privatisations massives eurent lieu sous la présidence hautement alcoolisée d’un homme devenu une véritable épave. C’est ainsi que le très rusé et très fourbe ancien agent du KGB, Vladimir Poutine, qui était un des proches de Elstine a réussi à s’emparer du pouvoir après la démission du président en titre en 1999. Politicien habile et redoutablement intelligent, Poutine a su reprendre en main la Russie, redonner à son peuple une certaine estime de soi, enrayer le déclin de ce pays qui est à la fois la deuxième puissance militaire mondiale et une très moyenne puissance sur le plan économique — le PIB de la Russie est au niveau de celui de l’Espagne.

Poutine a bénéficié de la bêtise crasse des dirigeants européens. Alors qu’une bonne partie de l’Europe et notamment l’Allemagne dépend très directement de la Russie pour son approvisionnement en gaz et que, d’un autre côté, Poutine était demandeur d’une coopération étendue avec les autres pays d’Europe, les dirigeants des pays de l’UE, obéissant comme des petits toutous aux maîtres successifs de la Maison-Blanche, ont imposé à Moscou toute une série de sanctions économiques, notamment concernant les exportations de produits agricoles, sanctions qui ont pénalisé l’agriculture de l’Europe occidentale, tout en donnant à Poutine l’occasion de relancer l’agriculture russe, laquelle se trouve maintenant en bien meilleure position qu’il y a quelques années. De fait, c’est maintenant la Russie qui fait le cours du blé, alors que pendant des décennies les États-Unis avaient concentré tous leurs efforts pour conserver cette maîtrise. Mais que les Européens paient les pots cassés des volontés américaines, les présidents américains ne s’en soucient pas et pas plus les dirigeants allemands, français ou italiens, qui sont, sans doute à leur insu, soyons charitables, des agents d’influence américains et ne sentent plus guère responsables de leur propre pays.

Pologne et Ukraine

Si on peut décrire Poutine comment comme un froid joueur d’échecs, avançant ses pions sans se faire arrêter par des considérations morales, en matière de cynisme il a en face de lui de rudes concurrents qui ont fait de l’indépendance de la Pologne et de l’Ukraine de simples instruments de pression sur Moscou. On comprend que les Polonais craignent les Russes et qu’ils aient besoin d’assurance quant à la survie de leur pays. Mais faire monter la tension avec Moscou reste le plus sûr moyen de rendre instable la situation de la Pologne. Une coopération franche avec Moscou aurait permis et permettrait encore d’imposer des assurances quant à la sécurité de la Pologne.

Le cas de l’Ukraine est plus compliqué. Kiev est le berceau historique de la Russie ! Une bonne partie de l’Ukraine fut jadis sous la domination polonaise. Mais l’Ukraine est devenue une nation, avec son propre sentiment national, très opposé à la domination russe, semble-t-il. Entre la Russie et l’Ukraine, le contentieux est très ancien et remonte à la naissance de l’URSS : de 1917 à 1922 l’Ukraine forme une république indépendante, qui participe ensuite à la constitution de l’URSS après une brève histoire très tourmentée où les communistes de Moscou soumirent avec la méthode du moment, les communistes ukrainiens et les groupes anarchistes de Nestor Makhno. La collectivisation forcée des années 30 fut une nouvelle occasion de conflit. Grenier à blé de l’Europe, l’Ukraine a particulièrement souffert de la politique stalinienne visant à « liquider » les prétendus « koulaks ». C’est en Ukraine que la famine, imposée par Moscou, a atteint son paroxysme. Ceci explique qu’une partie des Ukrainiens se soient ralliés aux nazis (division Vlassov). Mais ce ralliement devait être de courte durée, car les nazis considéraient que les Ukrainiens comme tous les autres Slaves étaient des sous-hommes, à traiter comme tels. Et c’est ainsi que naquirent en Ukraine les premiers groupes de partisans qui organisèrent le harcèlement des nazis. Pour récompenser les Ukrainiens qui prirent une grande part à la lutte contre le nazisme, Khrouchtchev – longtemps dirigeant de Moscou en Ukraine - organisa le rattachement de la Crimée à l’Ukraine. Il ne fait donc pas de doute que l’Ukraine a droit la sécurité et à l’indépendance nationale – bien que le retour de la Crimée à la « mère patrie » ne soit pas non plus contestable. Le « jeu » que mènent d’un côté les groupes néonazis ukrainiens et de l’autre Poutine prend les peuples en otage. Mais cette situation découle des volontés ouest-européennes et américaines de rattacher l’Ukraine à l’UE et à l’Otan.

Une position internationaliste

La position internationaliste conséquente est de poser comme un principe intangible les droits des nations à disposer d’elles-mêmes, principe que Lénine lui-même avait affirmé à la création de l’URSS. Mais cela suppose aussi que l’on cesse d’encercler la Russie avec des bases américaines et des troupes de l’Otan. Il suffit de regarder une carte pour s’en rendre compte : Kazakhstan, Ouzbékistan, Turkménistan, sans parler du Pakistan, de la Turquie, de la Pologne et des pays baltes : autant de pays qui forment une véritable ceinture autour de la Russie. Cette situation a d’ailleurs poussé la Russie dans les bras de la Chine, alors que ce n’était pas du tout la première option de Poutine. L’intérêt de tous, mais pas celui des membres du complexe militaro-industriel, est de créer paix stable avec la Russie, sur la base d’une franche coopération. Avec la Russie telle qu’elle est et non telle que nous voudrions qu’elle fût. La France peut d’autant plus jouer un rôle dans l’établissement de cette paix et de cette coopération qu’il existe en Russie une vieille tradition francophile et en France une vieille russophilie !

En finir avec les prétentions à régenter le monde

Plus généralement, trop de « marxistes », de « gens de gauche », de « progressistes » de tous poils, ont pris l’habitude de vouloir régenter le monde selon leurs lubies. Jusqu’au fameux « devoir d’ingérence » promu par André Glucksmann, Bernard-Henry Lévy et Bernard Kouchner, qui trouva ses points culminants en Libye et Syrie… L’internationalisme ne consiste ni à raboter les différences, ni à « dépasser les nations », mais à « dépasser l’antagonisme entre les nations » car, comme le dit le Manifeste du parti communiste de Marx et Engels : « L’hostilité des nations entre elles disparaîtra avec l’antagonisme des classes dans la nation. » Mais chacun est attaché à ses coutumes, à ses manières de penser le monde et à son indépendance. On veut être maître chez soi ! L’internationalisme réel, sérieux, doit faire une synthèse entre la « paix perpétuelle » de Kant et la tradition internationaliste du mouvement ouvrier.

Si le régime russe ne nous plaît pas, tant qu’il respecte nos droits, nous n’avons pas à vouloir le changer. Seuls les Russes ont ce droit de changer leur régime. Comme tous les peuples l’ont fait avant eux avec leurs différents régimes, quand ils ne supporteront plus Poutine, ils s’en débarrasseront. Il en va de même avec la Chine. Nous ne sommes nullement obligés de nous laisser envahir par les produits de l’industrie chinoise, mais nous devons respecter l’indépendance et les droits de la Chine à décider de son propre destin. Mutatis mutandis, la même position devrait être tenue à l’égard des pays arabo-musulmans : nous avons le droit d’empêcher les prêcheurs de haine de venir semer la guerre civile chez nous. Nous voulons garder le droit de manger du porc, boire du vin et nous habiller comme bon nous semble sans être obligés de voiler les filles. Mais nous n’avons rien dire sur ce que font chez eux les Iraniens ou les Arabes. Sans doute serait-ce une bonne chose qu’ils respectent la liberté de conscience et les libertés personnelles élémentaires, mais cette opinion ne doit pas guider d’actions hostiles contre ces pays tant qu’ils respectent les droits des autres nations.

Tout cela est assez simple. Être internationaliste, ce n’est pas être « mondialiste », ni « cosmopolites ». C’est s’opposer à toute politique impérialiste et donc défendre les droits des nations à vivre selon leur propre naturel en toute sécurité. On se souvient que Robespierre était opposé l’exportation de la révolution à la pointe des baïonnettes. Restons résolument robespierristes !