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Charlatans de l’écologie, crises à venir et pistes pour éviter la catastrophe

vendredi 14 juillet 2023, par Denis COLLIN

Les mises en garde catastrophistes sur « l’avenir de la planète », les discours « écolo », sauce Greta ou sauce Sandrine Rousseau m’insupportent. Les leçons de morale « verte » et les discours sur la transition écologique, la planification écologique et autres sornettes de la même farine me fatiguent ou me mettent en rogne. Tout cela me semble du bruit, fait par les moulins à parole qui proposent de tout changer pour que rien ne change. Après tout, nous venons de battre (2022) le record absolu de consommation mondiale de charbon, preuve de la « décarbonation » est en bonne voie ! Le 6 juillet, on enregistrait un autre record : 134386 vols commerciaux dans une seule journée. Jusqu’à 20000 avions ont volé en même temps, mais la hausse des températures, c’est le rot des vaches ! Pendant ce temps on apprend par un rapport des Nations Unies que « en dépit d’ambitions de plus en plus fortes pour protéger le climat et d’engagements à zéro émission nette, les gouvernements prévoient de produire en 2030 une quantité de combustibles fossiles plus de deux fois supérieure à celle compatible avec la limitation du réchauffement de la planète à 1,5 °C. » (rapport 2021 du PNUE)

Cette immense hypocrisie ne doit cependant pas nous détourner de regarder en face ce qui nous attend vraisemblablement et surtout ce qui serait possible et dont on parle assez peu, cela pourrait fâcher les amis du pouvoir comme ce M. Total, décoré (promo du 14 juillet 2023) de la Légion d’honneur pour services rendus à la pollution de la planète. Les bénéfices record de sa société valaient bien cela.

Bien que je ne sois pas sûr que le réchauffement climatique soit exclusivement dû à l’activité humaine, il est fort probable que nous y soyons pour quelque chose. Le GIEC n’est pas vraiment une institution scientifique, puisque c’est une organisation intergouvernementale, mais l’avance de la date des moissons et des vendanges, la répétition des épisodes de sécheresse, les incendies de forêt en Bretagne, sont autant d’indices que la prédiction d’une hausse moyenne des températures qui pourrait être de +2° en 2050 semble assez sérieuse. Les conséquences de cette hausse pourraient être assez vite catastrophiques pour une bonne partie de notre planète. On estime qu’un milliard d’habitants ne pourraient plus vivre, pendant la moitié de l’année dans les zones très chaudes où ils vivent actuellement. Les ressources marines diminueraient rapidement (notamment à cause de la disparition des récifs de corail et du plancton qui ne supporte pas trop la chaleur) et toutes les populations qui vivent de la pêche seraient durement affectées. La végétation changerait sous nos contrées qui deviendraient beaucoup moins fertiles – pendant ce temps la Sibérie, nonobstant les conséquences sérieuses du dégel du permafrost, deviendrait le nouveau « grenier à blé » de l’humanité, ce qui éclaire d’un jour singulier le conflit Russie/OTAN autour de l’Ukraine.

Bien qu’il y ait beaucoup de discussions et peu de certitudes, il semble que, d’ici 2050, la production de pétrole sera amenée à baisser, peut-être de 50 %. Un institut algérien estime même que la production de pétrole algérien devrait baisser de 65 %. Même s’il existe des réserves de pétrole abondantes, le prix du baril devrait augmenter à long terme en raison des coûts d’exploitation croissants. On pourra se rapporter aux travaux du Shiftprojectsur ce sujet. La difficulté de s’approvisionner en pétrole bon marché aura des conséquences graves sur le commerce mondial. Il deviendra difficile de se procurer à bas coûts tout ce qui nous vient aujourd’hui de Chine, d’Inde, du Bengladesh ou d’Afrique. La « démondialisation » ne sera plus un slogan inventé par Arnaud Montebourg, mais une réalité qui s’imposera rudement.

Il est un autre aspect assez peu souligné : la baisse des ressources en minéraux et minerais, un phénomène qui commence à être étudié par quelques chercheurs , mais sur lequel on s’attarde assez peu, car il a des conséquences immédiates sur la solution miraculeuse du « tout électrique » à base d’électricité renouvelable. Ajoutons qu’il ne s’agit pas seulement des minerais comme le cuivre ou le nickel, mais aussi des ressources minérales comme le gravier ou le sable. Tout cela est très bien documenté. Pour les métaux rares, métaux stratégiques pour toutes les nouvelles technologies, on se reportera aux travaux d’Aurore Stephant. Elle montre de façon très convaincante pourquoi les promesses d’appareils informatiques dans toute notre vie sont du bluff (le grand bluff technologique, aurait dit Jacques Ellul).

Si on veut bien convenir que l’accès à une source d’énergie aussi aisée à trouver, à exploiter et à transporter que le pétrole a été la potion magique du mode de production capitaliste au cours des derniers 150 ans, si on convient que le remplacement de l’homme par les machines et le développement de la division mondiale du travail ont permis à ce système faire de prodigieux bonds en avant, on est obligé de se demander si on n’est pas arrivé maintenant à une limite « objective ». Avec l’énergie du désespoir, on entreprend toutes sortes de recherches pour trouver une solution miraculeuse, tout en camouflant avec le plus grand soin l’ampleur des crises à venir. Le mode de production capitaliste fonctionne à l’accumulation illimitée, mais la planète a des ressources limitées. Pour croire que cela peut continuer, il faut être soit un fou soit un économiste.

Il y a encore un aspect : celui de la démographie. La croissance est corrélée à l’augmentation de la population. Soit la population continue d’augmenter à un rythme soutenu et cela permettrait à l’accumulation capitaliste de se poursuivre, mais là encore, c’est totalement impossible. Si la population augmentait aussi vite qu’au cours des six dernières décennies, on aurait une population de 18 milliards avant la fin du siècle… Mais si la population stagne et régresse – ce qu’elle commence à faire dans la plupart des pays avancés, Chine comprise -alors c’est un autre monde qui s’imposera. Seul le travail vivant produit de la plus-value. Si nous étions sérieusement préoccupés par l’avenir, nous devrions commencer à réfléchir sérieusement à la meilleure façon de nous préparer à cet « atterrissage » démographique.

Tous les chiffres donnent le vertige. Il peut y avoir des variations, des pas de temps quelque peu différent, mais on retrouve le pronostic proposé par Wallerstein et alii dans Le capitalisme a-t-il un avenir ? : le capitalisme est condamné et on peut même fixer la date : entre 2050 et 2100. Sur quoi cela débouchera-t-il, c’est une autre affaire ! On peut débattre à perte de vue sur la décroissance, tout simplement parce que la décroissance n’est pas une politique, mais plutôt une perspective un peu effrayante, mais assez probable. Rosa Luxemburg avait soutenu, avec d’autres arguments, que le mode de production capitaliste arriverait à une « crise finale ». La crise majeure qui vient ne sera peut-être pas la « crise finale » si le capital s’engage dans une destruction massive d’hommes, de richesses, de pays entiers, une destruction à côté de laquelle la Seconde Guerre mondiale fut une promenade de santé.

Il est possible d’empêcher la marche à l’abîme. C’est même une nécessité qui va s’imposer dans un laps de temps assez court. Si le trafic aérien suivait le calcul de Jancovici (4 voyages en avion par individu pour toute sa vie), on aurait un effondrement du trafic et de toutes les industries qui en dépendent. Comment faire ? Comment réagiront les salariés des entreprises concernées ? Faut-il exiger le maintien du trafic aérien pour préserver l’emploi ? Plus clair encore, si on veut comprendre la portée de la question : faut-il maintenir à tout prix l’industrie des pesticides pour préserver l’emploi dans ce secteur ? En fait, la plupart du temps, on pose les problèmes à l’envers. On fait de l’emploi une conséquence de la production qui elle-même est nécessaire pour mettre en valeur le capital. Mais c’est cela la logique du capital et toute réforme sérieuse demande que cette logique du capital soit renversée. Le travail a pour fonction de satisfaire les besoins humains, sachant que ces besoins ne sont pas seulement les besoins primaires de la pyramide de Maslow, mais aussi toutes sortes de besoins spirituels. Mais le retour à ce simple bon sens est incompatible avec la domination du mode de production capitaliste sur l’ensemble de la vie sociale. D’ailleurs tout le monde le sait, en vérité.

Prenons les choses par le « petit bout de la lorgnette », c’est-à-dire en regardant quelles économies on peut faire dans un secteur donné. Supposons, par exemple, que la vitesse soit limitée à 100 sur les autoroutes, non au gré des conducteurs mais bridant les moteurs. Ajoutons une norme qui fixe un poids maximum des automobiles. On pourrait faire des voitures nettement moins coûteuses en matériaux et en dépense d’énergie. À 100 km/h, les impératifs de sécurité pourraient être moins drastiques et donc le poids des véhicules serait abaissé. Fin des SUV à 2,5 t ! La consommation serait aussi beaucoup faible (en supprimant certains gadgets « high tech ») et à vue de nez on diviserait par deux ou trois la consommation d’essence ou de gazole. Comme la voiture ne pourrait plus être un signe extérieur de puissance et de réussite sociale, elle serait aussi nettement moins utilisée au profit de ces transports « intelligents » que sont les transports en commun. Pour les nostalgiques, on pourrait se contenter de quelques musées de l’auto comme celui de Turin. Construire des petites automobiles légères et peu gourmandes en gadgets informatiques est beaucoup plus facile et on pourrait sans mal rapatrier toute la production en France au lieu de faire venir par bateau ou par camion des automobiles du monde entier. Évidemment tout cela ne ferait pas du tout les affaires des deux trusts d’origine française (partiellement) mais maintenant domiciliés aux Pays-Bas, Renault-Nissan et Stellantis. Il faudrait sans doute dissoudre ces conglomérats et nationaliser la production de ces petites autos. Un tel plan serait pourtant bien moins coûteux et bien plus efficace que le plan d’électrification du parc automobile actuel. Son seul défaut est d’être « décroissant » du point de vue capitaliste. Les gens d’en bas en revanche verraient sans doute assez vite les avantages d’avoir des moyens peu coûteux pour se déplacer, pour le travail ou les loisirs, surtout là où l’alternative « transport en commun » n’existe pas – pensons à la campagne. Le génie des ingénieurs pourrait d’ailleurs être utilisé intelligemment pour le perfectionnement en légèreté et en réparabilité de ces voitures. Sera-t-on plus malheureux si on paye deux fois moins cher au kilomètre avec un véhicule qui peut rouler 20 ou 30 ans ? Si on se place non du point de la valeur marchande, mais de celui de la valeur d’usage, la réponse est évidente.

On pourrait transposer ces raisonnements dans l’équipement électro-ménager, dans le bâtiment, etc. Le « développement durable », slogan publicitaire bien connu, pourrait prendre un sens nouveau : développement des biens qui durent ! Mais là, si le renouvellement du parc électroménager est deux fois plus lent, il y a deux fois trop d’emplois dans ce secteur. Mais comme on dépenserait moins, on ne passerait plus son temps à courir pour payer les traites de la tourniquaette qui fait la vinaigrette, du bel aérateur pour bouffer les odeurs, pour reprendre la chanson que Boris Vian avait consacrée aux arts ménagers, on aura les mêmes avantages en termes d’usage tout en étant nettement moins riche en valeur d’échange (monétaire).

Si on relocalise massivement la production, dans tous les domaines, on pourra diminuer les besoins en infrastructures de transports. On pourra limiter le bétonnage des sols et répartir une partie de la population dans les petites villes et dans les villages où les logements vides abondent. Il faudrait réaménager le territoire, mais dans un sens radicalement opposé à la voie suivie par la technocratie, cette voie de la « métropolisation » avec, clou de la bêtise, le « grand Paris ».

On n’a pas vraiment à se préoccuper du temps utilisé à ne plus produire des choses inutiles. D’une part, on peut penser que le temps libéré pourrait être consacré à s’instruire, à apprendre, ou recevoir des amis et éduquer ses enfants ! Il faut aussi penser que nous devrions arrêter la course à la haute technologie fort gourmande en métaux que nous n’aurons plus et qu’il pourrait être utile de remettre des humains à la place des machines, des humains dans les guichets des administrations, par exemple, mais aussi là où ils manquent cruellement dans les écoles et dans les hôpitaux. Et enfin, si on ne peut plus voyager au bout du monde quand cela nous chante, on redécouvrira le train, le vélo et la marche à pied qui est fort bonne pour la santé.

Rien de toutes ces propositions que l’on pourrait chiffrer et affiner, n’est utopique. Elles impliquent un élément de contrainte acceptable à deux conditions : la première est qu’on saisisse clairement les enjeux et les objectifs, que chacun puisse voir ce qu’il devra perdre et ce qu’il pourra gagner ; la deuxième que les ploutocrates passent « à la caisse » et soient soumis à la loi commune – par exemple, si on limite les voyages en avion, il faut évidemment interdire les jets privés.

La société qui sortirait de cette transformation radicale serait une société socialiste, mais débarrassée de l’idéologie technocratique qui a trop longtemps pollué la pensée socialiste. L’élément étatique résiderait dans la capacité de l’État à imposer des normes et à financer des actions qui vont dans le sens de la nécessaire économie de ressources. Mais l’essentiel viendra « d’en bas », d’abord par la mise en œuvre au niveau local de nouveaux rapports de production et de consommation – en fait le noyau vivant pourrait être ces communautés de base que sont les communes qui pourraient utilement se grouper pour réunir leurs moyens d’action. Il y aurait aussi à reprendre la réflexion sur les coopératives ouvrières de production ou les coopératives de producteurs indépendants (comme le sont les coopératives agricoles).

Il reste un dernier point, désagréable aux oreilles mondialistes : il faudrait que la production soit largement soustraite à l’influence délétère du marché mondial et donc une politique protectionniste s’imposerait, politique protectionniste dont la condition est le retour à la souveraineté nationale, sans laquelle rien n’est possible. On pourrait résumer : pas d’écologie sans socialisme, pas de socialisme sans démocratie et rien de tout sans souveraineté.

Le 14 juillet 2023