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Que nous disent les résultats des élections législatives du 19 juin 2022

mercredi 22 juin 2022, par Jean-François COLLIN

Que nous disent les résultats des élections législatives du 19 juin 2022

Les commentaires sur les résultats de l’élection législative, dont le deuxième tour s’est déroulé le 19 juin, portent sur le fonctionnement à venir de l’Assemblée Nationale, la plus ou moins grande solidité de l’alliance de la gauche autour de la France Insoumise, la question de savoir si elle formera un groupe unique ou quatre groupes à l’Assemblée nationale, les alliances possibles entre la République en Marche et ses satellites et ce qui reste du parti Les Républicains, etc.

Pourtant, il ne s’agit là que de questions secondaires au regard de ce qui se passe dans le pays.

Abstention ou sécession ?

Le résultat le plus important de cette élection est le pourcentage des suffrages exprimés par rapport à l’ensemble du corps électoral.

Aux 53,8% d’abstentionnistes, il faut ajouter 7,6% de votes blancs ou nuls, ce qui porte le total des Français qui ont refusé d’exprimer une préférence entre les candidats à 61,4% du corps électoral.

38,6% des inscrits seulement ont voté en faveur de l’un des candidats. Sur les 48,6 millions d’électeurs français, 20,7 millions d’entre eux ont exprimé un choix, les autres n’ont pas votés ou ont mis dans l’urne un bulletin indiquant qu’aucun des candidats ne leur convenait.

Les voix recueillies par les partis politiques ayant participé au scrutin ne représentent qu’une part marginale du corps électoral : Ensemble = 16,5% des inscrits ; NUPES = 14% des inscrits ; RN = 7,4% des inscrits ; LR-UDI (dont les commentateurs écrivent qu’ils ont résisté) = 3,1% des inscrits ; autres partis 1,8%.

En Seine Saint-Denis où la NUPES rafle toutes les circonscriptions, l’abstention atteint 63,3%. Clémentine Autain est élue avec 22% des suffrages des électeurs inscrits dans sa circonscription.

Le procès en illégitimité, assez justifié, qui était intenté à Emmanuel Macron après son élection, pourrait à bon droit être instruit contre tous les députés élus dimanche dernier.

On peut se dire que ce n’est pas très grave, que ceux qui désirent participer à la vie politique et en désigner les responsables ont pu le faire. Mais il est tout de même difficile d’interpréter la signification de ce scrutin en analysant seulement la part minoritaire des suffrages exprimés.

Quel sens faut-il donner au refus de près des deux tiers des électeurs d’exprimer une préférence à l’occasion du choix de leur député ?

S’agit-il, comme on le dit souvent, d’une forme de vote protestataire qui viendrait s’ajouter à d’autres formes de protestation, le vote pour la France Insoumise ou le Rassemblement National ? Mais alors, pourquoi les Français qui s’abstiennent n’accordent-ils pas leur suffrage à ces partis dits protestataires ? Est-ce parce qu’ils ne les trouvent pas suffisamment radicaux ou au contraire parce qu’ils les trouvent excessifs ?

Nous manquons d’une analyse sérieuse de ce que pensent cette vaste majorité d’abstentionnistes et de votes blanc ou nuls.

Près de deux tiers des français en sont-ils arrivés à la conclusion que le jeu politique est vain, que l’élection de l’un ou de l’autre ne change rien à leur sort, que les responsables politiques sont incapables de mettre en œuvre ce qu’ils promettent en raison des contraintes auxquelles ils se disent soumis ( appartenance à l’Union européenne qui limite drastiquement la possibilité le choix d’une politique nationale, rapport de forces mondiaux qui ne sont en faveur ni de l’Union européenne ni de la France, puissance de l’exécutif qui de toute façon aura les moyens d’imposer ses choix, etc.). Ou bien encore pensent-ils que ceux qui se présentent à leur suffrage, n’ont en fait aucune intention véritable de prendre les mesures qui permettraient d’améliorer leur sort, parce qu’ils partagent peu ou prou tous les mêmes idées sur ce qui est raisonnable et faisable ?

L’argument du beau temps ou de l’attrait de la pêche à la ligne, dont je ne sache pas pourtant que la pratique se développe de façon aussi importante, est une façon de se rassurer à bon compte.

La constance du phénomène abstentionniste, sa croissance continue en même temps qu’augmente le nombre de bulletins blancs ou nuls, témoignent plutôt d’une sécession d’une grande partie de la société française qui n’accorde plus aucune importance au discours politique.

A la sécession des riches qui dans les années quatre-vingt ont considéré que « la solidarité, ça commençait à bien faire », pour paraphraser N. Sarkozy parlant de l’environnement, et ont donné le coup d’envoi de la contre révolution fiscale et sociale (baisse des impôts, réduction des moyens consacrés aux services publics, augmentation des inégalités de revenus et de patrimoine…), répond aujourd’hui celle de ceux qui n’ont rien ou pas grand-chose.

Margaret Thatcher avait résumé le programme de la contre révolution libérale en une phrase : « la société, ça n’existe pas », seuls les individus existent et ils sont responsables de ce qui leur arrive. Elle ajoutait qu’il n’y avait pas d’alternative à la politique qu’elle conduisait, qui d’ailleurs ne se distinguait pas de celle de R. Reagan aux États-Unis ou de F Mitterrand en France après 1983.

Des décennies de trahison des promesses électorales, de désillusion, de dépolitisation de la société, au nom de la raison, des contraintes objectives et des mille et une autres raisons qui justifient que bien que nous changions de Président de la République, de ministres ou de députés, les choses elles ne changent pas, nous ont conduit là où nous sommes.

Il en sera bientôt des bureaux de vote, comme des salles de concert de musique classique, des salles de théâtre ou des cinémas. On n’y verra plus passer que des personnes de soixante ans et plus, appartenant aux catégories sociales les plus favorisées et les mieux insérées socialement.

Cela devrait inquiéter aussi bien les organisateurs de spectacles vivants que les organisateurs de spectacles politiques, car un jour ceux qui viennent encore y assister auront complètement disparu et ces deux secteurs d’activité pourraient bien disparaître avec eux.

Pour compléter ce tableau, on notera que les électeurs ne sont pas les seuls à se désintéresser des élections et de leurs résultats. La bourse est restée parfaitement insensible au résultat du scrutin du 19 juin, dont les commentateurs disent pourtant qu’il rend la France ingouvernable ; elle a progressé au même rythme que celle de Francfort en ce début de semaine, et pour le moment aucun frémissement n’a été constaté sur les taux d’intérêt de la dette publique. C’est dire s’il ne faut pas trop surestimer ce qui se passe dans le champ de la politique...

Un seul vainqueur, le Rassemblement national

En réalité, le seul vainqueur de cette élection législative est le Rassemblement national.

Seul, sans accord avec un autre parti, même pas avec « Reconquête » d’E Zemour, avec un mode de scrutin qui lui est complètement défavorable, le RN passe de 7 à 89 députés, l’emportant aussi bien sur le parti « Les Républicains » que sur « La France Insoumise ». Au passage le naufrage d’E. Zemmour devrait entrainer des démissions et des licenciements dans la plupart des médias et instituts de sondage qui ont consacré tous leurs efforts entre l’été 2021 et le mois d’avril 2022 à le présenter comme celui que les Français attendaient et le vainqueur probable de l’élection présidentielle. Mais dans le monde des médias et des instituts de sondage, comme dans celui de la politique (ils vivent l’un de l’autre), il ne faut jamais présenter ses excuses car c’est un aveu de faiblesse. Il faut embrayer sur autre chose.

Le succès de la NUPES est un effet d’optique. La stratégie d’union a permis de limiter la casse, mais avec 27% des sièges, la gauche réalise son troisième plus mauvais score depuis 1981 et ne progresse pas quant au nombre de suffrages recueilli. L’union de la gauche a permis de limiter la casse en nombre de sièges, elle n’a créé aucune dynamique électorale, sauf dans les médias.

Le parti d’Emmanuel Macron LRM, passe de 314 sièges à 154. C’est un échec cuisant pour celui qui prétendait transformer la scène politique française, faire exploser la droite traditionnelle et disparaître l’extrême droite. Ensemble est devenu une coalition de droite parmi d’autres, quant à l’extrême droite elle ne s’est jamais aussi bien portée. Son parti devra revoir à la baisse ses effectifs et son niveau de vie.

Cependant, la droite, c’est à dire le mouvement « Ensemble » et « Les Républicains », dispose de 56% des sièges à l’Assemblée nationale. Si l’on y ajoute le Rassemblement National, la droite dans ses différentes composantes est ultra majoritaire à l’Assemblée nationale et recueille plus des 2/3 des suffrages exprimés.

On a du mal à comprendre dans cette situation les cris de victoire de Jean-Luc Mélenchon et des responsables de « la France Insoumise ». Une large partie du territoire national ne compte plus de représentants des partis se présentant comme de gauche. La NUPES gagne dans les métropoles, sur le même terrain qu’E Macron, Mais dans les zones rurales et dans l’électorat populaire traditionnel elle est absente. Paris est la terre d’élection de la NUPES et d’Ensemble, ils se partageant la quasi-totalité des circonscriptions. Le PS et LR ont disparu.

Parmi les perdants, il faut aussi compter Lionel Jospin et son idée géniale de coupler le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral qui était destinée à garantir au Président nouvellement élu une majorité absolue à l’Assemblée nationale et les pleins pouvoirs dont rêvent de doter le Président de la République, tous les aspirants au régime présidentiel qui sauverait la France, ceux-ci considérant que la 5e République donne encore trop de place au gouvernement et au Parlement par rapport au pouvoir d’un seul homme.

A propos du « front républicain »

Pour expliquer ce qui est tout de même un mauvais résultat, la chasse aux déserteurs du « front républicain » est ouverte. Emmanuel Macron et son mouvement « Ensemble » se retrouvent à juste titre sur le banc des accusés, puisque dans six circonscriptions seulement ses partisans ont appelé à soutenir le candidat de la NUPES contre celui du Rassemblement National. Ceux auxquels il faisait les yeux doux entre les deux tours de l’élection présidentielle étaient devenus des candidats antirépublicains contre lesquels il fallait faire front.

Quelle ingratitude de la part d’un Président réélu grâce à ceux qui ont accepté, encore une fois, de faire barrage à Marine Le Pen malgré l’aversion qu’ils avaient pour lui ! Comme Jacques Chirac en son temps, il considère qu’il ne doit rien à l’électorat de gauche qui l’a sauvé, sans gloire, de la défaite.

Pour se défendre, les Macronistes rappellent qu’ils ont utilisé pour l’élection législative, la même formule que Jean Luc Mélenchon au soir du premier tour de l’élection présidentielle : « pas une voix pour les candidats du Rassemblement national », ce qui ne vaut évidemment pas appel à voter pour le candidat de la NUPES, pas plus que Mélenchon n’appelait à voter Macron.

De façon parfaitement incohérente, Jean-Luc Mélenchon dénonce « ceux qui ont perdu tout droit à faire des leçons de morale puisqu’ils ont abandonné cette pratique ancienne du Front républicain », tout en indiquant qu’il ne passera aucun accord avec Emmanuel Macron et ceux qui le soutiennent « parce qu’il ne fait pas partie du même monde qu’eux ».

Comprenne qui pourra… Pourquoi deux partis politiques n’appartenant pas au même monde devraient-il appeler à voter l’un pour l’autre à quelque élection que ce soit ?

On s’y perd ...

En vérité, cette idée de front républicain n’est pas morte d’être trahie où abandonnée par tel ou tel parti. L’appel au front républicain n’a tout simplement plus aucun écho parce que, sur cette question comme sur les autres, les responsables politiques ont perdu toute crédibilité. Lorsqu’ils disent « front républicain », beaucoup de Français entendent « solidarité de la classe politique pour conserver les sièges qu’elle occupe ». Et ils s’abstiennent ou votent blanc ou nul, ou pratiquent le « dégagisme ». À ce propos, Rappelons qu’Emmanuel Macron en 2017 appelait à dégager ceux qui occupaient depuis trop longtemps la scène politique. Il ne peut pas s’étonner que son temps soit venu d’en être victime.

Si l’esprit du Front républicain doit renaître, il faudra d’abord s’entendre sur la République que nous voulons défendre.

Nous en sommes loin.

Le mot a été galvaudé. Pour certains, défendre la République signifie défendre la constitution de la Vème République ; pour d’autres, il s’agit de retrouver l’inspiration de la période glorieuse des débuts de la IIIème République, celle de l’adoption des grandes lois libérales consacrant par exemple le droit d’association, la démocratie municipale, la laïcité, etc.

Pour d’autres La République doit être sociale et elle doit s’attaquer d’abord à la réduction des inégalités et à la pauvreté.

Il ne suffit donc pas de répéter République, République, comme une incantation qui à elle seule nous permettrait de sortir de l’ornière. Une profonde réflexion à droite comme à gauche sur le système politique et économique que nous voulons est nécessaire et cette réflexion doit se traduire par une proposition de réforme de nos institutions permettant de faire revivre la démocratie.

Et maintenant ?

La France redevenant un peu plus normale avec un Parlement divisé qui n’est plus totalement à la botte du président de la République, serait devenue ingouvernable. C’est le leitmotiv des commentateurs depuis dimanche soir. Comment font les autres pays européens qui pour la plupart vive depuis très longtemps avec des majorités relatives ? Sans doute ne sont-ils pas gouvernés et leurs citoyens vivent-ils dans la terreur de l’absence d’un pouvoir exécutif tout puissant.

Le grand sujet du moment est de savoir qui sera Président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, à laquelle les médias accordent soudainement une importance déterminante. Pourtant, s’il est bien un domaine où l’exécutif décide de tout, c’est celui de la préparation et de l’adoption des lois de finances. Il est vrai que l’Assemblée nationale consacre de longues semaines à en débattre, mais ce n’est que pour les modifier de façon extrêmement marginale et le projet présenté par Bercy au début du mois d’octobre de chaque année n’est pas véritablement modifié par les débats parlementaires. S’il prenait au député l’envie de faire autrement, le gouvernement dispose de l’article 49. 3 de la Constitution pour faire adopter son projet.

Bien sûr, chacune des composantes de la droite veut profiter de la situation de faiblesse d’Emmanuel Macron pour améliorer sa position, mais un fait est là, la droite est majoritaire à l’Assemblée nationale et « Les Républicains » vont choisir entre un accord de gouvernement avec Macron ou bien un soutien au cas par cas aux projets que celui-ci présentera à l’Assemblée nationale.

Si j’avais un conseil à leur donner, ce serait plutôt d’opter pour un accord de gouvernement avec Emmanuel Macron qui leur permettrait d’absorber une fois pour toute celui-ci et de le faire apparaître pour ce qu’il est, un candidat de droite et rien d’autre que cela, ce qui leur dégagerait la voix pour les élections suivantes. Mais la politique n’est pas une chose rationnelle. Macron pense être assez malin pour décrédibiliser encore un peu plus « Les Républicains » en les mettant en porte-à-faux, projet de loi après projet de loi. « Les Républicains » surestiment leur force et pensent qu’ils pourront au cas par cas vendre très cher leur ralliement. Les uns et les autres surestiment l’intérêt que les citoyens porteront à ce petit jeu.

Bien sûr, il sera plus difficile que dans la mandature précédente de faire adopter des textes législatifs à jet continu, en recourant le plus souvent à la procédure des ordonnances, ce qui évitait dans les faits tout débat parlementaire.

Nous devrions tous nous en réjouir. Notre pays étouffe sous les lois et les textes réglementaires, traduits ensuite en circulaires de dizaines de pages par les directions d’administration des ministères. En 2021, les préfets ont reçu plus de 1300 circulaires ; on ne voit même pas comment ils peuvent trouver le temps de les lire, quant à les mettre en œuvre n’en parlons même pas. Le plus sage est d’attendre le texte suivant.

Cela n’a aucune importance pour l’équipe qui exerce le pouvoir car il s’agit avant tout d’occuper le champ médiatique et non de transformer réellement les choses ou simplement de les administrer avec bon sens.

Alors, dédramatisons cette idée de blocage politique du pays. Il n’y a pas besoin de lois pour augmenter les salaires dans les entreprises privées comme dans les administrations ou les entreprises publiques. Il n’y a pas besoin de loi pour préserver le régime des retraites par répartition qui n’est pas menacé par une crise à court terme. Pas besoin de loi pour que le Parlement contrôle réellement l’action du gouvernement, ce qu’il s’est bien gardé de faire au cours des cinq dernières années, trop occupé qu’il était à voter des centaines de lois. En réalité, beaucoup de choses peuvent être faites sans recourir à la loi et pour tout dire beaucoup de choses seraient mieux faites en laissant les citoyens, les associations, les entreprises et les administrations trouver des solutions plutôt que de leur imposer de façon détaillée ce qu’il doivent faire.

L’essentiel n’est pas de trouver un mode d’organisation de la relation entre le président de la République et le Parlement (on peut oublier le gouvernement qui n’est plus qu’un bureau d’exécution de ce qui est décidé à l’Élysée, personne d’ailleurs ne se demande quel est l’avis d’Élisabeth Borne sur le sujet), mais de trouver une solution à la crise politique que traverse notre pays.

La dissolution de l’assemblée nationale est un fusil à un coup qu’E. Macron maniera avec précaution. J Chirac a montré en 1997 que la balle pouvait suivre une trajectoire imprévue et ne pas atteindre la cible visée.

Nous vivons une crise morale, institutionnelle, écologique et économique. Elle ne sera pas surmontée par des coalitions à géométrie variable sur des textes de lois.

Crise morale parce que nous ne savons plus ce qui nous rassemble, ce qui fait de nous, Français, une Nation, ce qui vaut la peine d’être défendu collectivement.

La défense de services publics, des systèmes de protection collective quels qu’en soient les mérites, ne suffit pas à souder une société. Le délitement des principaux services publics auxquels nous assistons, qu’il s’agisse de l’éducation nationale, du système de santé ou de la justice, est à la fois la conséquence de choix politiques réduisant les moyens qui leur sont consacrés, mais aussi d’une rupture de confiance au sein de ces grandes institutions, de divergences sur les objectifs qu’elles doivent atteindre, d’une mise en cause de la part de ceux qui travaillent comme de ceux qui doivent bénéficier de leurs services. Toutes les grandes institutions publiques sont mises en cause, la méfiance prévaut à l’égard de ceux qui sont chargés de les diriger, leur capacité d’action sur la société est de plus en plus réduite. Il ne suffira pas d’augmenter les salaires et de mieux aménager les bâtiments pour que les choses s’arrangent.

Ce qui vaut pour les entreprises et les administrations publiques vaut aussi pour le secteur privé. Les entreprises sont en crise, les salariés sont de plus en plus nombreux à se demander ce qu’ils y font, à ne pas supporter leur organisation de plus en plus bureaucratique qui souvent surpasse celle des administrations. La qualité des services et des marchandises qu’elles produisent est contestée, pour des raisons sanitaires où environnementales, parce que la surconsommation a des effets dramatiques sur notre environnement qui sont maintenant bien connus et aussi parce que la qualité de ce qui est produit souvent n’est pas bonne. Quelques exemples récents dans des secteurs industriels considérés comme d’excellence en France sont venus nous le rappeler. La moitié des réacteurs nucléaires du pays et à l’arrêt depuis plusieurs semaines en raison de défauts constatés sur les soudures d’éléments essentiel à leur fonctionnement. La SNCF vient de renvoyer à Alstom un nombre assez important de rames de TGV dernier modèle qui souffrent également d’un défaut de soudures qui en affectent la sécurité. Il faudra plusieurs mois pour remédier à ces défauts. Les exemples pourraient être multipliés.

Notre pays doit se livrer à un examen de conscience collectif pour reconstruire les bases d’une vie en commun fondée sur un minimum de confiance réciproque sans laquelle rien n’est possible. Ce n’est pas un grand débat dans lequel le président de la République fait son numéro pour montrer qu’il a réponse à tout et qu’il est capable de convaincre chacun qui permettra cela. Il s’agirait d’un échange de chacun d’entre nous avec sa propre conscience et avec les autres, mené dans des milliers de lieux en même temps, sur une période de temps qui pourrait être de deux ou trois ans qui le permettra. On peut rêver et se dire que les journaux les radios les télévisions, au lieu d’obéir à la dramaturgie des jeux du cirque, pourraient être des endroits ou des discussions honnêtes, sans enjeu de pouvoir immédiat, correctement modérées seraient conduites. On peut rêver que les essais qui seront écrits, les livres qui seront publiés participeront à cet examen de conscience collectif en laissant de côté les invectives, la condamnation de l’autre, les jugements définitifs, bref tout ce qui interdit une véritable discussion, un véritable échange de points de vue permettant à chacun de faire évoluer le sien. Chacun devrait l’aborder avec humilité et une seule certitude, celle qu’il ne sait pas tout, qu’il n’a pas à lui seul la solution, que rien ne sera possible si nous ne pouvons pas compter les uns sur les autres, que la compétition n’est pas le meilleur moyen d’atteindre un objectif collectif, qu’elle est toujours inférieure à la collaboration. Une société dans laquelle chacun se méfie de l’autre, dans laquelle l’affrontement et la victoire d’un groupe sur l’autre est vue comme la seule solution est vouée à la dissolution.

Nous sommes dans cette société.

Cette idée d’examen de conscience collectif sera considérée par beaucoup comme naïve ou dangereuse. Elle me paraît indispensable et ce sont les mieux lotis qui devraient commencer.

Crise institutionnelle ensuite. Il n’est plus question que de cela. La Vème République a longtemps été considérée comme un régime garantissant la stabilité politique du pays et l’efficacité de son gouvernement. Un nombre croissant de citoyens et de responsables considère que cela n’est plus vrai et que ses inconvénients l’emportent sur ses avantages.

Elle est très centralisée mais ne garantit pas l’égalité de traitement sur le territoire national ; les métropoles concentrent les richesses et les services, le reste du territoire a un sentiment d’abandon.

Elle donne à l’exécutif des pouvoirs considérables, et pourtant celui-ci est impotent, les leviers à sa disposition ne répondent plus et il ressemble à hamster qui pédale dans une roue sans produire le moindre mouvement.

Le pays n’est plus correctement représenté par ses institutions. Certains se réjouissent de la fin de la majorité absolue à l’Assemblée nationale considérant que nous serions arrivés presque au même résultat que celui qui aurait été permis par un scrutin proportionnel sans avoir besoin d’y recourir. C’est faire peu de cas de la très forte majorité qui a refusé de participer à cet exercice et de la distorsion introduite par ce mode de scrutin entre la composition de l’Assemblée nationale et la réalité politique du pays.

Nos institutions doivent être réformées. Une commission composée de parlementaires de toutes les obédiences politiques, de membres du Conseil économique social et environnemental, de syndicalistes, de représentant du mouvement associatif et de juristes devrait être chargée de préparer un projet, d’organiser le débat public autour de ses propositions, de laisser ensuite le Parlement en débattre avant que cette nouvelle constitution soit soumise à la population par référendum.

Crise économique et écologique enfin.

Elles sont intimement liées. La crise écologique ne résulte pas de la gloutonnerie des gens, de leur manque de conscience, de leur méconnaissance des petits gestes qui arrangeront tout. Elle résulte d’abord d’un système économique dont la finalité assignée à chacun de ses acteurs est celle du profit maximum. Les économistes classiques considéraient qu’en cherchant à satisfaire son envie individuelle de réussite, chacun contribuait au mieux à la réalisation du bien commun. Le boulanger permet à chacun de manger du pain non par altruisme, mais pour faire prospérer son commerce. Il y avait malheureusement un vice dans cette pensée qui généralisait un exemple particulier qui ne pouvait pas l’être. Les entreprises ont recherché le profit maximum au mépris des conséquences désastreuses de leur activité sur l’environnement. La croissance des entreprises transformées en monopole étouffe l’innovation. Les relations internationales sont dominées par les grands groupes multilatéraux dont les gouvernements défendent les intérêts plutôt que les intérêts des peuples et des Nations.

Nous allons connaître des difficultés économiques importantes liées au contexte international belliqueux, à la reprise de l’inflation qui n’est pas due à une forte croissance économique mais à un ensemble de désajustements économiques mondiaux, sur fond d’endettement public et privé considérable et de remontée des taux d’intérêt. Dans ces situations, les préoccupations écologiques passent habituellement au second plan parce qu’il faut assurer l’essentiel.

Les idées actuelles d’instituer une planification écologique confiée à une instance administrative placée auprès du Premier ministre sont totalement inopérantes pour surmonter la crise écologique, nous dirons pourquoi dans un autre texte. La réponse aux crises économique et écologique conjointes passe par une autre conception de la manière de les aborder, loin de la planification bureaucratique et de la centralisation.

Oublions donc les questions qui dominent le débat public au lendemain de l’élection législative sur les arrangements qui doivent être trouvés à l’Assemblée nationale. Ceux-ci ne font que nous détourner une fois encore de l’essentiel et montrent que les véritables leçons de ce scrutin n’ont pas été tirées.

Jean-François Collin

21 juin 2022