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Faisons semblant…

vendredi 6 mai 2022, par Robert POLLARD

Faisons semblant…

« Selon un rapport de l’ONU 40% des sols sont épuisés ce qui menace le PIB mondial » (Le Monde 29/04/2022) qualifié de « Péril majeur », qui pourrait en douter ? Ceux qui ne se préoccupent jamais de comment va le monde, où il va, de la distance qui nous sépare du vide où nous devrions nous abîmer, c’est sûr évident pour autant que cet individu existe dans toute la pureté de sa petite enfance. Et il il a les autres, ceux qui ne conçoivent aucune limite à l’accroissement de leurs profits, ceux qui bétonnent, ceux qui développent immuables l’industrie de l’extraction, pointe l’article du Monde qui ajoute que le pelé, le galeux « le principal responsable est explicitement désigné : l’agriculture moderne. » Soit la monoculture intensive dopée aux intrants chimiques dévoreurs d’espaces naturels… Je n’ai, pour ma part, jamais rencontré cette silhouette, quel visage a-t-elle, l’Agriculture Moderne est un curieux personnage de légende, il apparaît dans son cri primal aux alentours de la fin de la deuxième guerre mondiale — je n’ai en tête ici, que l’Europe d’après guerre, les États Unis étant déjà sur la bonne piste depuis plus de 30 ans.

Cette Agriculture Moderne ressemble à cet ennemi que dénonçait le candidat Hollande : la Finance qui n’avait, si je me souviens bien, pas de visage, ni de chair et encore moins de cerveau que cette Agriculture Moderne. On apprit très vite, à nos dépends, très peu après l’élection du bon Président, d’abord qu’il avait repris du ventre, ensuite que l’indéfini financier s’était très vite manifesté en bon et vigoureux vivant, le bon Hollande s’était alors agenouillé sans rouspétance, en toute humilité et s’en était allé à Canossa. L’agriculture moderne est incarnée elle aussi : la FNSEA en est l’expression la plus visible, le lobby le plus prégnant au sein même des gouvernements qui se sont succédés depuis 1958, les gros céréaliers français, les adeptes du chlordécone dans les plantations d’Outre-mer, et bien d’autres que je ne saurais tous cités, prospèrent, vivent en plus ou moins bon pères de famille dans de belles demeures, très entourés, protégés par leurs semblables, protecteurs avisés dans la presse et les médias, dans l’industrie lourde ou moins lourde mais toujours envahissante de la distribution etc. Le MEDEF est leur abri, la Bourse et ses CAC40 leurs parcs favori (avec celui de l’Élysée), l’armée et tout ce qui y ressemble leur bouclier en dernière instance. Mais le quotidien de référence décide, au moins pour cette édition du 29 avril, de faire de « l’agriculture moderne » le bouc émissaire, personne morale « explicitement désignée » (par qui ?), de la perte, ou du mauvais état, de 16 millions de km2 vers 2050, « soit la taille de l’Amérique du sud ».

Nous sommes le 1er mai 2022 et censés, dans l’ambiguïté la plus totale, célébrer « la fête du travail  » aux yeux de beaucoup depuis Pétain, quand il s’agit historiquement de la commémoration des condamnations à mort de 7 anarchistes américains et de la déportation de plusieurs autres qui seront réhabilités — le jugement fut cassé quelques années plus tard, le président du tribunal et les jurés ayant été reconnus partiaux et la procédure illicite — ainsi que de la revendication des 8 heures journalières de travail : où devrions nous voir une fête célébrant LE travail plutôt que LES travailleurs ? Travailleurs en lutte pour leurs revendications, dans un combat d’ampleur contre le capitalisme contemporain donnant le coup d’envoi d’une course au “profit maximum“ qui conduira tout droit de la crise de 1929, à la seconde guerre mondiale et, depuis, aux guerres incessantes dans le monde entier, à la recherche d’une hégémonie mondiale. Nous sommes, en quelque sorte, à la racine des maux qui vont charcuter l’humanité. Macron et ses semblables de par le monde, sont des fourmis parties prenantes accomplissant leur tâche de colporteurs des légendes d’un “Système capitaliste“ raconté par un Walt Disney en pleine possession de ses moyens !

La Russie, empêtrée dans un capitalisme de favoris de la cour, Poutine tentant de ne pas perdre la main sur son petit-grand monde d’oligarques, s’escrime avec une franche sournoiserie, à mâter son entourage, son peuple et ceux encore à sa portée. La Grande victoire sur l’Allemagne nazie, siglée aux yeux de quelques amateurs de légendes (là encore), URSS, Staline, Joukov, dont il cherche à s’approprier la gloire… posthume, nécessite de ne pas avoir l’air de traîner les pieds, en piètre stratège dans SA guerre (Staline plus puissant et peut-être plus rusé, s’en était glorieusement sorti). C’est l’homme des razzias, des coups de main qui pourtant possède l’arme nucléaire et le caractère tout droit imité du « Journal d’un fou » de Gogol, lui, Poutine, parvenu nouveau Tsar de toutes les Russie.

Vient, dans la hiérarchie des contes et légendes, cette idée ramenée de la lecture des Évangiles par Foucauld Giuliani : « Par ses paroles (du Christ) et par ses actions, par exemple par la guérison réitérée des corps blessés, Jésus montre que à travers l’histoire humaine, peut se poursuivre l’acte de création commencé à l’origine des temps. », Le Monde du 3 mai, ce qui paraît “logique“ quand on sait que pour cet auteur « son hypothèse est que la foi est la lumière transformatrice sans laquelle la raison s’égare  » — supposant que la foi jamais ne s’égare, comme l’aura prouvé l’Inquisition et d’autres gourmandises associées partout dans le monde — ce qui n’empêche pas Giuliani de s’en aller flirter avec le Diable et la subversion quand faisant allusion à la «  doctrine sociale catholique  » dont certains concepts, d’après lui, comme « la destination universelle des biens » sont particulièrement utiles « pour lutter contre la marchandisation capitaliste du monde » ; c’est ici qu’apparaît la légendaire ambiguïté du conte évangélique : du capitalisme ne doit-on retenir que la marchandisation, ce qui n’aurait pas une grande “raisonnance“, quelle que soit la foi qui préside la raison et, surtout, quel sens à donner à la « lutte  » dont il est ici question  ?

Tout un arsenal donc, employé à nous armer de certitudes simples et banales : les causes d’une situation de paupérisation généralisée de notre société occidentale avancée, technologiquement supérieure, financièrement puissante, sont « structurelles  ». Il est urgent d’en prendre conscience, il est urgent de corriger les erreurs, une organisation sociale ET économique ET politique saine, un capitalisme des origines en somme. Sauf qu’on pourrait chercher longtemps qu’on ne trouverait pas même le début d’une société harmonieuse (si tant est qu’elle puisse exister quel qu’en soit le « système ») ou seulement supportable par les prolétaires. De nos jours l’illusion s’estompe et la peur grandit, Jean-Marc Vittori écrit dans Les Échos, « L’autre bataille promet d’être encore plus dure dans une France où le dialogue social reste médiocre malgré les avancées récentes. Elle opposera employeurs et employés. » une délicate anamorphose de la lutte des classes est ici soulignée qui se termine par cet avertissement : « Des grèves risquent d’éclater dès l’automne Le climat social risque alors de devenir insurrectionnel. » pas moins ; dans cette situation la grande bourgeoisie se doit d’être clairvoyante, avec ou sans la foi… Bien qu’il existe des modérateurs comme Arnaud Schwartz, président de France Nature Environnement, cité par Libération du 30 avril : « Le 1er Mai est un combat entre travailleurs et patrons, fondé sur le partage de la richesse issue de l’exploitation des ressources naturelles qui doit se faire dans le respect de la limite des écosystèmes et des populations », il en revient aux grands principes rhétoriques du partage des richesses dans le respect de la Nature, où il n’est plus question d’insurrection pouvant donner de mauvaises idées à des gens sans foi ni loi que sont les nouveaux prolétaires !

Il en va de même, me semble-t-il, de l’autre côté du grillage qui sépare les classes quand se reconstitue une sorte de Front Populaire new-look, à la suite d’une parturition difficile des uns et des autres, des appareils de vieux roublards de la politique qui, comme en 1936 cela est exact, se concertent et se coagulent pour éteindre l’incendie qui pourrait éclater. Ils n’auront probablement pas de majorité absolue à la chambre des députés — oublions le Sénat pour le moment — mais resteront autant que faire se peut, liés par un ersatz de “nouveau programme commun“ frêle esquif par gros temps démuni de sa boussole et de son cap : l’Assemblée constituante dont on n’entend plus parler depuis le renouveau de « La Gauche  », ou s’ils en parlent c’est allusivement, comme le sont les détails que l’on dépose en coin sur le bureau, sous la forme rabougrie de VI république, sans plus d’explications. Se sont-ils mis d’accord à son sujet ? Je veux dire sur les modalités d’une entreprise politique hautement problématique dès qu’elle se retrouve à devoir franchir, à l’intérieur même des Institutions, les obstacles juridiques et politiques qui structurent l’édifice. Pourtant Libération assure que « Tout devient possible » y compris, je suppose, l’impossible. Dans son éditorial du 5 mai Paul Quinio (personne ne remplacera Laurent Joffrin à ce poste…) écrit qu’il voit des « Désaccords de fond cachés sous un tapis de périphrases dont ce type de littérature a le secret  », secret vraiment ? Ou simple opération de glissements successifs, imperceptibles, jusqu’à la chute finale et la disparition totale de l’objet du désaccord pour ne plus conserver que le plateau où ne figureront plus que le partage des circonscriptions électorales. Voilà sans doute où se situe l’audace de part et d’autre des accordailles. Blanc de rigueur pour le voile de la mariée.