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Courage en Iran, lâchetés en Europe

mercredi 30 novembre 2022, par Denis COLLIN

Depuis le 16 septembre, des manifestations sous des formes diverses secouent l’Iran : la mort de Mahsa Amini, arrêtée par la police des mœurs pour avoir enfreint le code vestimentaire strict du pays, a été le déclencheur d’un mouvement qui touche en réalité toutes les couches de la population. Le régime répond par une répression impitoyable. Au cours de la dernière semaine de manifestation, les forces de sécurités iraniennes ont tué 72 personnes, dont 56 au Kurdistan iranien, a affirmé mardi 22 novembre dernier l’ONG Iran Human Rights (IHR), basée à Oslo. Parmi ces morts, figurent 51 enfants et 21 femmes, selon IHR. Le bilan total s’élève donc à 416 morts depuis le début du mouvement de contestation. En fait il y a une double agitation : le mouvement des femmes entre syntonie avec les mouvements en cours au Kurdistan iranien. Que la répression soit particulièrement féroce au Kurdistan iranien n’est pas pour nous étonner : qu’ils soient sous la domination irakienne, syrienne, turque ou iranienne, les Kurdes réclament leur droit à la nation contre ces mini-impérialismes locaux. Des unités blindées ont été envoyées dans les régions kurdes iraniennes. Des bombardements iraniens ont frappé des installations kurdes de l’autre côté de la frontière.

Le régime des mollahs a annoncé qu’il n’hésitera pas à employer tous les moyens pour terroriser la population. Imperturbables, les ayatollahs dénoncent « l’Occident » qui soutiendrait les manifestants. Malgré cela, les manifestations continuent. Mais le régime se craquelle. Un jour ce sont les joueurs de l’équipe iranienne au Mondial qui refusent de chanter l’hymne national, un autre jour ce sont les basketteuses qui posent sans hidjab. Un ministre est contraint à la démission parce qu’on a publié une photo de lui avec sa petite amie, sans voile – même si cette photo date de 2011.

Ce qui nous frappe ici, c’est le courage dont font preuve ces femmes, mais aussi ces hommes qui affrontent le régime terroriste iranien. Tout le monde le sait : si le régime capitule sur le port du voile et démantèle sa police des mœurs, il s’écroulera presque immédiatement. Car contrairement à ce que professent les idiots et les idiotes utiles qui occupent le devant de la scène (de gauche en France) et dans d’autres pays d’Occident, le voile politique ou « religieux » n’est pas un vêtement, pas plus que la croix gammée n’était une décoration aussi inoffensive que les décorations de Noël. Le voile est un outil d’oppression, camisole de force qui est là pour rappeler l’écrasement de la révolution iranienne de 1979 par les mollahs et la réaction islamiste. De nombreux événements ont ponctué cette longue histoire. En 2019, un mouvement insurrectionnel avait été violemment réprimé, voir notre article, En finir avec le régime sanguinaire des mollahs (novembre 2019). Nous avions consacré trois articles à l’Iran en 2009 : http://la-sociale.viabloga.com/news/ou-va-l-iran-1, http://la-sociale.viabloga.com/news/ou-va-l-iran-2 et http://la-sociale.viabloga.com/news/ou-va-l-iran-3 qui rappellent cette histoire.

Le devoir de tous ceux qui sont attachés à la liberté est donc d’être aux côtés du peuple iranien, aux côtés des femmes de Téhéran. Inconditionnellement ! Mais étrangement, ici il ne se passe rien ou presque rien. Les gouvernements « démocratiques » haussent à peine les sourcils et les organisations « ouvrières et démocratiques » comme on dit gardent un silence assourdissant. On peut en chercher les raisons.

Du côté des gouvernements, on est prêt à morigéner et même à sanctionner l’Iran quand il s’agit du nucléaire, mais certainement pas quand il s’agit de la liberté des femmes, car attaquer l’Iran sur ce point, c’est se mettre en mauvaise situation avec toutes les tyrannies et demi-tyrannies islamiques, au premier chef l’Arabie saoudite, le Qatar et les Émirats, avec lesquels nos gouvernants entretiennent des relations complices, illustrées actuellement par la « coupe du monde de foot » ou encore « coupe de la honte » (voir https://la-sociale.online/spip.php?article848). Du reste aucun pays où l’islam domine ne respecte les principes élémentaires des libertés personnelles. Ils respectent l’argent, mais pas les humains et singulièrement pas les femmes… En outre, on sait que l’islamisme peut être une version intéressante de la domination du capital et les oligarques musulmans, s’ils veulent faire régner strictement la charia dans leurs pays, adorent la débauche et le luxe dans leurs salons privés. Sainte alliance des gouvernements et des classes dominantes. Rien donc de vraiment étonnant.

Du côté de la gauche, le silence semble de mise. Aucun appel à soutenir les Iraniens en lutte contre leur régime. Un oubli ? Ou plutôt une orientation murement réfléchie ? Le député LFI-Nupes, Carlos Martens Bilongo, apporte la réponse. Connu depuis son altercation avec le RN. il est un familier de l’organisation turque frériste en Europe Milli Görüs. Il a fréquenté, dûment ceint de son écharpe tricolore, la mosquée radicale de Villiers le Bel et s’était beaucoup activé à Sarcelles aux côtés d’islamistes qui ont organisé en 2014 un véritable pogrom contre les magasins juifs de cette ville. Bilongo n’est que la pointe émergée de l’iceberg. Jean-Luc Mélenchon lui-même, à la suite de Obono et quelques autres, a organisé la confusion entre islamistes et musulmans, interdisant de fait la critique des premiers au nom du respect des seconds. Du coup, Beaucoup de militants LFI tiennent aujourd’hui toute critique de la religion islamique pour une manifestation de fascisme et de racisme. Depuis qu’en novembre 2019 Mélenchon et ses amis ont défilé, au nom de la lutte contre « l’islamophobie » derrière des sonos hurlant « Alahou Akhbar », la mutation de LFI s’est poursuivie, rompant progressivement tous les liens de cette organisation avec la république laïque. Le constat est terrible et imparable.

Il y a une troisième catégorie d’indifférents et de lâches, ce sont les malins qui se prennent pour des stratèges de géopolitique. Estimant que la chute du régime iranien, allié de Moscou, ne ferait que renforcer les États-Unis, ils en concluent que, décidément, ces femmes en lutte contre le voile ne comprennent rien à la géopolitique et sont donc certainement manipulées par Washington.

Ce concours des lâchetés permet de mesurer précisément les proclamations sur les « valeurs ». C’est une nouvelle leçon. Mais aussi une bonne raison pour ne pas garder le silence, pour soutenir par tous les moyens les mouvements démocratiques en cours en Iran. Encore une fois inconditionnellement, car sans la démocratie, sans la liberté et l’égalité, il est impossible de parler de socialisme.