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Le FN-RN, indispensable auxiliaire du pouvoir

jeudi 20 décembre 2018, par Denis COLLIN

Le FN-RN dirigé par Mme Le Pen (c’est une affaire de famille) passe pour un parti d’opposition, pour un parti national, patriotique et se veut le défenseur de cette France « invisible » rendue visible par les gilets jaunes.

Rappel : pourquoi ce n’est pas un parti fasciste

Nous avons déjà eu l’occasion de montrer quelles idioties véhiculaient les caractérisations de « fasciste » ou de « nazi » lancées à l’adresse de ce parti ou de ses dirigeants. Dans cet article, nous montrions que Le Pen n’est que la caricature du fascisme :

Le Pen joue un rôle bien défini dans la vie politique française depuis le début des années 80. C’est le croquemitaine pour faire obéir les enfants. De l’extrême gauche à la droite socialiste, tous y sont allés de leur couplet : Le Pen était la résurgence du nazisme contre lequel tous devaient faire bloc : « F comme fascisme, N comme nazisme » criaient à tue-tête la LCR et son satellite de « Ras l’Front ». En fait, l’antilepénisme a servi d’idéologie à une gauche en plein désarroi et dont la politique sociale se droitisait chaque jour un peu plus. Incapables d’attaquer la droite sur son programme - et pour cause : les convergences avec leur propre politique étaient visibles pour tous les citoyens - les socialistes l’ont accusée de « faire le jeu de Le Pen » ou encore la sommait de « refuser les voix lepénistes ». Au moment du référendum sur le traité de Maastricht (1992), la direction de SOS Racisme, Dray, Désir, Boutih and Co, appelait à voter « oui » au motif très subtil que Le Pen votait « non » et par, par voie de conséquence, les partisans du « non » ne pouvaient être que des crypto-lepénistes. Un argument qui a encore beaucoup le 29 mai 2005. Les médias ont joué leur partition : après avoir propulsé Le Pen, ils sont devenus anti-lepénistes, les bobos de Canal+ en tête.

L’histoire se répète toujours deux fois, la première comme tragédie, la seconde comme farce, disait Marx (Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte). Relativement aux tragédies du siècle dernier, le lepénisme n’était qu’une farce minable. Et ceux qui appelaient à refuser les voix du FN ont été les premiers en profiter : les analyses électorales montrent qu’au deuxième tour les électeurs du FN se répartissent dans une proportion de 60/40 entre la droite et la gauche. En 1997, la gauche revient par surprise au pouvoir grâce au maintien du FN dans une soixantaine de circonscriptions et Le Pen lui-même disait à qui voulait l’entendre qu’il préférait « l’internationaliste Jospin » au « traître Chirac ». Et quand Le Pen devance Jospin en 2002, il en est le premier surpris. Entre les deux tours, il confie à des journalistes que l’élimination du candidat socialiste est un coup de Chirac qui aurait propulsé la candidature Taubira, laquelle a pris à Jospin les quelques pourcents qui lui auraient permis d’être qualifié pour le second tour et peut-être de battre un Chirac qui ne réalisa que le score calamiteux de 19% des votants (14% des inscrits). On a appris par la suite que la candidature Taubira, comme celle de Besancenot, était le fruit des manoeuvres très subtiles de Jospin, conseillé en ce domaine par son vieux camarade Cambadellis, expert en élections depuis l’époque où il bourrait les urnes pour les élections de la MNEF...

Même si une partie de ses cadres fondateurs viennent du PPF de Doriot, le FN n’a jamais été un parti fasciste ou nazi. Les deux seuls vrais partis de ce genre, le PPF et le RNP de Marcel Déat n’ont jamais eu de base populaire et leur gloire éphémère s’est limitée à la période de Vichy. Ni les Croix de feu de La Roque, ni les Chemises vertes de Dorgères n’étaient à proprement parler fascistes et l’Action Française n’a jamais été plus qu’un groupuscule activiste. Le FN est l’héritier d’une partie du vieux courant réactionnaire, hostile à la démocratie et xénophobe qui a toujours existé dans l’histoire de la République en France. Mais il lui manque les caractéristiques essentielles des partis fascistes ou nazis.

Tout d’abord, il ne se présente pas comme un parti « révolutionnaire » mais bien comme un parti de conservation des « valeurs traditionnelles », avec une forte empreinte xénophobe. Le Pen a commencé sa carrière avec Pierre Poujade - dont on a oublié la virulence réactionnaire et les attaques antisémites contre Mendès France - et il est le digne héritier de ce courant auquel il a réussi à amalgamer la rancoeur tenace de certains rapatriés d’Algérie. Le programme lepéniste est d’ailleurs non pas un programme fasciste mais le programme « national libéral » du boutiquier qui ne veut pas de la bureaucratie, des impôts et de tous ces paresseux de fonctionnaires, mais souhaite un État fort pour le protéger contre les dangers extérieurs.

Une composante essentielle du fascisme et du nazisme est l’action violente, fondée sur des milices bien organisées et capables de faire régner la terreur. Tout cela manque aussi au FN. Son service d’ordre central est très fort quand il s’agit de jeter à la Seine un immigré isolé, mais ne s’est jamais risqué à s’en prendre aux locaux syndicaux, à casser les grèves ou à attaquer les mosquées. Les occasions ne lui ont pas manqué : par exemple les grèves dans les services publics auraient pu être le terrain rêvé pour des provocations fascistes. Mais le FN n’a pas osé. Les quelques rassemblements « d’usagers mécontents » en 1995 ont tourné à la pantalonnade et le FN du reste n’en était pas l’organisateur ! Le FN est comme un poisson dans l’eau dans les campagnes électorales et le plus grand plaisir de son chef est d’y semer la perturbation par ses déclarations. Mais Le Pen reste un vieux routier de cette IVème république qu’au fond de lui il doit regretter.

Pour toutes ces raisons, le FN est incapable de mobiliser une frange significative de la jeunesse. C’est une troisième caractéristique qui le distingue des partis fascistes. Ses relais dans l’intelligentsia sont ridicules. Les forces sociales qui l’appuient sont surtout un agrégat de mécontents complètement dépassés par l’évolution de la société et dont les ressorts sont la peur et le ressentiment. Ce ne sont en aucun cas des forces sociales aptes à renverser la démocratie et à établir un régime fasciste. La haute finance ne mise pas un dollar sur le FN. Enfin, en dehors des élections, il n’a réussi aucune percée réelle chez les ouvriers qu’il n’organise pas. Marine Le Pen a tenté de moderniser le discours du FN de façon à mieux s’orienter vers les « forces vives » (jeunes, salariés) mais elle a été très vite disgraciée.

Au total, le FN n’est un danger véritable que pour ceux qui s’amusent à se faire peur ou utilisent cette peur pour de minables manœuvres.

Les origines antinationales du FN-RN

Aujourd’hui, il est nécessaire d’insister sur un autre aspect. Le FN-RN non seulement n’est pas un parti fasciste mais ce n’est pas non plus un parti nationaliste et encore moins patriotique. De par ses origines doriotistes (PPF), le FN-RN est un partisan de l’Europe, à l’époque, c’était l’Europe allemande, celle pour laquelle Jacques Doriot avait construit la Légion des Volontaires Français contre le bolchévisme. Certes Le Pen père était trop jeune pour être doriotiste, mais ce sont les doriotistes qui l’ont entouré, assisté dans sa montée politique. Ainsi Victor Barthélémy (ancien membre du Parti communiste, un des dirigeants du Secours rouge, puis passe au PPF, à la LVF, secrétaire général du PPF de 1941 à 1944. Après 1945, il devient cofondateur en 1972 et secrétaire général (entre 1972 et 1978) du Front national de Jean-Marie Le Pen. Ainsi encore André Dufraisse (membre du Parti communiste, puis du PPF et de la LVF, cofondateur en 1972 du Front national de Jean-Marie Le Pen, secrétaire national du FN, secrétaire fédéral (1983). Ou encore André Dufraisse membre du Parti communiste, puis du PPF et de la LVF. Après 1945 : cofondateur en 1972 du Front national de Jean-Marie Le Pen, secrétaire national du FN, fédéral (1983)[1].

Quand il fut confronté à la guerre d’Algérie, Le Pen a défendu une solution bien peu nationale-patriotique. Il s’est prononcé pour l’intégration complète de l’Algérie à la France… c’est-à-dire pour la construction d’une France au fond binationale et impériale. Dans le livre de Christopher Nick, Résurrection. Naissance de la Vème République, un coup d’Etat démocratique, Jean-Marie Le Pen explique : « mon Algérie française, pour moi, c’était une plateforme moderniste d’impérialisme moderne. Pour moi, l’Algérie française, c’était le redéploiement, par d’autres truchements que ceux de l’armée ou de la colonisation, de l’influence française sur l’Afrique à travers des peuples indigènes. (...) je voyais que le seul sursaut possible pour l’existence de la France, c’était d’intégrer, non pas sous la forme du métissage obligatoire, mais d’intégrer des populations qui se sentent françaises, qui ont un sentiment de la grandeur française dans un ensemble nouveau. Pour moi, l’idée n’était pas que les Algériens viendraient un jour dans le froid à Tourcoing ou à Roubaix en pays de mines, dans les corons ! » La France de Le Pen est très exactement cette dissolution de la nation que montrait Hannah Arendt dans son livre sur L’impérialisme (premier volume des Origines du totalitarisme).

Le FN de Le Pen fut longtemps partisan de l’Europe. Peu après la fondation du FN, Jean-Marie Le Pen disait : « Face à l’impérialisme soviétique qui n’a pas renoncé à ses desseins de domination politique et idéologique, l’indépendance de notre pays est liée à celle de l’Europe et de l’Occident. » En 1988, Jean-Marie Le Pen réclamait, « la construction d’une Europe politique, économique et militaire ». En 1992, il s’exprimait ainsi : « Économie. Moins d’impôts, moins de bureaucratie. Pour une adaptation de notre économie à l’échéance européenne de 1992 par une réduction des charges fiscales et sociales (taxe professionnelle notamment) qui pénalisent les entreprises françaises face à leurs concurrentes étrangères et par une remise en cause de l’impôt sur le revenu qui décourage l’activité et l’initiative économiques. Comment ? En imposant une cure d’amaigrissement à l’État. »

Ce n’est que récemment que Marine Le Pen s’est convertie à la dénonciation de l’UE : « L’Europe de Bruxelles a imposé partout les principes destructeurs de l’ultralibéralisme et du libre-échange, au détriment des services publics, de l’emploi, de l’équité sociale. Restaurer la souveraineté nationale, cela signifie d’abord sortir du carcan étouffant et destructeur de Bruxelles dans lequel on nous a enfermés malgré nous » (2011). Conversion cependant toute opportuniste puisque dès avant la fin de la campagne électorale de 2017, elle a opéré un tête-à-queue impressionnant, délaissant le terrain de la dénonciation de l’UE pour revenir aux fondamentaux du FN de son père. La rupture avec Philippot (qui a construit sans grand succès son propre mouvement « Les patriotes ») marque l’échec de la transformation du FN-RN en un véritable parti souverainiste. Son histoire et une part de sa vieille base historique expliquent sans doute cet échec. On peut même se demander si, à l’instar de son père Marine Le Pen a vraiment envie d’arriver au pouvoir et ne préfère pas la tranquillité de l’opposition officielle.

L’opposition de sa majesté

On sait bien comment Mitterrand a fait de son mieux pour aider à la montée d’un FN face à qui il pouvait se poser comme le rassembleur des démocrates et des progressistes sur la ligne de l’antifascisme et de l’antiracisme. Mitterrand et les socialistes n’ont pas inventé le FN ni sa montée électorale, mais ont toujours fait ce qu’il fallait pour lui donner un coup de main. Ainsi pas un candidat socialiste n’a omis d’agiter le chiffon rouge du vote des immigrés avant l’élection pour l’oublier immédiatement après. Il faudrait aussi revenir sur l’opération SOS Racisme qui, exploitant sans vergogne les sentiments moraux d’une partie de la jeunesse a permis de déplacer l’opposition classes laborieuses/ classes exploiteuses vers l’opposition racistes/antiracistes au moment même où Mitterrand s’engageait, toute honte bue, dans la politique « libérale » la pire qu’ait jamais connue la France avant e Fabius de « La France qui gagne » et Tapie. Tout fier de ce coup, Bérégovoy dit un jour que FN assurait pour trente ans le pouvoir aux socialistes… Ce qui était un peu exagéré. En tout cas, le FN en neutralisant une partie de l’électorat de droite et une partie de l’électorat de gauche fâché avec la gauche a servi d’assurance tous risques à la caste. Chirac avec 19% des voix au premier tour est élu dans un fauteuil au deuxième face à un Le Pen contre qui tout le monde appelait à voter. L’opération a été rééditée en 2017, permettant l’élection de Macron. En suivant la « ligne Philippot », Marine Le Pen avait une chance de mettre Macron en difficulté, en neutralisant, au moins, une partie de l’électorat souverainiste, républicain, « de gauche » ou de « droite ». Mais elle s’est complaisamment plantée en se ralliant peu ou prou à la ligne « droite de la droite » de sa nièce – décidément le clan Le Pen est une plaie.

Depuis Marine Le Pen ne cesse de répéter à qui veut l’entendre qu’elle ne veut ni sortir de l’UE ni sortir de l’euro. Le reste n’est qu’habillage. Si LFI dont la ligne patriote-souverainiste-populiste avait commencé à mordre sur l’électorat FN avait persévéré, nul doute qu’elle serait aujourd’hui largement en tête. Mais Mélenchon a eu peur de son ombre et ne peut s’empêcher de se retourner vers « sa vraie famille » et de replonger dans les calembredaines de « l’autre Europe ».

La mobilisation des « Gilets Jaunes » a contribué à clarifier les choses. Marine Le Pen a très vite sifflé la « fin de la récréation ». Aux Gilets Jaunes, qui comptaient des partisans du FN-RN, elle a demandé de quitter les ronds-points pour passer au bulletin de vote et pour ceux qui ont la comprenoire dure, elle a rappelé qu’elle était contre toute augmentation du SMIC et pour la suppression des charges sociales, c’est-à-dire très exactement le programme de Macron. Les organisateurs du spectacle politique peuvent être satisfaits, ils tiennent le scénario de ce théâtre de marionnettes qui devrai durer jusqu’au 26 mai et s’ils n’y parviennent pas nul doute que toutes sortes « d’antifas » leur donneront l’indispensable coup de main.

[1] Voir l’intéressante notice de Wikipedia sur le PPF