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À l’abri de l’anthropocène, le capitalisme saccage le monde.

Éditions Le bord de l’eau, 2023

mercredi 18 octobre 2023, par Denis COLLIN

Jean-François Collin est un haut fonctionnaire en retraite qui a exercé des responsabilités à l’étranger et en France, dans plusieurs ministères et à la ville de Paris. Il livre en 160 pages une analyse très critique et des discours dominants en matière d’écologie, et de l’état politique de notre pays. Résumons son propos : les discours catastrophistes sont des discours creux, car c’est le capitalisme qui menace la planète et surtout l’humanité qui vit sur cette planète. Le titre du dernier chapitre indique clairement le sens du propos : « Vive la sociale ! L’égalité pour sauver l’humanité et la planète ».

L’auteur commence par s’attaquer à la notion vague d’anthropocène. Vague parce que personne n’est capable de la dater — la maîtrise du feu, le néolithique ou le capitalisme ? Entre 700 000 ans et 400 ans, il y a de la marge. Notion confuse aussi, parce qu’elle rejette sur l’homme en général, l’homme dans ses rapports à la nature alors qu’il s’agit d’un mode de production historiquement déterminé et si on veut des « cènes », l’auteur proposerait plutôt le « capitalocène ». C’est bien la logique du capital qui détruit les deux sources de la richesse, la terre et les travailleurs, ainsi que l’affirmait Karl Marx — un auteur assez souvent cité dans l’ouvrage. L’auteur souligne combien les discours sur la « transition énergétique » et le sauvetage de la planète ne sont pas à la hauteur des enjeux et restent, trop souvent, ne sont que pures tartufferies. Concernant les petits gestes, il y a des passages instructifs. Tous ceux qui sont persuadés qu’en ne mangeant pas de viande, ils sauveront la planète sont renvoyés à leurs chères études. S’appuyant sur des données précises, on apprend que, en équivalent gazole dépensé pour un kilo, un poulet, c’est deux fois moins que la tomate, le record étant détenu par les fruits de mer et les poissons. L’auteur remarque aussi que, du point de vue manger du poulet de Bresse est moins destructeur de l’environnement que manger du quinoa. Sont passés en revue tous les gadgets, voiture électrique en particulier, qui occupent les belles gens des beaux quartiers. Il dénonce « l’illusion technologique » propagée par tous ceux qui sont prêts à tout changer pour que rien ne change.

Après une analyse rapide de l’évolution du système capitaliste mondial, il montre que c’est ce système qui ne peut plus continuer sans mettre en péril l’humanité et la planète. Toutes les solutions fondées sur une nouvelle phase de développement capitaliste sont des impasses. Un long chapitre est consacré à la planification. Il montre que la planification chez Marx se résume à quelques lignes très générales, mais c’est l’économie de guerre qui lui a donné son envol, aussi bien dans les pays capitalistes qu’en Union Soviétique. Les résultats de la planification sont très mitigés, montre-t-il, les quelques réussites comme le plan Monnet, de 1946, ne pouvant compenser les demi-échecs assez nombreux. Quelques rappels bienvenus sur l’histoire de France depuis 1945 suffisent pour dégonfler la mythologie à ce sujet. Nous ne manquons pas de planification, soutient l’auteur, qui tente de faire un tableau des innombrables lois prises dans le domaine de l’environnement avec les empilages de structures, de comités, de conseils et d’établissements publics qui concourent tous à l’affaiblissement de l’État.

La manie des plans va avec le renforcement de l’exécutif et de l’appareil bureaucratique au détriment des organisations populaires (syndicats) et du parlement. L’exposé de l’étouffement de toute démocratie, auquel conduit la logique des institutions de la Ve République, est sans pitié et devrait suffire pour discréditer l’élite dirigeante. L’état des lieux de la république macronisée est catastrophique et montre la soumission invraisemblable de la France pas seulement à l’UE, mais d’abord à l’Allemagne, y compris au détriment de nos relations avec d’autres pays d’Europe.

Le livre se termine par quelques pistes. L’auteur plaide pour une sorte de démondialisation, remettant en cause le libre-échange à tout va, il défend un « protectionnisme raisonnable ». Il propose ainsi de sortir de l’OMC. Sur le plan intérieur, il refuse un grand soir constitutionnel et propose quelques réformes de bon sens. L’ensemble n’est pas très radical. Il s’agit d’un réformisme prudent, proche, et ce n’est pas un hasard, de ce que pouvait développer Arnaud Montebourg dans sa tentative de campagne présidentielle en fin 2021 (J.F. Collin avait été son directeur de campagne). Le problème que l’auteur feint de ne pas voir est que chacune de ses réformes se heurtera à l’opposition farouche des classes dominantes et de la bureaucratie de l’UE. L’auteur ne veut pas sortir de cette structure, mais ni le protectionnisme raisonnable, ni les réformes sociales en faveur des travailleurs, ni le démantèlement de l’édifice des agences, ni l’autonomie de décision des nations ne sont acceptables. Celui qui voudra appliquer sérieusement et réellement le programme exposé dans ce livre devra faire exploser la construction européenne et affronter les grandes puissances capitalistes. Par exemple, quand il propose de démantèlement les grandes entreprises multinationales, il faudra faire sortir Peugeot et Citroën de Stellantis et rapatrier toutes les usines de ces groupes en Slovaquie, en Espagne, en Inde, etc. Comment parvenir à ce résultat sans tordre le bras à Carlos Tavares, et aux détenteurs de Stellantis, dont le puissant groupe Fiat ? À la fin du livre, on a envie de dire comme Marx : Hic Rhodus, hic salta !

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