Les médias enferment la réflexion sur les massacreurs entre psychologie et sociologie. Acte d’autant plus facile qu’il s’agit là de leur comportement général !
Pyschologie ? Etait-il radicalisé ? Fou ? Malade ? etc. Un héros, certes négatif, mais un héros tout de même car les médias vont parler cent fois plus de lui, que des survivants !
Sociologie ? Mais non, il est le fruit de la misère sociale, de l’exclusion d’où, dans une part de la « gauche », sa transformation incroyable en « révolté »1.
Au cours d’une réunion publique, en réponse à une question, Paul Ariès avait résumé ainsi l’histoire de l’humanité : l’homme a d’abord consommé la nature, puis d’autres hommes (l’exploitation de l’homme par l’homme) et, sur la même pente il finira par se consommer lui-même. Le suicide est si ancien que la religion catholique (je ne sais pour les autres) l’a mis au ban de la société.
Si hier le suicide était personnel, l’expression d’une liberté ( !), aujourd’hui il a tendance à devenir l’expression d’un fait social, sinon pourquoi se suicider en faisant plonger un avion ou en conduisant un camion ?
Les médias ont pour fonction de noyer la réalité sous un flot d’informations (quand hier la censure disait le bien !) où il devient très difficile de discerner la vie. Avec les massacreurs, l’essentiel consiste donc à éviter d’analyser la mort du politique qu’exprime cette société où l’homme est un loup pour lui-même, une mort souvent en Une des journaux mais en ce qu’elle a de politicien.
Islamisme, Inquisition, Fascisme
Quand Paul Ariès évoquait ce stade historique où l’homme allait se consommer lui-même, il répondait à une question sur la scientologie dite «Eglise de scientologie ». Une religion si moderne, si actuelle qu’elle inverse la problématique religieuse : d’un moule dans lequel le croyant devait s’inscrire (d’où le besoin de croire), on passe à un moule où le croyant devient le point de départ (et son argent avec), c’est-à-dire dieu ! La scientologie a industrialisé, sous forme de secte, ce besoin qui, dans les librairies, occupe des rayons entiers sous le titre : le développement personnel. L’homme libre a le vertige et il devient son propre vertige.
Face à cette société de la liberté et aux souffrances engendrées, l’islamisme répond par l’incorporation apaisante de l’homme dans une nouvelle communauté. L’homme au camion a sa propre psychologie et sa propre histoire sociale mais comme tous les massacreurs, il exprime un au-delà de lui-même et de son histoire. Il n’est pas un héros, il est un martyr, et les médias en cherchant sans cesse à répondre : « Qui est-il ? » conforte ce rôle de martyr. Un martyr qui peut devenir décadent ! A tuer des personnalités comme les journalistes, c’est la notoriété mondiale assurée, notoriété à la dimension des journalistes de Charlie. Les assassins de Kennedy n’ont pas cherché la notoriété. A tuer n’importe qui, c’est tomber bien bas, si bien que Gilles Keppel y voit un signe de faiblesse de la mouvance islamiste dont il annonce le décès depuis si longtemps. Un signe de faiblesse car cet acte ne suscite aucun soutien. En retour, personne ne peut dire : « Je ne suis pas Charlie ». Le lecteur l’a peut-être noté, j’ai évité le terme de « terroriste » car semer la terreur n’est qu’une des formes de l’assassinat organisé du politique… par l’islamisme.
Inquisition, Fascisme
J’ai moi-même pensé que les « fous de dieu » étaient une forme actuelle de l’Inquisition. L’Inquisition a semé la terreur mais contre un rationalisme en construction, donc Galilée a eu droit à un procès. Il ne s’agissait pas de poser une bombe chez lui mais de démontrer par le raisonnement qu’il ne raisonnait pas !
Dernièrement, à Avignon, j’ai vu une belle pièce de théâtre où pour combattre l’islamisme, les artistes s’appuient sur un Don Quichotte (le représentant de l’utopie) tombant sous les coups de l’Inquisition aux airs clairement islamistes. Le geste est appréciable car il pousse vraiment à la réflexion mais, il a eu sur moi, l’effet inverse : l’islamisme n’est pas un archaïsme, un vestige du passé qui aurait du mal à mourir, mais une réponse concrète aux problèmes concrets d’aujourd’hui. Pour Marx, les contradictions du capitalisme conduisaient à cet homme nouveau dans l’univers du socialisme où la solidarité aurait remplacé l’exploitation de l’homme par l’homme. Vision optimiste de l’histoire en un temps où le capitalisme n’avait pas déployé toutes ses conséquences néfastes. Comme il va de soi, l’islamisme n’est pas l’islam, mais une forme nouvelle qui permet à un groupe, face à la mort du politique, de s’installer dans une nouvelle fonction dirigeante.
Oui, l’Inquisition fut aussi une prise de pouvoir politique par le religieux, contre la montée en puissance de la bourgeoisie (exprimée par le protestantisme) mais à une époque où de toute façon le religieux avait l’essentiel du pouvoir. Depuis deux siècles, les religions ont été réduites, pour les catholiques au territoire étroit du Vatican et partout confrontées à la mort du sacré. En ce sens, l’islamisme est un retour en arrière mais pas seulement. Et je ne cesse de m’étonner quand, une certaine « gauche », y voit des révoltés alors que nulle part l’islamisme au pouvoir n’a fait le moindre geste en faveur des peuples sous leur coupe ! Il n’y a pas pire contradiction que la Bolivie de Morales appelant à la rescousse l’Iran pour obtenir des hôpitaux gratuits… où les infirmières locales sont obligées de porter le voile islamique. Bref l’explication de l’islamisme par l’inquisition peut devenir un anachronisme.
Fascisme
J’ai moi-même pensé que les massacreurs étaient une des formes actuelles du fascisme. L’homme qui loue un camion, laisse un chèque de caution, choisit un date, un lieu, et fonce dans la foule était-il l’expression d’un fascisme ? Le fascisme, ce qu’il est toujours, a d’abord était une prise de pouvoir du politique sur l’économique (comme la révolution de 1917). Nous étions à un moment où le pouvoir économique du capitalisme devenait tel qu’il tuait lui aussi le politique, mais la riposte a consisté à afficher un retour du politique, et non pas à s’insérer dans la mort du politique, pour y faire son nid. Le fascisme s’est exprimé par la création de partis fascistes devenus partis de masse (sous l’effet volontaire ou la contrainte).
De la scientologie à l’islamisme l’essentiel tient dans le pouvoir d’une secte de gens «élus» pour diverses raisons. Dans tous les cas, nous sommes face à l’expression de «libertés» dévoyées or l’engagement fasciste entrait dans l’ordre d’une soumission assumée. L’homme se consomme lui-même quand il imagine que cette consommation est l’effet de sa liberté (mettre le voile, c’est mon choix !). Des commentateurs en reviennent souvent – sous diverses formes – à La Boétie, et à ce constat que le pouvoir des puissants n’est rien d’autre que l’abandon par le citoyen de sa propre souveraineté. L’homme s’auto-exploitant et donc s’auto - détruisant dans la joie ? Après tout, il en a bien le droit, il est libre ! Sauf que depuis La Boétie, que d’expériences vécues de révolutions ! Pour une part, l’islamisme et un contraire du fascisme même si les deux se ressemblent par l’idéologie (voir une démonstration minutieuse et fabuleuse de Latifa Ben Mansour) puisque le politique est remplacé par la fusion entre pouvoir économique et pouvoir religieux. Deux sectes finissant par s’épauler au nom d’un féodalisme nouveau. Pouvoir de l'argent et pouvoir du religieux pouvant déboucher sur une autre phase du capitalisme alors que des courants capitalistes ont vite compris que le fascisme n'était pas soluble dans le pouvoir de l'argent. Les financiers et financeurs de Franco en firent la douloureuse expérience.
Conclusion : La France
Une question revient souvent : mais pourquoi la France ? A partir du moment où l’islamisme n’est pas une question franco-française, les explications par les questions de politique intérieure ou d’actualité, restent marginales. Pour preuve : les islamistes répètent sur les chaînes de leur télé (comme aljazeera) que c’est à Poitiers que les Arabes furent arrêtés ! (les Arabes sont minoritaires parmi les musulmans !) D’autres préfèrent en revenir à la guerre d’Algérie.
Au début des années 70 j’ai constaté à ma grande surprise que l’image de la France dans les profondeurs des USA, c’est encore la Révolution. Puis j’ai découvert que cette image est la même (mais en version positive) en Amérique du sud. Je ne cesse d’être fasciné par le nombre de gens qui y portent comme prénom Victor Hugo (Chavez n’en ayant eu que la moitié). Plus encore, pour les défenseurs du pouvoir religieux, la France c’est historiquement et non circonstanciellement, Satan. D’où le retour en force de cette confusion : la laïcité c’est l’athéisme.
Pour moi, aux Amériques, le Mexique joue le rôle de la France, le Mexique qui connaît une vague d’attentats sans équivalent et qui, là-bas aussi, seraient commis par des «insurgés»… mafieux. L’insurrection authentique du Chiapas2 n’a pas été battue par les militaires, mais par le crime organisé ! Et la traduction pratique, c’est la Mafia prenant en charge les fonctions du politique : organiser la sécurité, les services sociaux, la santé etc. A son profit bien sûr, et avec une particularité par rapport à l’islamisme : l’utilisation des chansons à sa gloire, ce qui donne un air plus joyeux aux massacreurs.
Cette France révolutionnaire qui a existé, qui a donné le système métrique au monde entier (ou presque) est en permanence dévalorisé par les médias qui avancent d’autres modèles pour la honte de notre pays. Ailleurs il y a de grandes régions (c’est faux !) donc la France a besoin de grandes régions, ailleurs sur l’euthanasie on demande l’opinion des religieux, alors en France aussi…etc. D’où toute la question : comme être fiers de notre histoire sans tomber dans le cocorico ? comment être pour la nation française sans tomber dans le nationalisme ? comment rappeler la force de notre modèle sans le figer, sans l’idéaliser ? Kateb Yacine disait qu’en tant qu’Algérien, il avait gardé la langue française comme trésor de guerre ; dans la guerre actuelle gardons notre histoire comme un trésor porteur d’avenir.
J-P Damaggio
1 J’approuve sur ce site l’article d’Yvon Quiniou.
2 Il arriva à Alain Gresh, dans le Monde diplomatique, d’établir un parallèle entre insurgés du Chiapas et frères musulmans d’Egypte, les deux civilisations étant dotées de pyramides !
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