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Clémentine Autain, un parcours

vendredi 30 octobre 2020, par Jean-Paul DAMAGGIO

10 septembre 2006 : date historique qui pourtant n’entrera dans aucun livre d’histoire ! Pour plusieurs décennies, le sort de la gauche se joue là, dans une salle de Saint-Denis et Clémentine Autain est au rendez-vous. Par définition elle ne rate jamais les rendez-vous !

Après la victoire du NON au référendum de 2005, porté par des collectifs unitaires, les têtes creuses de la direction décident de poursuivre la lutte sans aucune référence à l’élection présidentielle qui s’annonce, sous prétexte du maintien d’une unité. Or tous les acteurs savent qu’ils sont légion à penser récupérer les bénéfices de cette victoire. D’abord Olivier Besancenot pour la LCR. Je dis d’abord, car il est le premier à annoncer sa candidature à ladite élection. Les autres continuent d’user un masque déplorable. Le 10 septembre 2006, les collectifs devaient trancher. Pour le PCF Marie-George Buffet pense tirer la couverture à elle. Jean-Luc Mélenchon, comme Mitterrand en 1969, comprend qu’il faut laisser passer l’épreuve, le PS se réjouit, car il va pouvoir se refaire une santé.

Il y a 600 délégués, Clémentine Autain, adjointe au maire de Paris, s’empare du micro et lance : « Je mesure mes handicaps : je suis jeune, je suis femme, et en plus, je suis blonde ! », qui ajoute : « Un profil comme le mien peut nous sortir de l’impasse. »

Elle a pour mentor l’historien communiste Roger Martelli, un faiseur de roi qui depuis longtemps s’active sur les marges du PCF. Il avait créé Futurs (journal dont je conserve la collection), un hebdo politique, puis il créa Regards en reprenant le titre d’un journal de 1932 mort en 1940. En fait, il prenait ainsi sa revanche contre la direction du PCF qui en créant Révolution au début des années 1980, lui a refusé le titre de Regards.

Dix ans avant ce jour de 2006, Clémentine créait Mix-Cité.

Dix ans après elle est députée. Un beau parcours pour quelqu’un né en 1973. Un parcours linéaire vers les grandeurs du pouvoir en prenant soin de rester avec tous… et à côté de tous.

D’abord élue, en 2001 (elle n’a pas trente ans), au Conseil municipal de Paris, apparentée PCF, elle devient même adjointe à la jeunesse.

« Apparenté » c’est commode : suppléante de Noël Mamère en 1997 sans être aux Verts, collaboratrice de Georges Mazas sénateur socialiste du Tarn sans être au PS, puis apparentée PCF, mais quitte Paris en 2007. Sa planche de salut ? La Seine Saint-Denis. Martelli lui prépare un beau poste de députée dans l’ombre du communiste critique, François Assensi. De 2014 à 2020 elle sera conseillère municipale de Sevran, la mairie de Stéphane Gatignon encore un de ces jeunes voués à la politique. Il va diriger… Futurs, être l’attaché parlementaire de Guy Hermier à Marseille (la circonscription de Mélenchon) et de François Assensi. Comme le monde est petit. Il est passé chez les Verts et a abandonné la politique en 2020. Pour lui un des tournants a été l’élection régionale de 2015 où ses amis n’ont pu être éligibles et où par contre Clémentine l’a été.

Membre du mouvement Ensemble, très critique vis-à-vis de Mélenchon, avec la naissance de La France insoumise elle continue d’être avec tous… et à côté de tous. Elle garde sa liberté de manœuvre qu’elle tient d’abord de son succès électoral, le meilleur score de tous les candidats LFI du premier tour. Si Alexis Corbière ou Éric Coquerel vont devoir se parachuter dans ce département aux 12 députés pour être élus à la place de communistes (6 députés LFI, 3 REM, 1 LR, 1 UDI, 1 PCF, Marie-George Buffet), Clémentine Autain y est déjà (malgré son jeune âge, elle a une longueur d’avance) et obtient dès le premier tour 37 % (pas de candidat PCF ni EELV contre elle). On constate tout de suite que comme pour le PCF, la Seine-St-Denis va peser lourdement sur LFI surtout dans un mouvement où seuls les députés comptent !

Au cours d’un tel parcours si Clémentine Autain a toujours pris soin de ne pas se coller une étiquette sur le dos (impossible de savoir son rôle à Ensemble) elle a cependant défendu la même stratégie mise au point par Roger Martelli à partir de l’analyse des échecs du PCF.

D’abord le féminisme. En 2002 elle explique à des jeunes :

« Non, le féminisme n’est pas ringard. Il existe en France un écart des salaires de l’ordre de 25 % entre les sexes ; deux millions de femmes subissent des violences conjugales chaque année ; 40 000 viols sont commis ; la précarité est plus forte chez les femmes que chez les hommes, et nous avons encore un problème d’accès à la contraception et à l’avortement. Tous ces problèmes et plein d’autres concernent les femmes et notamment les plus jeunes. Donc, je ne vois pas en quoi c’est un combat d’arrière-garde. Heureusement que nos mères et nos grand-mères ont lutté, sinon je ne sais aujourd’hui où on en serait. Nous avons obtenu des acquis, notamment juridiques, mais il reste beaucoup à faire. »

À travers cette réponse il est important de noter qu’elle commence par le féminisme social. Puis vient la question de la différence hommes/femmes :

Je me méfie toujours des discours qui prônent d’abord la différence. On peut se poser la question de savoir quelle est la véritable différence, au-delà de tout l’aspect culturel. Les différences culturelles et sociales créent de l’injustice et il faut les combattre. Je m’y emploie. Pour le reste, c’est une question philosophique à laquelle nous n’avons pas de réponse. Les recherches scientifiques évoluent en fonction de l’idéologie ou de l’opinion publique. On accepte les différences en prônant l’égalité.

Je pense qu’en cours de route, elle a perdu cette référence à la différence dans l’égalité. Pourquoi ?

Le moment crucial pour elle comme pour beaucoup d’autres à gauche tient à la loi de 2004 sur les signes religieux.

L’interdiction du voile à l’école (et non pas partout comme le disent certains) est-ce une forme d’instrumentalisation de la laïcité pour exclure les musulmans, ou une façon de tenir hors de l’école, le prosélytisme islamiste ? Ce point de fracture à gauche n’existe que parce que de 1997 à 2002 elle n’a pas osé s’affronter à la question, laissant la droite légiférer. Lâcheté qui a une explication connue : ne pas apporter de l’eau au moulin de l’extrême droite. Or, depuis 1984, la lâcheté de la gauche est le fonds de commerce de l’extrême droite ! Tout comme la gauche, au nom du drapeau rouge laissa longtemps le drapeau tricolore à l’extrême droite, à partir de 1989, au nom d’une fausse défense des opprimés elle laissa la laïcité à l’extrême droite !

Or la réponse à la question du voile repose sur une analyse minutieuse de l’islamisme qui n’est en rien une question franco-française, mais une question mondiale. Pour certains, au nom de la liberté, l’islamisme est minimisé, et pour d’autres au nom de la laïcité, il est fermement dénoncé.

Après son échec de 2004, l’islamisme français va changer de stratégie et la création du P.I.R. (Parti des Indigènes de la République) en 2005 devient une contre-attaque. Comme toujours, Clémentine Autain va jouer sur deux tableaux : elle signe l’appel puis se retire sous prétexte qu’elle y découvre le nom de Tariq Ramadan. Danièle Obono reste signataire. Le P.I.R. est un parti qui au nom de la défense des opprimés considère que les musulmans sont les premiers des opprimés. Ce parti ne représente que peu de choses, mais la sphère médiatique l’adore, ce qui ne signifie pas pour autant qu’elle informe ! Le PIR va renverser le racisme en le plaçant sous l’angle religieux. En juin 2017, Yazid Arifi et d’autres sont clairs dans une tribune : « LFI lutterait plus efficacement contre le racisme antimusulman si elle employait le terme d’islamophobie et remettait en question les différentes lois restreignant le port du voile votées dans les années 2000 ». L’objectif était clairement affiché et il sera atteint deux ans après quant à la validation de l’islamophobie !

Dans cette évolution du débat concernant l’islamisme Clémentine Autain se placera toujours du côté de ceux qui le minimisent et tous les actes terroristes de ce courant soulèveront des larmes de crocodile pour plaindre les victimes en oubliant clairement l’analyse des causes.

Difficile de résumer ici ce parcours, mais retenons seulement deux « grand » moments de l’actualité récente. Le 31 décembre 2015 à Cologne des femmes subissent des violences de la part d’immigrés. Il faudra attendre quelques jours avant que l’affaire n’éclate et Kamel Daoud publie un article pour dénoncer cette brutalité qui va faire des vagues. Clémentine Autain très sensibilisée sur la question des violences faites aux femmes publie un tweet saignant : « Entre avril et septembre 1945, deux millions d’Allemandes violées par des soldats. La faute à l’Islam ? ». Défendre l’islam est devenu sa profession de foi. En utilisant des chiffres donnés par les nazis contre l’Armée rouge ! Quant aux femmes violées en France par les soldats US c’est un autre sujet. Or il n’y avait rien de comparable entre ces deux moments.

En 2019 les opposants à la stratégie laïque de LFI vont réussir comme un coup d’état. Henri Peña-Ruiz, un ami de longue date de Jean-Luc Mélenchon et un défenseur permanent de la laïcité, est invité à l’Université d’été de LFI et là, une de ses phrases va être reprise en boucle par ses opposants : « on a droit à l’islamophobie ».

Voilà sa phrase :

« Le racisme, c’est la mise en cause d’un peuple ou d’un homme ou d’une femme comme tels. Le racisme antimusulman est un délit, la critique de l’islam, la critique du catholicisme, la critique de l’humanisme athée n’en est pas un, on a le droit d’être athéophobe comme on a le droit d’être islamophobe, comme on a le droit d’être cathophobe. »

Clémentine Autain va aussitôt se ranger dans le camp des opposants.

« Je ne la partage pas du tout [cette phrase], et pour une raison simple, c’est que ce mot islamophobie désigne aujourd’hui le rejet des musulmans dans le langage courant. »

Elle s’appuie sur « un langage courant » qu’elle-même à tout fait pour le rendre courant alors qu’il n’est pas aussi courant qu’elle le dit !

Elle confond volontairement le rejet des islamistes (bien réel et justifié) et le rejet des musulmans qui correspond au rejet raciste des Arabes.

Et bien sûr l’extrême droite est appelée au secours, car c’est là un point crucial ! Nous sommes face à « une offensive de l’extrême droite, qui vise à stigmatiser les musulmans ».

Pour moi, tout est dans cette phrase qui symbolise à elle seule les échecs de la stratégie de gauche contre le FN. Puisque le FN récupère la laïcité, il faut déserter ce combat. Puisque le FN stigmatise les musulmans, il ne faut pas dénoncer l’islamisme etc. Prendre le contre-pied du FN c’est faire le jeu du FN tout comme ne pas combattre sur des positions de gauche l’islamisme c’est faire le jeu de l’islamisme.

Et voici Clémentine dans la plus récente actualité sur Le Monde :

« La France a une nouvelle fois été touchée en son cœur. Devant l’horreur, l’abjection de l’assassinat d’un enseignant, l’hommage à Samuel Paty et la réaffirmation des principes fondateurs de notre République doivent nous rassembler. Malheureusement, ne respectant même pas ce temps de deuil, certains — Manuel Valls en tête — ont préféré les anathèmes et les insultes à la dignité et à la fraternité. C’est pourtant avec la raison et la réflexion que nous devons mener le débat sur la stratégie la mieux à même de combattre le terrorisme se revendiquant de l’islam, et l’offensive de courants obscurantistes. »

Elle sait la haine très ancienne entre Jean-Luc Mélenchon et Manuel Valls qui ont tant milité ensemble dans le PS de l’Essonne donc en le citant elle appuie JLM. Manuel Valls semble devenu un chantre de la laïcité pour dénoncer JLM qui inversement a été conduit à mettre de l’eau dans son vin laïque. Pas plus qu’à l’extrême droite ou à la droite, la laïcité n’appartient pas à Manuel Valls. Ils s’en servent, car les porteurs de la révolution sociale la leur abandonnent !

La suite du propos de Clémentine est claire : « combattre le terrorisme se revendiquant de l’islam » : pourquoi ne pas dire combattre l’islamisme ? Car il y a un refus clair et net d’analyse de l’islamisme dont l’action terroriste n’est qu’une des versions, que, dans leur grande hypocrisie, des islamistes peuvent dénoncer… pour mieux refuser de serrer la main à une femme !

Dans ce contexte nouveau qui fait que LFI a participé à la manif contre l’islamophobie d’octobre 2019, Houria Bouteldja avec d’autres, comme Youssef Boussoumah, a démissionné le 6 octobre 2020 du PIR, le parti qu’elle a fondé. Elle veut créer un autre mouvement plus large, elle qui est maintenant une écrivaine reconnue. Quand on lit son Facebook, on apprend le 22 octobre : « Il commence à y avoir des voix raisonnables. Celle de Mélenchon dans cette itw en fait largement partie. »

Bouteldja faisant un pas vers LFI, LFI faisant un pas vers Bouteldja et le RN peut se frotter les mains. En 2017 JLM avait su bloquer le FN-RN par une stratégie dite « populiste » (je préfère dire novatrice). Aujourd’hui il est retombé dans une stratégie classique d’extrême-gauche au sens large du terme. Sa stratégie de 2017 n’était que circonstancielle : il fallait écraser le capitaine de pédalo. Il va pouvoir se réconcilier avec Edwey Plenel, Éric Coquerel qui l’a bien connu à la LCR, servant d’intermédiaire.

J-P Damaggio