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Explosion de la NUPES. Autopsie.

vendredi 20 octobre 2023, par Denis COLLIN

Explosion de la NUPES. Autopsie.

Ainsi, la NUPES, c’est fini. La NUPES était le dernier avatar de l’Union de la Gauche, qui s’était appelée « cartel des gauches », « Front populaire » et s’appellera « Gauche plurielle » en 1997. Après avoir constaté le refus de tous ses partenaires de constituer une liste unique aux prochaines européennes, LFI a lancé une opération anti-Roussel, traité de Doriot, c’est-à-dire de fasciste, jusqu’au point où les instances de LFI, les arrivistes élus par Mélenchon, déclarent que le PCF s’est de lui-même mis hors de la NUPES. Roussel et le PCF ont pris acte lors de la dernière réunion de leur direction, de cette rupture et appelé à construire une nouvelle union. De son côté, le PS, dirigé par un Olivier Faure, pourtant bienveillant à l’égard de Mélenchon, a suspendu sa participation à la NUPES.

Les LFI-istes sont partis sur une nouvelle combinaison : ils veulent faire fond sur les quartiers des cités, une sorte de coordination dont la Seine–Saint-Denis est l’épicentre. Sur le compte X de Taha Bouhafs, sous une vidéo d’un manifestant propalestinien qui appelle à voter Jean-Luc Mélenchon, on trouve cette prédiction : « À la prochaine présidentielle, la masse des habitants des quartiers populaires issue de l’immigration postcoloniale sera faiseuse de rois. Celles et ceux à gauche qui ont tenu des discours ambigus sur la question coloniale le paieront très cher électoralement ». La position de Danièle Obono qui prend ouvertement le parti du Hamas, les contorsions de Mélenchon qui refuse de dire que le Hamas est une organisation terroriste, s’inscrivent dans cette stratégie Bouhafs qui est celle de Mélenchon depuis la manifestation de la honte de novembre 2019. En 2015, Mélenchon, dans L’ère du peuple annonçait qu’un nouveau sujet politique, le « peuple urbain », devait prendre la relève de la classe ouvrière… Tout était dit. Chose étrange, depuis qu’il s’est orienté en pratique sur la ligne d’alliance avec les groupes Frères musulmans, très actifs sous divers faux-nez, Mélenchon reçoit un soutien enthousiaste du POI qui fut pourtant, pendant, des décennies, le gardien des dogmes « marxistes » et qui, aujourd’hui, piétonne allègrement ce qu’il chérissait jadis.

Beaucoup d’amis disent : d’accord, LFI, ça ne va pas, mais il n’y a rien d’autre. Effectivement, le PS, on connaît et sa sortie de la NUPES va permettre le retour de Hollande et Cazeneuve, c’est-à-dire le pire des tous ces pires. Laissons de côté les fous, les EELV et les Aymeric Caron. Reste le PCF : Roussel n’est pas un mauvais gars, apparemment, mais le PCF est un parti moribond dont les résultats électoraux catastrophiques n’ont aucun rapport avec la sympathie que Roussel a réussi à susciter dans l’opinion. Ajoutons que le PCF est devenu largement un parti petit-bourgeois comme les autres partis de gauche et qu’il est sous la pression des « bobos », comme à Paris avec Ian Brossat. Si le PCF était un parti d’avenir, ça se saurait. Les partis d’extrême gauche, comme le NPA sont en voie de décomposition très avancée et ils ne représentent plus rien. Au total la gauche, c’est moins de 30 % des suffrages exprimés.

La grande illusion

Devant le champ de ruines qu’est la gauche, non seulement en France, mais dans toute l’Europe et bien au-delà, il faut prendre les choses à la racine pour déblayer le terrain. La gauche est, dès l’origine un jeu de dupes : il s’agit de présenter au public des électeurs et citoyens engagés la façade chatoyante de quelque chose qui n’est pas très attirant.

Rappelons d’abord que la gauche est la gauche de la classe dominante. Quand cette partition droite-gauche apparaît, elle dit simplement que les partisans du veto royal se sont rangés à droite et ses adversaires à gauche. Il est, certes, « mieux » d’être contre le veto royal que d’y être favorable ! Mais un possédant de gauche reste un possédant, qui défend les intérêts des possédants. Jusqu’à la fin du xixe siècle, les conflits entre droite et gauche, qui n’étaient pas des conflits dérisoires pourtant, restaient circonscrits aux classes dominantes. Les classes populaires se situaient en dehors de ces conflits. Les premières organisations ouvrières n’étaient ni de droite ni de gauche. Significativement, Marx n’emploie que très rarement « droite » et « gauche » dans le sens politique, sinon, par exemple, pour faire de Thiers un représentant du centre-gauche et de Barrot un représentant de la gauche. En 1848, c’est un général républicain (de gauche) Cavaignac qui organise la répression des manifestations ouvrières, faisant plus de 5000 morts, ce qui lui vaudra le surnom de « prince du sang ». C’est un autre général, Gallifet qui dirige la répression contre la Commune de Paris et finit sa carrière dans un gouvernement de gauche dreyfusard.

La gauche du xxe siècle est l’union de cette gauche bourgeoise, massacreurs d’ouvriers inclus, et du principal parti ouvrier, le parti socialiste qui devient SFIO après l’unification conduite par Jaurès. Mais ce parti ouvrier est de fait colonisé par les intellectuels, les avocats et les aspirants à la notabilité. Les ouvriers n’y sont, le plus souvent, que la piétaille qui colle les affiches et rameute les citoyens lors des meetings.

Entendons-nous bien : il peut être parfaitement légitime de soutenir un gouvernement « bourgeois » si cela est profitable au progrès de la classe ouvrière. Ainsi Marx et Engels proposaient-ils de soutenir Clemenceau au début des années 1880, parce que son programme de réformes institutionnelles était favorable à la démocratie et que, pensaient nos deux auteurs, une « République à la Clemenceau » serait un pas vers la république sociale. Mais ce qui se passe à partir du début du siècle, et, encore une fois, sous la pression des éléments petits-bourgeois dans le parti socialiste, c’est la transformation du socialisme en un système de domestication de la classe ouvrière. Le « bloc » entre les radicaux et les socialistes est un bloc au sens où le cavalier et son cheval forment un bloc. Le cavalier s’efforce de soigner son cheval correctement, mais c’est lui qui décide où et quand ils vont galoper !

On savait pourtant que les radicaux étaient comme les radis, rouges dehors et blancs dedans… Comment cette opération a-t-elle pu fonctionner ? Parce que les chefs du parti socialiste et bientôt avec eux ceux du parti communiste, ont réussi à persuader les travailleurs que la « gauche » était au fond la même chose que le socialisme et le communisme, qu’elle était une étape vers le but final, celui qu’on rappelait encore lors des banquets des jours de fête.

Comment on se heurte au mur de ses illusions

L’épreuve du feu arriva tôt. L’été 1914 a vu se briser la vieille social-démocratie pacifiste. L’encre des résolutions du congrès de Bâle était à peine sèche, que chaque parti de l’Internationale se rallia à sa propre bourgeoisie pour se plonger dans la grande boucherie inaugurale, celle d’où sont sortis tous les monstres de ce xxe siècle, fertile en monstres. La scission de l’internationale et la création des partis communistes et de la nouvelle internationale n’ont en rien changé la trajectoire du mouvement ouvrier, sinon qu’il s’est retrouvé encore plus éparpillé qu’avant.

Les Fronts populaires en France et en Espagne déplaçant le combat anticapitaliste vers un combat antifasciste ont accéléré le rapprochement entre socialistes et gauche bourgeoise — laquelle d’ailleurs perdait progressivement toute substance. Le Front populaire français est paradigmatique. Constitué en réaction de la manifestation des factieux le 6 février 1934, le Front populaire gagne les élections de mars 1936, mais son programme est fort peu social. Ni les 40 heures, ni les congés payés, ni les assurances sociales ne figurent dans le programme conçu pour ne pas effrayer le parti radical. C’est la grève générale avec occupation, en juin 1936 qui hâte la constitution d’un gouvernement dirigé par Léon Blum et va déboucher sur les accords Matignon qui font entrer 1936 dans les grandes dates de l’histoire. Mais, répétons-le, ces accords sont le résultat de la mobilisation populaire, utilisant des formes inédites (l’occupation des usines) et non le fruit de la volonté de la gauche.

Le scénario est récurrent : on attribue à la « gauche » ce qui revient en réalité au mouvement social. Mais dès l’automne 1936, changement de scénario. Les difficultés s’accumulent. Sur l’aide à la République espagnole confrontée au soulèvement franquiste, Blum se rallie à la position des Anglais et refuse d’intervenir, laissant de fait le champ libre à Hitler et Mussolini. La fusillade de Clichy en mars 1937 ouvre des fractures béantes dans l’unité. Avec le pacte germano-soviétique, le PCF qui approuve ce pacte est mis hors-la-loi et c’est la même assemblée (moins les communistes) qui va voter en 1940 les pleins pouvoirs à Pétain.

Par la suite, les victoires de la gauche unie conduiront à des scénarios similaires. À la Libération, d’importantes réformes sociales sont engagées, sous la pression d’un mouvement populaire qui s’est engouffré dans la brèche qu’avait ouverte la défaite et l’effondrement de « l’État français ». Mais très vite, les gouvernements de coalition vont faire tout ce qu’ils peuvent pour enrayer les réformes. Les gaullistes seront d’ailleurs les premiers à vouloir s’attaquer aux acquis du programme du Conseil National de la Résistance. En 1956, le front républicain est élu sur le programme de la paix en Algérie et presque immédiatement le nouveau président du Conseil, le SFIO Guy Mollet déclenche la guerre à outrance, sous le joli nom de « pacification ». On pourrait parler de 1981 et de la « pause » infligée dès 1982 qui va entraîner les socialistes et la gauche dans un gigantesque programme de contre-réformes et de liquidation de pans entiers de l’industrie française, résumé d’un mot par Laurent Fabius, devenu Premier ministre : « on fait le sale boulot ». La gauche, c’est ça : on utiliser l’énergie ouvrière pour faire le sale boulot.

Ensuite, l’électeur de gauche se retrouve désillusionné, trahi, tout marri d’avoir donné sa confiance à ces politiciens qui pensent surtout à leurs postes et aux menus avantages qu’ils en peuvent tirer.

Épuisement du vieux mouvement ouvrier

Tant va la cruche à l’eau… à la fin la vieille gauche est morte. Et bien morte. Morte parce que classe ouvrière l’a désertée, soit pour l’abstention, soit pour le RN. Morte parce que ses partis ont été colonisés par la petite-bourgeoisie intellectuelle, tous ces Incroyables et ces Merveilleuses qui haïssent le peuple et veulent lui dicter comment il doit manger, se chauffer, voyager, faire l’amour ou parler. Ces Sandrine Rousseau et autres Aymeric Caron qu’en d’autres temps on aurait pris pour des fous furieux avant de les conduire, sous camisole de force vers le premier HP venu. Le fossoyeur de la gauche s’appelle Mélenchon, dont le « mouvement gazeux », la France Insoumise, substitue à l’idée de parti, d’organisation plus ou moins démocratique des simples citoyens, une meute à la botte du caudillo. Mais non content de cette première substitution, le mouvement gazeux mélenchonique en opère une seconde : le vieux peuple des travailleurs ne lui plaisant plus, le chef suprême lui en substitue un autre : celui des woks, des LGBT, des végans, mais surtout des islamistes qui travaillent les banlieues et qui pensent donc être bientôt les faiseurs de rois.

Il y a, admettons-le, autre chose que l’action décidée des candidats au maniement du fouet que se recrutent chez les nouvelles intellectuelles, et surtout chez les intellectuels ratés, ces « crétins éduqués » dont parle Todd. Il y a une situation objective, une transformation sociale en profondeur dans les rapports de production. Au sens strict, la classe ouvrière productive représente 10 % à peine de la population. On peut y ajouter les employés qui font tourner la machine, mais ceux-ci sont loin d’avoir la « conscience de classe » qu’on connaissait dans les grands bastions de la métallurgie. Ajoutons une couche de professions intermédiaires, des enseignements aux petits cadres, puis une couche dans cesse croissante de classes moyennes supérieures vivant plutôt bien et on a le tableau des conditions de l’affaissement du mouvement ouvrier. La mondialisation, avec son cortège de délocalisations, de compression d’effectifs, de restructurations, a brisé les os du mouvement ouvrier et des classes populaires en général.

Là encore, c’est la gauche qui a été à l’avant-garde. À l’avant-garde de la mondialisation et de la libéralisation des marchés : l’essentiel est l’œuvre de Delors et Bérégovoy. À l’avant-garde de la dérégulation de l’économie et de l’émergence des comités Théodule et autres en lieu et place des administrations de l’État. À l’avant-garde toutes les modes les plus extravagantes et de l’entreprise

visant à l’analphabétisation de la jeunesse. À l’avant-garde de l’intégration dans l’UE et de la liquidation de la souveraineté, c’est-à-dire de toute possibilité pour le peuple de se ressaisir de son destin.

Sortir de la gauche

Ce qui va advenir de la NUPES n’a pratiquement aucune espèce d’importance. Si LFI se décompose après marginalisation, ce ne sera pas une mauvaise chose. Mais comme je l’ai écrit voilà déjà un bon moment, droite et gauche sont des catégories politiques inutilisables. Sauf pour tenter une dernière opération d’enfumage. Sortir de la gauche, ce n’est pas aller à droite, c’est sortir de ce théâtre d’ombres qu’organisent les politiciens et qui n’amuse plus personne.

Commencer par refuser le « barragisme » : voilà la première évidence. La « gauche » a « fait barrage » à Madame Le Pen en faisant élire l’un de ses rejetons les pires, Macron. Le vote par défaut, celui qui se pratique massivement depuis plusieurs décennies, corrompt l’esprit démocratique et aboutit à éloigner les électeurs des urnes. On vote pour le parti qui représente nos idées. Point. Les autres, qu’ils se débrouillent.

Plus les frontières réelles entre les divers partis sont labiles et plus le sectarisme se développe. Nous avons au contraire besoin de redonner son sens au débat politique, sachant que les citoyens ne sont prisonniers de leurs appartenances partisanes, que les gens de droite ne sont des « salauds » et ceux de gauche le vrai camp du bien. Les clivages qui existent recoupent tous les sujets et donc exploser les vieux antagonismes si on commence à discuter sérieusement. Un militant de gauche partisan de l’UE est en fait un partisan du système, même s’il dit le combattre, et un homme de droite défenseur de la souveraineté nationale contredit lui aussi ce qu’il croit être ses convictions profondes. Il est vrai que, pour paraphraser Bossuet, nombreux sont ceux qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes…

On peut fixer quelques lignes politiques essentielles. La première dans l’ordre d’importance tient en un mot : souveraineté. On ne peut rien faire de sérieux pour la défense des classes populaires tant qu’on reste dans le cadre mondialiste, du dogme du libre-échange et de l’européisme. Pour que la liberté ait un sens, il faut être maître chez soi. Comment empêcher les délocalisations si elles sont décidées par des entreprises multinationales qui cherchent les lieux aux plus bas coûts salariaux ? Il faut tailler à la hache dans les traités de libre-échange. Comment nationaliser les entreprises stratégiques en respectant les traités de l’UE ? On peut faire la longue liste des interdits posés par l’insertion de notre pays dans la mondialisation et l’UE. Personne ne peut parler de socialisme ou de république sociale en acceptant ce cadre qui est précisément conçu pour en interdire la possibilité.

Le deuxième point, qui est le premier sur le plan des principes, est que c’est le capital qui emmène le monde à sa perte. Nous ne pourrons pas affronter les défis auxquels nous sommes confrontés sans mettre en cause le libre marché et le libre développement du capital.

Le corrélat du point précédent, corrélat moral, est que toutes les questions doivent être abordées du point de vue du plus défavorisé, c’est-à-dire du point de vue des classes populaires, c’est-à-dire les travailleurs « dépendants et indépendants ». Il faut défendre le droit des ouvriers à travailler dans des conditions dignes, le droit des paysans à rester sur leurs terres et à en vivre décemment, les droits des artisans, etc.

Le dernier point est que la démocratie suppose une communauté politique, dont les membres entretiennent entre eux les liens de la fraternité. L’identité de la nation n’est pas un marqueur d’extrême droite. Il faut comme le dit Rousseau, se défier ces cosmopolites qui aiment le Tartare pour n’avoir pas à aimer leur voisin. Il faut tirer de tout cela les conséquences quant à une politique de l’immigration. Cela implique aussi une claire position contre le woke et l’indigénisme sous toutes leurs formes.

On peut aussi dire ce qui n’est ni une ligne de clivage ni une base de rassemblement politique. Les questions dites sociétales, qui sont devenues le fonds de commerce de la gauche, n’ont rien à faire avec le combat politique. L’intimité ne ressortit pas au débat politique. La seule chose que l’on peut réclamer c’est que personne ne soit inquiété ou discriminé en raison de ses préférences sexuelles. Les revendications « trans » sont en revanche absurdes et irrecevables, il suffit de s’en tenir au simple bon sens pour le comprendre…

Le 20 octobre 2023