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Tournant historique ?

jeudi 17 mars 2022, par Denis COLLIN

La guerre en Ukraine est en train de cristalliser un certain nombre de tendances historiques profondes que l’on pourrait analyser comme un tournant dans l’histoire universelle, si on reprend le lexique des philosophies de l’histoire de l’avant-dernier siècle.

Deux événements doivent être relevés qui ne semblent guère intéresser nos commentateurs, politologues et polémologues. Le premier est la visite de Narendra Modi à Moscou. Le Premier ministre indien est venu négocier un accord avec la Russie pour la fourniture de pétrole. Si les Européens ne veulent plus du pétrole russe, il est déjà vendu ! L’Inde est en voie de devenir le pays le plus peuplé du monde et bien que toujours très pauvre ce pays est une puissance industrielle et aussi un « réservoir de matière grise », dans le domaine du développement informatique, par exemple. Emblématique : c’est l’Indien Tata qui a racheté la prestigieuse marque anglaise Jaguar ! C’est un autre Indien, Mittal, qui domine la sidérurgie européenne après que les crânes d’œuf issus de l’ENA ont organisé sa liquidation dans les années 80 — merci, Giscard, merci, Fabius.

Le deuxième événement est la négociation entre l’Arabie Saoudite et la Chine pour que les achats chinois de pétrole soient réglés non en dollars, mais en yuans. Si les choses vont jusqu’au bout, c’est la fin du dollar comme monnaie internationale de fait qui sera actée et du coup la fin des exorbitants privilèges que cette situation dominante prodigue à l’oncle Sam. Quand on sait que la Chine a mis sur pied un système d’échanges interbancaires alternatif à SWIFT, auquel les banques russes ont adhéré, on ne peut manquer d’en conclure que l’ordre mondial, c’est-à-dire le bordel animé par les États-Unis, est en train de s’effondrer. Sauf guerre nucléaire, une guerre où les survivants envieront les morts, l’affaire est pliée.

Le tournant est celui de la fin de la domination occidentale sur le monde et le déplacement vers l’Asie du centre de l’histoire mondiale, et pas seulement de la production industrielle. Les gesticulations des pantins qui gouvernent l’Europe de l’Ouest, vus de Pékin, doivent sembler un peu ridicules. Ce n’est pas céder aux charmes mortifères de la vision de Spengler que constater cet effacement de l’Occident. Les premiers à disparaître sont les Slaves qui démographiquement s’effondrent, Russie comprise. Ce qui naturellement repousse la Russie en Asie. L’Europe souveraine de Macron est une farce sinistre au moment où on apprend que le choix allemand en faveur des avions américains indique clairement qu’il n’y aura pas de défense européenne.

Pour l’observateur, tout cela était prévisible et il n’est aucune raison de penser que « la fin de l’histoire » devait intervenir avec le triomphe de la « démocratie » et de l’économie de marché. Pour l’homme réellement existant, les choses sont nettement moins gaies. La civilisation grecque, romaine et chrétienne occidentale a été porteuse d’une certaine idée de l’homme, l’idée de la valeur infinie de l’individu. Les civilisations qui l’emportent aujourd’hui sont holistiques : l’individu n’existe que par sa place dans le tout qu’est la société. La Russie, européenne dans son fond, sera absorbée par les civilisations holistiques.

Le triomphe total du mode de production capitaliste, le « capitalisme absolu » n’a pas engendré la paix, mais de nouvelles guerres. Et ce n’est que le début ! Le « wokisme » aura été simplement le prélude de cette nouvelle période : annuler l’Occident, tel est son ambition. Annuler la Russie, tel est le propos des hystériques anti-russes qui donnent le « la » dans les médias. Et l’ensemble sera bientôt englouti.

Il ne reste que deux chances. La première serait un sursaut des peuples européens, une véritable révolution des « Gilets jaunes » qui balaye ces classes dominantes décervelées et corrompues jusqu’à la moelle. La deuxième est que la culture des vaincus, comme cela est souvent arrivé, finisse par s’imposer aux vainqueurs. D’où l’importance capitale de la défense de notre culture et de notre philosophie.

Le 17 mars 2022