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Enrichissez-vous, je m’occupe du reste....

samedi 24 septembre 2022, par Robert POLLARD

ENRICHISSEZ-VOUS, JE M’OCCUPE DU RESTE…

« …depuis une vingtaine d’années, un État dépossédé de ses moyens improvise une tout autre chorégraphie »

Le Monde diplomatique août 2022

Enrichissez-vous… le sens des encouragements que Guizot aurait proférés, sans qu’on ait pu le prouver formellement, mais s’il s’agit de sa politique, en tant que premier ministre entre 1840 et 1848, c’est incontestable. Il s’acharna à la défense des “classes moyennes“ telles qu’il les appelait, à une époque où la “moyenne“ vous situait à une altitude bien plus élevée que maintenant, où le fossé qui s’était creusé entre cette bourgeoisie moyenne et le prolétariat ou la petite paysannerie était considérable.

Profitez enrichissez-vous, durant ce temps l’État et son gouvernement tiendront la dragée haute aux empêcheurs de tourner en rond“, proclament-ils aujourd’hui face aux manifestants, aux grévistes et autres perturbateurs de l’Ordre public. Monsieur Darmanin ministre des intérieurs, ministre du, peut-être, dernier Roi-président de la République gaullienne, à qui reviennent les certificats de bons et loyaux (?) services au titre du maintient de l’Ordre — sans oublier Christophe Castaner qui le précéda, beaucoup plus brouillon, aux origines plus troubles… se voulant séducteur, il eut son baptême du feu avec les gilets jaunes, pas de chance vraiment, affublé d’un préfet pointilleux et arrogant, mis au placard depuis Le Retour.

Somme toute cela n’est que l’infinie répétition d’un monde qui naissait il y a environ deux siècles, d’un capitalisme sûr de ses principes, peint et repeint aux couleurs du temps qui passe et qui, aujourd’hui, n’en finit plus d’agoniser, avec dans son sillon un étrange bouillon mortifère. La mort de tout ce qui vit sur cette terre le suit, il s’en vante en inventant des mots sonores, Liberté, Égalité, Fraternité, Progrès, Rentabilité… Biodiversité… qu’il grave et placarde en illusions enchanteresses qu’il se dépêche d’oublier dès qu’il se remet en marche. Car il s’arrête de plus en plus souvent pour reprendre son souffle et, de crises en crises qu’il nomme “économiques“ voire “sociétales“ ou même “sociales“, se décharge désinvolte de ses responsabilités sur les épaules des prolétaires, des paysans — autre chose que Propriétaires terriens— ou des classes restées moyennes, plus pour très longtemps. En ce domaine la Chine et son capitalisme contrôlé (pour un moment encore) par l’État, le trumpisme américain, sont les archétypes qui servent de repères au capitalisme mondialisé. Le Kremlin qui croyait n’avoir qu’à s’ébrouer en étirant ses chars sur la route de Kiev, en rabat, obligé de se contorsionner pour éviter les coups d’une victime récalcitrante qui se cherche un nid plus douillet dans le “libéralisme“ européen, prise en charge par une Maison Blanche plus généreuse que jamais, proclamant son désintéressement qui n’a d’égal que son intérêt stratégique, politique et économique, suspendus aux milliards de dollars “offerts“ à l’Ukraine.

Dans cette tentative de régenter le désordre social, l’appareil d’État aurait été dépossédé de ses moyens ? En France et partout ailleurs dans les “démocraties libérales“ ? Ne s’allègerait-il pas plutôt de ses responsabilités qu’il a offertes aux appétits du privé. L’Appareil d’État est désormais (ou le sera dans un avenir proche) tout entier au service de l’Ordre sa seule fonction régalienne d’importance. Il se resserre sur cette fonction éminente, se réorganise et se déleste du fardeau des “services publics“. Il pose son sac mais, à ce moment précis, le désordre se glisse dans sa propre sphère d’influence : ayant perdu la majorité absolue à la chambre des députés en France notamment, son autoritarisme perd en force de coercition, il doit tergiverser, discuter avec des forces politiques autoproclamées d’opposition et qui néanmoins manœuvrent pour quitter ce courant qui les emporteraient trop loin, contre leur gré, vers l’affrontement général. Dès lors, comment s’en sortir sans se noyer ? C’est le RN qui vend la mèche, quand Marine Le Pen déclare, sans insister, au détour d’une phrase d’une fumeuse clarté : « nous n’auront pas besoin de manifester dans la rue, nous avons la majorité à l’Assemblée… » ce qui instinctivement me renvoie aux amabilités échangées entre Alexis Corbière et Marlène Schiappa lors d’un babillage organisé par Libération qui nous laissait entrevoir, comme par inadvertance, une possible grande entente entre les clans réputés jusqu’ici farouchement opposés. Du moment que tout se passe en dedans et non au dehors du cocon « démocratique » du Palais Bourbon, tout est envisageable...

Durant quoi nous sommes conviés à la contemplation des «  Re-fondations  », il s’en trouve partout en France comme en Angleterre et, à bien y regarder, comme il en fut dans l’URSS de Gorbatchev qui a en commun avec Elisabeth II et de l’avoir rencontrée en son temps, et de mourir presque ensemble en leur temps. Tous les deux ont une sorte de commun destin de parasite, l’une comme le dit froidement un certain Alan Mc Feely un bénévole de 59 ans selon Le Monde (18/19-09) « La Reine ? Un parasite » et ils savent de quoi ils parlent à Liverpool, l’autre pour avoir déroulé le tapis rouge sous les pas des oligarques, capitalistes russes, pendant la perestroïka qui s’épanouira avec Poutine, qui fût leur choix — devenu un peu branlant ces derniers temps. Mais on ne parlât que de Glasnost, de clarté et de refondation comme pendant ces temps de la « Dame de Fer » Thatcher et sa finale en mode Liverpool, de la misère assumée d’un capitalisme exemplaire. En ce qui nous concerne nous avons les ressources de l’ironie malveillante : le CNR macronien, Comité national de la refondation, qui dit très exactement ce qu’il est et ce qu’il n’est pas. Il vivra ou ne vivra pas, aura ou n’aura pas de réalité, il aura néanmoins incarné même éphémère, une vision naïve d’un supplétif, aussi talentueux soit-il, du capital qui, lui, dans sa brutalité et sa clairvoyance décide qu’il faut en finir avec SON passé et en revenir aux vieilles lunes du capitalisme florissant. Revenir à cet « Enrichissez-vous, je m’occupe du reste » sans état d’âme.

La plus mauvaise nouvelle, qui pourrait devenir la meilleure, pourvu qu’on sache en extraire la substantifique moelle, vient du Chili et de l’échec cuisant du référendum auquel était soumis la nouvelle Constitution rédigée avec la participation d’une partie des anciens cadres du monde politique et judiciaire chilien.

Les explications virevoltent pour décrire un paysage politique et social plus que pour chercher les racines du mal, me semble-t-il. Il serait prétentieux de ma part de vouloir apporter un éclairage nouveau sur un sujet aussi complexe, relevant d’une géographie politique aussi lointaine et néanmoins proche du fait des évènement qui se sont succédés depuis le coup d’État militaire auquel a largement participé la CIA ce n’est un secret pour personne.

Il nous faudra y revenir, éventuellement, en fonction du temps restant pour mes élucubrations…

En attendant le fatal et définitif moment, ce propos de Patrick Boucheron, « Un été avec Machiavel » : « Nous devons être divers, variés, indisciplinés — c’est-à-dire tristes et gais à la fois pour ne pas désespérer du métier de vivre. »

Robert