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L’État condamné en raison de la pollution de l’air. Une fausse victoire pour la protection de l’environnement

mardi 25 octobre 2022, par Jean-François COLLIN

Le Conseil d’État, à la demande de l’association des « amis de la terre », a condamné l’État le 17 octobre 2022, à payer une astreinte de 20 millions d’euros pour n’avoir pas pris les mesures permettant de respecter, sur l’ensemble du territoire national, les seuils d’émissions de dioxyde d’azote et de particules fines PM10, fixés par une directive communautaire du 21 mai 2008 et son annexe XI. Il avait déjà, condamné l’État, le 10 juillet 2020, à payer une amende de 10 millions d’euros pour le même motif.

Une pollution de l’air ancienne et touchant particulièrement les pays développés

Le dioxyde d’azote résulte des activités agricoles et de la combustion d’hydrocarbures, particulièrement du fioul, utilisés dans l’industrie, le chauffage et pour faire fonctionner les moteurs thermiques. Sa présence dans l’air est à l’origine de maladies respiratoires comme la bronchite ou l’asthme. Il est particulièrement présent dans l’atmosphère des pays économiquement développés.

Ces pays ont entrepris depuis une quarantaine d’années de réduire les émissions de dioxyde d’azote, avec des résultats très nets aussi bien aux États-Unis qu’en Europe. Dans les deux cas, c’est principalement la délocalisation de l’industrie dans les pays offrant une main-d’œuvre moins chère qui a permis la réduction des émissions de dioxyde d’azote. On notera que ni les Amis de la terre ni le Conseil d’État n’ont proposé de sanctionner le gouvernement français, acteur principal de la désindustrialisation du pays, pour la dégradation de la qualité de l’air respiré par les Chinois, les Vietnamiens et autres Taiwanais.

En plus de la délocalisation, des progrès ont été faits dans la conception des véhicules diesel pour réduire leurs émissions de dioxyde d’azote, d’abord par l’introduction de pots catalytiques et plus récemment par l’introduction d’un adjuvant, « l’AdBlue », à base d’eau et d’urée, dans le fonctionnement des véhicules équipés de moteurs diesel qui permet de transformer le dioxyde d’azote en eau et en azote avant que les gaz d’échappement ne soient relâchés dans l’atmosphère.

Les particules fines résultent de l’activité industrielle et agricole, des transports, des chantiers et du chauffage de tous les bâtiments et leur présence dans l’air a également été sensiblement réduite dans les vingt dernières années, pour les mêmes raisons.

D’après le bilan présenté par le ministère de la transition écologique pour l’année 2021, les dépassements de seuils autorisés d’émissions de dioxyde d’azote ont été constatés dans 5 agglomérations françaises et dans 4 agglomérations s’agissant des particules fines de type PM10.

Le Conseil d’État ne conteste pas que des progrès aient été réalisés, mais il les juge insuffisants ce qui l’a conduit à prendre cette décision.

On peut se réjouir de voir la plus haute juridiction administrative prendre ainsi la défense des citoyens et de leur santé, comme l’a fait la plupart des commentateurs. Que de chemin parcouru depuis le moment où Napoléon décidait de créer deux ordres de juridiction, l’un chargé des litiges civils et des condamnations pénales, l’autre s’occupant des mises en cause de l’administration qui ne pouvait à ses yeux être soumise à la même justice que le commun des mortels !

Mais cette décision soulève en même temps plusieurs questions

Est-ce le responsable qui a été condamné dans cette affaire ?

L’état n’a pas d’adresse, ou plus exactement il en a plusieurs. Il peut s’agir du gouvernement, du Parlement, des nombreuses administrations placées sous l’autorité du gouvernement, des autorités administratives indépendantes, des services déconcentrés de l’état dans les régions et les départements, etc.

En l’occurrence, le Conseil d’État a condamné le gouvernement à payer une astreinte de 20 millions d’euros.

Entendons-nous bien, ni Élisabeth Borne ni ses ministres ne vont devoir puiser dans leur épargne pour acquitter cette somme considérable. C’est le budget de l’État, donc les impôts des Français, qui sera mis à contribution.

En première analyse, ce sont donc les victimes qui sont appelées à financer l’indemnisation du dommage qu’elles ont subi en raison de la mauvaise qualité de l’air.

Mais les choses ne vont pas se passer exactement de cette façon pour deux raisons. Le gouvernement ne va pas demander au Parlement de lui accorder une autorisation de dépenser vingt millions d’euros de plus que ce qui figure dans la loi de finances pour 2022. Cette somme sera prélevée sur les crédits existants, au détriment d’une autre action de l’État dont le financement était autorisé par le Parlement. L’administration dont le budget sera amputé de cette somme fera les frais de cette décision du juge administratif. Il sera intéressant de voir quelle victime sera choisie.

Nous avons vu qui allait payer, voyons maintenant qui va être indemnisé.

Ce ne sont pas les personnes atteintes de bronchite où d’asthme, qui vont bénéficier de ces 20 M€.

L’association requérante, les Amis de la terre, recevrait 50 000 € ; l’agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie (l’ADEME) recevra 5,95 M€, le centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement (CEREMA) recevra 5 M€, l’INERIS 2 M€, l’ANSES 4 M€, AirParif 1 M€…

L’ADEME, le CEREMA et l’INERIS sont des établissements publics de l’État placés sous la tutelle du ministère de la transition écologique, c’est à dire du ministère principalement responsable de la préparation et de la mise en œuvre des textes législatifs et réglementaires visant à protéger l’environnement et notamment la qualité de l’air. Le juge administratif constate donc que ce ministère a mal fait son travail et, « en même temps », le récompense en attribuant des crédits supplémentaires aux établissements publics dont il a la charge. Comprenne qui pourra !

L’ANSES est un autre Établissement public de l’état. AirParif est une association entièrement financée par l’État et les collectivités territoriales.

Dans ces conditions, pour régler l’amende que le Conseil d’État vient de lui infliger, le gouvernement procédera à quelques jeux d’écriture dans la gestion de son budget pour faire apparaître une augmentation des ressources de certains des établissements publics nationaux placés sous sa tutelle.

Au bout du compte, les victimes ne sont pas indemnisées et les « coupables » ne paient pas. Cette décision du Conseil d’État annoncée à grands sons de trompes est de la poudre aux yeux.

Qui est le coupable ?

Il n’est donc pas étonnant que cette décision de justice ne permette pas non plus de savoir qui est véritablement le coupable, si coupable il y a. Est-ce le Premier ministre et son gouvernement qui n’ont pas fait ce qu’ils devaient faire, ou bien le président de la République qui aurait empêché le gouvernement d’agir, ou bien encore le Parlement qui se serait opposé à l’adoption des mesures législatives nécessaires pour faire disparaître de notre atmosphère les polluants concernées ? Les élus locaux responsables des grandes agglomérations n’ont-ils aucune responsabilité ? Ou bien encore serait-ce la faute des gilets jaunes qui par leur mouvement d’opposition à la taxation du carbone auraient retardé la prise de décisions nécessaires ?

Le Conseil d’État ne nous le dit pas, il se garde de s’en prendre au président de la République, ignore le rôle du Parlement, ce qui traduit peut-être sa bonne connaissance des institutions de la 5e République, et s’adresse à la seule institution susceptible de répondre à son injonction, le gouvernement.

On peut tout de même se demander pourquoi c’est le gouvernement qui se trouve condamné dans cette affaire et non les maires de Paris, de Marseille ou de Lyon, avec les présidents de région. Les uns et les autres disposent désormais de larges compétences en matière d’urbanisme, d’aménagement du territoire, de développement économique, qui sont autant de domaines ayant un impact important sur les émissions de dioxyde d’azote ou de particules fines.

Le gouvernement et le Parlement sont chargés de fixer le cadre législatif et réglementaire de l’action des autorités locales, mais celles-ci disposent d’une autonomie, garantie par la constitution, qui leur laisse toute capacité d’agir sur les causes des émissions de polluants atmosphériques notamment. Les maires sont par exemple responsables de définir, sur le territoire dont ils ont la charge, le périmètre des zones à faibles émissions qui doivent concourir à la réduction de la pollution atmosphérique dans les grandes agglomérations. Les raisons pour lesquelles ces édiles ne sont pas mises en cause et pour lesquelles la responsabilité seule de l’État est invoquée, ne sont vraiment pas évidentes.

Enfin, la motivation de la décision du Conseil d’État elle-même ne manque pas de surprendre. Le juge ne conteste pas les progrès réalisés depuis 2017, date à laquelle il fut saisi pour la première fois par les mêmes requérants pour sanctionner l’État pour son action insuffisante. Il constate même qu’à Toulouse, désormais, les seuils d’émissions d’oxyde d’azote sont respectés, mais il ajoute que la tendance ne permet pas de considérer que la situation est suffisamment consolidée. En conséquence de quoi il voit dans cette situation un motif de sanctionner l’État.

Il est assez étonnant de voir une institution publique condamnée non pour n’avoir pas respecté une réglementation mais en raison du risque qu’elle ne la respecte pas demain. Le Conseil d’État est-il, à l’instar de l’organisme de police « precrime » du livre « Minority report » de Ph. K. Dick, en mesure d’intervenir de façon préventive pour prévenir les crimes ?

La « justice environnementale », réclamée à grand cri par les associations de protection de l’environnement, est la meilleure est la pire des choses. Le droit de l’environnement doit être respecté, comme doivent l’être toutes les lois auxquelles nous sommes soumis. Mais pour qu’il soit respecté, ce droit doit être précis, déterminer les responsabilités de chacun des acteurs et les sanctions qu’ils encourent, ainsi que la nature des défaillances qui peuvent leur être reprochées.

La difficulté de la matière tient à l’interaction entre de très nombreux phénomènes physico-chimiques et entre de souvent trop nombreuses autorités publiques et privées.

L’intrication entre les problèmes environnementaux et les problèmes sociaux est telle que les autorités publiques agissent dans des conditions très contraintes, dans lesquelles leur capacité d’action est limitée. De plus, la situation de l’environnement est le résultat de décennies d’activités économiques, d’organisation de l’espace urbain et rural, de relations sociales qui ne peuvent être modifiées du jour au lendemain simplement en adoptant des textes et en faisant intervenir des juges.

L’autorité judiciaire qui souffre de ne pas être un « pouvoir » ne manque pas une occasion pour essayer de le devenir véritablement, voire si cela était possible pour s’instituer comme un pouvoir supérieur à tous les autres. L’indépendance de la justice doit être respectée, mais les excès de la justice doivent être également dénoncés. L’histoire nous enseigne que l’appareil judiciaire n’en est pas avare.

En l’occurrence, la décision rendue par le Conseil d’État semble mal assurée dans ses motivations. La sanction qu’il prononce, apparemment lourde, est plus formelle que réelle. L’État est mis en cause seul alors qu’il est loin d’être seul responsable de la situation. Ceux dont la santé a pâti de la pollution de l’air ne bénéficieront d’aucun dédommagement.

Je ne vois dans cette décision aucun progrès pour la protection de l’environnement et de nombreux problèmes quant au fonctionnement de nos institutions dans un domaine qui sera de plus en plus sensible.

Le 19 octobre 2022

Jean-François Collin