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Les queues de poissons de la providence

mardi 15 février 2022, par Robert POLLARD

Réinventer l’État Providence : cette proposition vient conclure une analyse approfondie des causes de l’enrichissement des plus riches et de l’explosion à la hausse de leur patrimoine grâce à la pandémie. Elle est signée OXFAM Internationale, ONG d’origine anglo-saxonne ayant pignon sur rue dans presque tous les pays européens. Autant dire qu’ils savent de quoi ils parlent et que, mieux que quiconque, eux-mêmes ayant eu à faire face à des accusations dans le passé, discernent les dangers de cette situation pour les sociétés “libérales“ européennes.

L’État Providentiel ? « L’État a fait un cadeau insensé à BolloréL’État acquiert pour 31 millions d’euros les installations de l’oléoduc Donges-Metz qu’il devait récupérer gratuitement au terme de la concession octroyée au groupe Bolloré pendant vingt-sept ans. Pendant cette période, ce dernier s’est servi plus de 167 millions d’euros de dividendes. » (Médiapart le 27/01/2022) l’État — vous, moi et les autres —rachèterions donc à Bolloré ce qui de droit nous revient gratuitement. Insensé ? Regardant dans le bon sens cette “décision“ je perçois, en réalité, que ce cadeau représente les remerciements dus à leurs bienfaiteurs, d’exécutants ayant la reconnaissance du ventre : aucun des politiques responsables, du plus petit au plus voyant, n’a fait semblant d’oublier qu’ils étaient les obligés du Grand Capital et donc de ses représentants. Il suffit d’apprécier le degré d’amateurisme dont font preuve les membres de la commission sénatoriale qui aurait dû pousser Vincent Bolloré dans ses derniers retranchements afin qu’il explique réellement comment il comprend la démocratie. Quand lui et ses semblables concentrent entre leurs mains les grands journaux, les magazines, les radios, les chaînes de télévision… alors que tout cela vire, devant la commission d’enquête, à la « discussion du café du commerce », selon l’expression d’un journaliste. Ils avaient été pourtant précis et pugnaces, les sénateurs avec Benalla — bien que sachant se tenir en ne touchant jamais au cœur des responsabilités. L’Élysée son principal locataire, son entourage immédiat ne furent jamais sérieusement inquiétés, à notre connaissance.

La Providence est à l’œuvre et s’occupe bien de nos affaires, pour preuve cette splendide remontée de notre économie à 7% d’indice ! Tout à l’euphorie que lui procure ce signe de la Très Haute Providence (la THP), Bolloré le milliardaire, achète Hachette, y avait-il dans le nom de ce groupe une injonction provocante ? Il achète donc. Que va-t-il en faire, personne ne sait, sauf lui et il n’est pas encore sûr qu’il le sache déjà. Mais qu’importe, il a la puissance entre ses dix doigts comme l’autre trimbalait les dix commandements gravés dans le marbre ; ils ont fait leur temps, les « Dix Commandements  ». « Tu ne commettras pas de vol/tu ne tueras points/Tu ne convoiteras pas la maison de ton prochain, ni sa femme, ni son serviteur, ni sa servante, ni son bœuf, ni son âne : rien de ce qui lui appartient » elles ne sont plus rien que risibles toutes ces préconisations naïves et préjudiciables aux affaires d’aujourd’hui. Elles ne furent que très rarement respectées mais aujourd’hui, soyons clairs, elles sont purement et simplement oubliées et rejetées.

Macron a très bien servi ceux qui l’ont fait Roy. Qui s’en plaindrait autre que nous, les non-milliardaires qui sommes ici-bas pour alimenter financièrement ceux de là-haut ? Derrière lui se dissimule celui qui aurait étrillé, dépecé l’industrie française : Philippe Koehler, son conseiller, chef de cabinet, qui faisait déjà parler de lui au temps des restructurations des chantiers navals de Saint Nazaire, intervenant au profit d’une entreprise familiale de sa belle famille, mais l’affaire fut enterrée en toute légalité : pas de preuves suffisantes… à moins qu’elles ne resurgissent par ces temps d’élection , attaque du candidat Macron par la bande et Koehler pourrait faire l’affaire, l’ombre noire du Prince, le conseiller confident du Président. Il fut le seul à qui on chercha (un peu) des poux dans la tête dans l’affaire Benalla, où s’entremêlaient des accusations de port d’arme illicite par le Garde du corps et de pratiques diverses du même tonneau mais sous le regard négligent ou indulgent du secrétaire de l’Élysée, Philippe Koehler, qui ne fut d’ailleurs pas le seul à être cité à la barre. Cités, appelés à renseigner, rien de plus, or Benalla avait les épaules assez larges pour tout supporter, aidé d’un comparse gendarme réserviste et salarié de la majorité LREM, Vincent Crasse. La Commission mettraient le temps qu’il faudrait pour faire oublier les restes…

Malheureusement il n’y a pas que ces exploits qui s’évaporent des consciences, ou auraient tendance à disparaître du paysage de la politicaillerie. Le dialogue qui suit symbolise l’oubli Le 13 janvier… ? Quoi, le 13 janvier ? Ah, oui, la grève. Générale… hésite-t-elle. Paradoxal puisque se souvenant subitement d’une réalité qu’elle enfle jusqu’à son paroxysme : il y avait bien eu une grève unitaire d’ampleur ne concernant, cependant, qu’un secteur, celui des enseignants, même si ici ou là la manifestation avait reçu le soutien de catégories différentes et peut-être le furent-elle au titre de parents d’élèves. Grève puissante comme nous n’en avions plus vues depuis longtemps mais grève impuissante à imprimer les esprits, impuissante à faire obstacle à la stratégie immédiatement renouvelée des grèves dites “tournantes“ il n’y a pas si longtemps, accompagnées d’une perte d’énergie visible, toujours recommencées. 

« La cons­truc­tion théo­ri­que qui conduit de l’ana­lyse de l’exploi­ta­tion capi­ta­liste et de la dyna­mi­que du capi­tal à la cons­ti­tu­tion d’une classe ouvrière comme sujet révo­lu­tion­naire est un pur acte de foi. » écrit Denis Collin dans la lettre d’information « La Sociale » n°97. Question que beaucoup d’entre nous se sont posée sans toujours pouvoir y apporter ne serait-ce qu’un début de réponse : dans sa cohérence “primale“ la classe ouvrière au combat s’est constituée en bloc offensif comme ce fut le cas en Russie dès 1905, puis 1917, en Chine ou les paysans — surtout les paysans — se sont constitués en armée révolutionnaire, en Yougoslavie des ouvrières et ouvriers organisés, cimentés dans leur combat contre les Nazis… et bien d’autres exemples qui pourraient nourrir ces constatations de “bon sens“ ; or, dans presque tous les cas, les effondrements qui suivirent, quelles qu’en soient leurs formes particulières, deviennent un défi au bon sens et nous renvoient, précisément, au jugement lucide et distancié de Denis Collin, observant l’inexistence du SUJET classe ouvrière qui semble avoir disparu, s’être émiettée passé l’acte révolutionnaire proprement dit, l’individualisme reprenant le dessus en laissant libre le champ aux excès de toute nature des nouvelles catégories dominantes ayant pris le pouvoir.

Le Pouvoir : ici se concentre le mal et les turpitudes qui s’ensuivent. Les concentrations financières et industrielles, malgré toutes les entraves légales opposées à leur épanouissement, continuent de progresser à des niveaux encore jamais atteints en nombre et en volume. La presse parlée et écrite, les laboratoires pharmaceutiques, la grande distribution, fonds de pension, partout où est possible la multiplication des profits par deux ou par trois donc accroître des fortunes déjà considérables, il pleut un “pognon de dingue“ et les dingues du pognon s’en pourlèchent les babines. Bernard Arnault, Bolloré, Drahi, Dassault, Bettencourt (pour ne citer que la France) etc. tous se meuvent dans un monde parallèle qui doit leur sembler hors d’atteinte des dangers dénoncés ça et là par la presse ou les services de surveillance spécialisés, les préfets à la botte sur le format du préfet de police Lallemant qui ne confond pas les camps du Pouvoir et du Citoyen. Protégé par sa casquette enfoncée jusqu’aux oreilles, il se tient résolument dans le premier, dans une posture exemplaire.

« Et s’il est rare que toutes les revendications soient satisfaites, le contexte semble propice à quelques avancées. » constate, modéré, Libération du 12 février. Le «  contexte » a bon dos, il peut-être selon le contexte du contexte lui-même, favorable ou défavorable, propice ou pas… mais à quoi ? Réponse facile : « La direction de Leroy Merlin a fini par concéder “une augmentation de salaire mensuelle de 65 euros“ représentant selon elle une hausse de 3,9 % des rémunérations. Nettement plus que les seuls 2% qu’elle avait commencés par proposer à l’intersyndicale, provoquant sa colère » et vous mesurez dès lors le prix de la colère, 1,9% mensuels, emballez, c’est pesé ! Des exemples de cette nature, au contexte rassurant, aux résultats exaltants, il s’en trouve à la pelle. Surtout quand nous savons qu’à toute augmentation même minime, va tôt ou tard (plutôt tôt que tard) va correspondre une augmentation “nécessaire“ des dividendes puisqu’il faut maintenir les fortunes à leur place, Arnault en premier hors classement de cordée et les autres. Règle qui vaut, selon des modalités spécifiques, pour tous les pays ou règne le régime Capitaliste dit libéral de nos jours. Le contexte lui est assurément favorable puisque défini par lui-même, à partir de ses propres plans, de ses propres projets, établis par toutes les instances qui détiennent un pouvoir quelconque sur les masses. Pouvoirs toujours habillés de chatoyantes formules : démocratie, pour le peuple, par le peuple, liberté, égalité, fraternité, autant d’appâts jetés aux affamés du discours et de la controverse, qu’on maquille en Philosophique, Économique, Sociétale…

Pour toutes ces raisons et bien d’autres encore, l’essentiel est de garder le pouvoir à tout prix, matériellement certes, mais surtout spirituellement et on cherche à le faire oublier, moralement et intellectuellement pour le dire plus simplement, il est donc vital pour le capitalisme et ses parangons de vertu, que les enfants, les adolescents et plus encore soient formés à l’aune de leurs intérêts de Capitalistes. Que leur morale et la nôtre ne fassent qu’une. J’en reviens à ce que j’écrivais dans quelques lettres précédentes qui traitaient de l’Éducation, de son organisation et des impératifs qu’elle supposait, des besoins, surtout des besoins, qu’elle doit satisfaire aux yeux de nos dirigeants à commencer par le ministre de tutelle, celui de l’Éducation nationale. Un traducteur scrupuleux d’injonctions venues d’en haut, mais à qui on réclame habileté et fermeté dans l’exercice de sa fonction d’Éducation du corps des fonctionnaires de l’E.N. Raideur, dissimulée par la “rigueur“ à la manière d’une barbe mettant du flou dans l’architecture du visage. Une banderole tenue par des lycéens manifestant proclame « faisons plier Blanquer » impossible, il se casserait, comme la plupart de ses collègues impliables sous peine de rupture, comme leur mentor de Président qui, en tout, fait illusion.

Le morceau de bravoure de la réforme est dans l’assiette gouvernementale et élyséenne : la suppression du bac est au menu en plat unique. Le schéma est simple, un chemin ouvert presque impraticable pour certains parmi les plus défavorisés, ParcourSup*, un tamis ne laissant passer que que les plus “précieux“ des candidats venus des lycées d’excellence par ordre décroissant pourront se retrouver, dans un ordre à peu de choses près, similaire dans les filières haut de gamme. Personnellement je ne peux les quantifier mais il sera possible de le savoir quand ces statistiques seront publiées. Finaliser son dossier signifie que vous devez avoir, en principe, deux types de données celles du contrôle continu ET celles des épreuves corrigées anonymement les mêmes pour tous (une raclure de baccalauréat). Or, « compte tenu des perturbations dues au Covid » ces épreuves ne pourront avoir lieu qu’en dehors des délais prévus par le calendrier Parcousup, qu’à cela ne tienne ces épreuves ne seront pas comptabilisées — si rien ne se passe entre temps, aucune protestation ni manifestation lycéenne-parents d’élèves tant redoutées jusqu’ici — ce qui signifierait la disparition du Bac donnant droit sans condition à l’entrée en faculté et permettant de présenter les concours de son choix, éventuellement.

Ce fut une longue descente aux enfers : d’abord la suppression d’un bac sur deux (1960 je crois me souvenir) la note de Français obtenue en première sera intégrée à la moyenne finale lors de l’épreuve en classe terminale. On avait supprimé les épreuves orales obligatoires entre temps. On amputa donc le bac de sa moitié et entamé sa crédibilité. Puis il fut demandé, plus tard, aux correcteurs d’être “souples“, compréhensifs ou même il leur fut suggéré de ne pas mettre de notes en dessous de 6 ou 7/20 (sauf cas exceptionnel s’entend…), opération hypocrite de dévaluation d’un diplôme qui devenait une sorte de certificat prouvant que vous aviez suivi un cursus d’enseignement secondaire. Les difficultés de choix dans l’enseignement supérieur commençaient à apparaître. Enfin apparut ParcourSup, l’affaire était pliée malgré quelques mises au point, ce “parcours“ étouffe, de fait, tout ce qui le précède en matière de choix pour une majorité de candidats pour des raisons faciles à comprendre liées à la complexité et à la restriction des choix eux-mêmes.

Mettez en parallèle une campagne sourde pour le moment (« à bas bruit  » comme on aime à dire) pour l’autonomisation des collèges et lycées, pour le pouvoir donné aux chefs d’établissement de choisir leurs enseignants et enseignantes, orienter les programmes spécifiques en concertation avec la chambre de commerce… et vous obtenez un paquet cadeau avec les félicitations du Medef, de ses affidés, de la grande majorité des actionnaires du CAC40 etc…

Et, ne l’oublions pas, un renforcement de l’Enseignement Privé, confessionnel de préférence auquel seront concédés les avantages et faveurs qui n’auront pas été dépensées ailleurs.