Accueil > Actualité > Covid, complots, corruption et calembredaines

Covid, complots, corruption et calembredaines

lundi 16 novembre 2020, par Denis COLLIN

Covid, complots, corruption et calembredaines

Le film Hold Up a déclenché des furies dans la presse et sur les réseaux sociaux. « Complotistes » présumés et « anticomplotistes » autoproclamés s’affrontent. Mais tout ce vacarme contribue à embrouiller les esprits et à impuissanter les citoyens. Sans trop développer, je voudrais ici faire part de quelques convictions que je crois à peu près bien fondées.

1. Il n’y a pas de complot de Big Pharma, Bill Gates et George Soros. D’ailleurs si un vaccin convenablement testé sort, je me ferai vacciner derechef sans craindre les nanoparticules ! Je ne crois non plus que le virus ait été inventé par les Chinois pour mettre l’Occident à genoux, ni qu’il ait été volontairement importé en Chine par les Américains, ni que… ici on peut poursuivre la liste de tous les récits qui me font invariablement penser aux feuilletons du siècle dernier (type « Bob Morane contre l’ombre jaune »).

2. En revanche, que les classes dominantes ou certaines parties de classes dominantes aient saisi l’aubaine pour faire avancer leurs agendas, c’est à peu près évident. Le Great Reset n’est pas une invention des « complotistes », mais figure en toutes lettres sur le site du forum de Davos. La « classe capitaliste transnationale » (cf. The Transnational Capitalist Class de Leslie Sklair, non traduit en français) n’est pas seulement une « classe en soi », elle est aussi une « classe pour soi » : les multiples liens qu’ont tissés les dirigeants de l’économie et de la politique font que tous ont tendance à réagir de la même façon, à se poser les mêmes questions et à donner des réponses convergentes. Il n’y a nulle surprise à voir les dirigeants italiens (principalement maintenant ceux issus du PD) réagissant comme de vulgaires macronistes. Mêmes formations intellectuelles, mêmes idéologies et mêmes liens avec les mêmes types de groupes. Inutile donc d’imaginer des « complots ». Les lois de la nature politique s’imposent à tous.

3. Mais tous ne réagissent pas de la même façon. Les Allemands ont mené face à la pandémie une politique bien plus raisonnable que les Français, aidés, il est vrai, par un taux de lits de réanimation bien supérieur à la France. Ils ont également été très modérés dans les restrictions des libertés individuelles. Ce qui permet au magazine Die Zeit de brocarder la France sous le nom d’Absurdistan et dénoncer les décrets et mesures liberticides du gouvernement français. Y compris en France, les dirigeants ne semblent pas tous d’accord. On peut présumer des divergences importantes au sein du gouvernement — on sait que Bruno Le Maire était hostile à la fermeture des commerces. On sait aussi que c’est le comité scientifique qui pousse au crime avec en porte-drapeau le ministre Véran. Macron lui-même semble moins convaincu que son gouvernement. Peut-être est-ce un remake du vieux truc du méchant flic et du gentil flic. Mais personne n’en est certain. Il est bien possible qu’en réalité Macron ne soit pas le Jupiter tonnant qui mène tout son petit monde à la baguette, mais qu’une partie de sa politique lui soit imposée.

4. Il est clair qu’en France, mais aussi dans de nombreux autres pays, l’épidémie a été le prétexte pour renforcer l’autoritarisme du régime. D’ailleurs selon une mécanique bien connue dans tous les régimes autoritaires, quand une décision liberticide est prise au sommet, chaque niveau inférieur fait du zèle et en rajoute. Les préfets sont souvent plus durs que le ministre et les flics de base se sentent autorisés à improviser les vexations les plus humiliantes pour les citoyens. La pandémie accélère des processus en cours depuis longtemps de grignotage progressif des libertés publiques et individuelles. La fin du septennat de Giscard avec la loi « sécurité liberté » de Peyrefitte entamait ce processus après une courte phrase de libéralisation. Le premier Mitterrand avait rétabli nombre de libertés, mais ses successeurs ont repris les mauvaises manies de tous les chefs. Macron a poursuivi Hollande en institutionnalisant l’état d’urgence, Castaner a repris contre les Gilets Jaunes la nouvelle doctrine de l’ordre public mise sur les rails par Cazeneuve. À chaque fois, un tour de cliquet supplémentaire vient réduire la longueur de la chaîne à laquelle nous sommes attachés. Il faut remarquer qu’aujourd’hui comme hier la magistrature apporte un soutien presque enthousiaste à cette mise en coupe réglée des libertés. Le virus leur donne de nouvelles opportunités de se mettre à plat ventre, mais il n’y a rien de vraiment nouveau.

5. Il y a évidemment une corruption endémique qui atteint de plus en plus profondément l’appareil d’État. De nombreuses affaires, dont l’affaire Alstom dans laquelle est impliqué Macron, ont déjà mis ces phénomènes en lumière. Nous avons aussi maintenant une vue plus claire du rôle néfaste que joue l’imbrication des gros laboratoires pharmaceutiques et les sommets de l’appareil médical. Les multiples conflits d’intérêts auraient dû écarter des comités « Théodule » et des plateaux de télévision. Mais n’en a rien été. La pandémie aura aussi été l’occasion de sanglants règlements de compte entre « blouses blanches ». Là encore, pas vraiment de complot, mais l’ingrédient majeur des polars, le fric !

6. Une partie de la classe capitaliste trouve son compte à la situation actuelle. Les industries de l’informatique et le commerce en ligne sont les grands bénéficiaires de tout cela. Jeff Bezos n’a pas inventé le virus, il ne l’a pas répandu, mais les dollars coulent à flots dans sa poche. Le « great reset » est en cours : liquidation du petit commerce et du capitalisme de grand-papa (les grandes surfaces y comprises) au prix du commerce entièrement « digitalisé ». Les cours en « distanciel » ont pu être testés en grandeur nature, sachant que les projets étaient dans les cartons depuis un moment. Et là encore, l’occasion a fait le larron ! À la prochaine étape, on pourra tailler en pièces l’enseignement public supérieur dont une bonne partie est considérée comme complètement inutile par les dirigeants du monde capitaliste et le modèle américain pourra s’imposer définitivement. La récession engendrée par les mesures sanitaires justifiées par l’épidémie permet de tester une grosse crise « à froid ». Cela paraît paradoxal, mais si la crise est un moyen classique de régulation de la surproduction de capital et de lutte contre la baisse tendancielle du taux moyen de prix, une crise est toujours un phénomène dangereux. Une récession violente, mais maîtrisée est un idéal à atteindre.

7. La pandémie permet également de liquider ce qui était déjà virtuellement mort, à savoir la phase néolibérale inaugurée à la fin des années 70. En tâtonnant, un nouveau modèle de régulation capitaliste, plus étatique, plus autoritaire et sans doute plus protectionniste se met en place. Un keynésianisme antisocial est en train de s’imposer qui permettrait d’accomplir sans trop de casse pour les capitalistes la grande transformation du salariat nécessitée par la relance de l’accumulation du capital. Cela dût-il coûter « un pognon de dingue »…

8. On oublie trop souvent le facteur humain. Dans la gestion française de la crise, la bêtise l’a disputé à l’incompétence et la morgue au mensonge éhonté, aboutissant à un ensemble de décisions incohérentes. On croit que tous ces gens agissent rationnellement pour nous opprimer et nous exploiter. On se trompe, car ce n’est vrai qu’en partie. L’affaiblissement du niveau scolaire — ceux qui connaissent la prose de Macron « comprendrons » (sic) — et le recrutement de plus en plus fréquent de dirigeants issus des écoles de commerce plutôt que des grands corps d’État d’antan ont des effets délétères à long terme qui commencent à se faire sentir sérieusement (j’avais abordé ce problème dans un article précédent consacré au pourrissement des élites).

Le 15 novembre 2020