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Nouvelles pensées sur le conflit en Ukraine

vendredi 11 mars 2022, par Denis COLLIN

Nouvelles pensées sur le conflit en Ukraine

Les espoirs d’être entendu sont minces dans cette période où quiconque essaie de comprendre est accusé de vouloir excuser et où chacun est sommé de « choisir son camp » — c’est fou comme tous ces gens aiment les camps. Je vais, cependant, tenter une ultime mise au point avant que les belles âmes ne m’aient envoyé au peloton d’exécution comme traître à la patrie — une chance que les Brice Couturier, BHL et autres Glucksmann, ceux qui dans leur jeunesse furent souvent « maos » ou fils de « maos » de la plus belle eau, ne soient pas au pouvoir ! Car ils ont exactement le même fonctionnement mental que ce Poutine qu’ils prétendent combattre…

(1) Si j’étais encore suffisamment croyant, je dirais comme les camarades trotskistes : « Troupes russes d’Ukraine ! Troupes françaises, hors d’Afrique ! Démantèlement de l’OTAN ! Ni Poutine, ni Biden, ni Macron ! » (Tribune des travailleurs, 9 mars). Du reste, le même journal a parfaitement raison de rappeler Jean Jaurès : « Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée l’orage. » Mais vu l’état de déliquescence du mouvement ouvrier et socialiste, je crains fort que ces belles paroles ne restent que des paroles en l’air. En tout cas, fondamentalement, c’est cette « ligne » là que je reconnais comme la meilleure, idéalement sans doute, mais la meilleure.

(2) S’il faut dénoncer Poutine et son entreprise en Ukraine, je n’ai aucune réticence. Cet homme est un autocrate, représentant éminent de cette classe des oligarques qui ont pris la suite de la bureaucratie stalinienne après l’effondrement de l’URSS. On le sait, cette bureaucratie, qui contrôlait la société soviétique et tous ses moindres rouages, n’avait plus aucun rapport avec le socialisme et pour de larges pans de cette caste dirigeante la seule perspective réaliste était la restauration pure et simple du capitalisme « libéral ». C’est la voie qu’ont suivie les principaux oligarques et leurs chefs, Eltsine et son adjoint Poutine, portés sur les « fonts baptismaux » par les services américains qui ont organisé en 1996 une gigantesque opération de fraude électorale pour éviter la victoire du… candidat communiste ! Poutine est bien un « fils de pute » (pour parler ici la langue américaine), mais à bien des égards, il est leur fils de pute ! Mais comme la révolution bolchevique s’était coulée dans le vieil appareil d’État tsariste (« à peine repeint en rouge », disait Lénine), la restauration capitaliste s’est coulée dans le vieil appareil d’État soviétique. Ni plus ni moins.

(3) L’opposition entre les « Occidentaux » et les Russes est fondamentalement une opposition pour savoir si les États-Unis vont continuer de contrôler l’Europe et vont ainsi pouvoir résister à l’empire qui monte, l’empire chinois. Et pour cela, il faut garder la Russie sous bonne surveillance et maintenir une tension permanente fort utile à l’appareil militaro-industriel américain. Pour Poutine, la question posée est simplement une question de survie, survie pour lui et ses amis oligarques, mais aussi, sans doute, pour la Russie elle-même. Son énorme arsenal nucléaire, il le sait, ne sert à rien puisqu’il n’en peut faire aucun usage sans risquer une riposte mortelle. La Russie est « nain » économique — en gros le PIB de l’Espagne — et sa population continue de baisser. Comme pour toutes les nations d’Europe de l’Est, l’Ukraine comprise, la question de leur propre survie est posée et conduit à toutes sortes de réactions que nous connaissons bien. Ceux qui dénoncent bruyamment Poutine aujourd’hui devraient essayer de comprendre que l’évolution de ce régime russe a les mêmes ressorts que celle de la Pologne ou de la Hongrie, ces fameuses « démocraties illibérales ».

(4) Poutine a commis une triple faute : violation du droit international, faute morale en prenant l’initiative de la guerre et erreur stratégique puisqu’il ne peut pas gagner cette guerre et obtiendra tout au plus la provisoire neutralisation de l’Ukraine, tout en étant devenu encore plus dépendant de la Chine. Rien ne peut évidemment excuser Poutine et l’exigence du cessez-le-feu et du retrait des troupes russes d’Ukraine va de soi. Ce qu’il faut donc rechercher, c’est la paix et donc la négociation. On ne peut faire la paix qu’avec son ennemi ! Et pour faire la paix, il faut faire des compromis, sauf lorsque l’on vise l’anéantissement total de l’ennemi ou sa capitulation sans condition. La proposition, reprise par Mélenchon, d’une conférence de l’O.S.C.E. est de simple bon sens.

(5) Si on parvient à une paix en Ukraine, préservant les droits nationaux du peuple ukrainien — ce qui suppose aussi que les droits nationaux russes soient préservés, car la Crimée n’est pas plus ukrainienne que la Sarre n’était française, si l’on veut une comparaison historique — pour autant rien ne sera réglé. C’est une remise à plat globale quoi doit être opérée, incluant la réintégration de la Russie dans le concert des nations européennes… chose qui déplaira fort à l’oncle Sam qui se trouverait ainsi marginalisé.

(6) Malheureusement, l’hypothèse optimiste d’une paix ouvrant sur la reconstruction d’un ordre européen pacifique a une chance assez faible de se réaliser. Les appels du président français à la « souveraineté européenne » sont de la rhétorique préélectorale sans la moindre probabilité d’être suivie. D’ailleurs, les Allemands ont déjà annoncé qu’ils achetaient l’avion de chasse américain… à l’heure où j’écris, il semble qu’on ait mis la pédale douce sur les sanctions contre la Russie, puisque les Européens sont les premières victimes de ces sanctions et les Chinois les grands gagnants. Ce qui s’annonce bien plutôt, c’est une longue période d’instabilité et un lent délitement des nations européennes préludant à leur lente sortie de l’histoire. Le « grand remplacement » est engagé, même si ce n’est pas du tout dans le sens envisagé par Renaud Camus !

Le 11 mars 2022