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Des issues à la crise sans changer d’économie ?

samedi 25 avril 2020, par Tony ANDREANI

Elle est sans précédent. Voici, à ce jour, quelques chiffres, à la volée :

En France le PIB s’est effondré de 6 % au premier trimestre (en Allemagne de 9 %). L’industrie ne tourne qu’à ¼ de ses capacités. Certains secteurs ont vu leur chiffre d’affaires chuter de 80 %, 90 %, voire 100 %. 10 millions de salariés sont en chômage partiel.

Dans le monde, les marchés boursiers ont chuté de 30 à 40 %, beaucoup de crédits ont été gelés, l’investissement est au point mort, la consommation a fortement ralenti, si bien que le PIB a chuté souvent brutalement et que le chômage s’est envolé, par exemple aux États-Unis (passant de 3,5 à 17 %).

Tout cela montre que la crise sera encore plus sévère qu’en 2008 (il avait fallu alors trois ans pour que de tels phénomènes se produisent, et cette fois trois mois ont suffi) et même que lors de la Grande dépression de 1929, qui n’a été surmontée que 20 ans après, en partie grâce à l’économie de guerre.

Mais pourquoi cette crise ? Et d’abord pourquoi ce virus dévastateur ? Il est principalement lié, disent tous les épidémiologistes, au bouleversement environnemental. Les animaux sauvages, voyant leur habitant naturel détruit, se sont rapprochés des zones urbanisées pour pouvoir se nourrir, et ont transmis à l’homme des virus contre lequel ils étaient immunisés. Quand ils étaient en voie d’extinction, les virus ont migré vers d’autres espèces jusqu’à l’homme. On constate depuis une vingtaine d’années une multiplication des épidémies d’origine virale (SRAS, Ebola, etc.). Il est lié ensuite à l’élevage, surtout l’élevage intensif (ainsi de la grippe aviaire).

La globalisation économique a fait le reste. Le virus a été transporté par la circulation des humains à travers la planète, des transports commerciaux aux voyages d’affaires et au tourisme.

Si la crise économique s’est répandue comme une trainée de poudre, c’est aussi que l’industrie et les services même ont été largement délocalisés, pour réduire les coûts, dans les pays à bas salaire. Une rupture en un point des chaines de valeur finit par les mettre entièrement à l’arrêt. C’est vrai dans l’industrie traditionnelle (automobile par exemple), mais aussi dans les industries high tech (ordinateurs, mobiles par exemple). Tous les pays sont donc touchés : les pays riches quand les fournisseurs ne fournissent plus, quand les transports s’arrêtent, ou quand ils ne trouvent plus de demande solvable (qui achète aujourd’hui des automobiles, lorsque les revenus chutent et qu’elles ne peuvent plus circuler ?), mais plus encore beaucoup de pays émergents qui sont en bout de chaîne (exemples : le Vietnam, le Bangladesh, etc.), et ceux qui dépendaient largement du tourisme de masse (la Thaïlande par exemple), quand les avions restent au sol.

Face à cette crise économique, avec toutes ses conséquences sociales, l’opinion dominante, dans les milieux dirigeants occidentaux, est qu’il faut recourir aux politiques qui ont été déjà utilisées dans le passé, quitte à les adapter, et que cela suffira. Examinons-les.

Les remèdes libéraux pour surmonter la récession

Il y a trois leviers classiques, quand les entreprises ont du mal à produire, avec des effectifs diminués, des ventes en panne, des difficultés de trésorerie, un accès réduit au crédit ou, pire, quand elles sont au bord de la faillite : 1° la relance budgétaire, c’est-à-dire des dépenses publiques, qui recréent un marché (et ont, comme l’avait montré Keynes, un effet « multiplicateur ») 2° des prêts à grande échelle venant des organismes publics, et 3° une forte redistribution fiscale, comme ce fut le cas avec le New Deal, qui rend du pouvoir d’achat à la majorité de la population. Tout le reste (le report des charges et des impôts) n’est que remède provisoire, lequel a aussi l’inconvénient de diminuer les ressources des systèmes sociaux et des États.

Comme le propre du libéralisme économique est de réduire la voilure de l’État et d’affaiblir ses ressources par la diminution des impôts et des contributions sociales pour « alléger les charges » des entreprises (ce qu’on appelle des politiques de l’offre), sa seule manière de relancer l’économie est de l’arroser de crédits bon marché pour redonner des moyens financiers d’une part à l’État emprunteur, d’abord pour qu’il colmate les dégâts, ensuite pour qu’il dépense un peu plus, et d’autre part aux entreprises, pour qu’elles se remettent à investir. C’est ce qui a été fait lors de la crise de 2008, avec un succès très limité ; la croissance n’est revenue que lentement et faiblement, la demande globale restant atone, pendant que les inégalités de revenus et de patrimoine continuaient à s’envoler. Pire : la sphère financière, après avoir été fortement touchée (la moitié de la capitalisation mondiale est partie en fumée), a, soutenue par la débauche de crédits, repris sa croissance, mais aux dépens de l’économie réelle.

Les milieux dirigeants occidentaux escomptent que le même scénario permettra de sortir de la crise actuelle. Mais il y a fort peu de chances que cela se produise.

Les politiques de sortie de crise des principaux pays occidentaux

1° Les États-Unis, qui sont les plus atteints aujourd’hui par la crise sanitaire (pas de politique unifiée, chaque État édictant ses propres mesures, pendant que les déplacements continuent, en l’absence de frontières), ont sorti ce qu’ils pensent être des armes lourdes.

Ils vont lancer un plan de relance de 2300 milliards de dollars (soit 10 % du PIB américain et la moitié du budget fédéral) par l’intermédiaire de la Banque centrale (la FED). En effet celle-ci garantit désormais toutes les dettes, publiques et privées, si bien qu’aucune entreprise américaine ni aucune municipalité ne peuvent faire faillite à cause de la crise dans un avenir prévisible. En outre la FED rachètera des montagnes de dettes, par exemple 600 milliards de prêts aux PME, et elle assumera les pertes. C’est donc grâce à elle que les États-Unis pourront faire de la relance budgétaire sans rien changer à la fiscalité, qui aurait pourtant apporté des ressources au budget fédéral et à celui des États. S’ils peuvent le faire sans craindre d’accroître leur déficit public et leur dette publique, mais en accroissant le passif de leur Banque centrale, c’est que celle-ci peut faire marcher la planche à billets autant qu’elle veut : c’est le privilège du dollar, première monnaie de réserve mondiale.

Mais cela ne veut pas dire qu’ils vont retrouver de la croissance, car eux aussi sont dépendants du reste du monde. Leur industrie (15 % seulement du PIB) est très affaiblie par la délocalisation, et, s’ils sont très forts dans les services (essentiellement les services financiers et les services liés à l’internet), ces derniers sont aussi impactés par le brutal ralentissement des échanges mondiaux. Et les investissements directs étrangers aux États-Unis ont toutes chances de diminuer. Le FMI prévoit d’ailleurs, dans sa note du 14 avril, une croissance négative de – 5,9 % en 2020.

Ainsi garanties et achats de crédits ne suffiront pas à refaire de la croissance, mais surtout l’inflation des crédits risque fort de créer des bulles prêtes à exploser dans une économie déjà saturée de dettes.

3° La Grande-Bretagne a adopté une mesure inédite : sa Banque centrale va prêter directement à l’État, mais « sur une base temporaire et à court terme », pour toutes les dépenses liées aux conséquences de la crise. Une exception jamais vue en régime libéral, exclue notamment par les traités européens (la BCE ne peut que racheter des dettes publiques sur le marché secondaire, elle est interdite de financer les États). C’est que la récession s’annonce sévère (-6,5 % selon le FMI)

4° L’Union européenne est certainement la plus mal partie.

La crise sanitaire a montré, s’il en était besoin, qu’il n’y a ni politique unifiée en la matière (chacun des 27 pays a adopté des mesures différentes) ni solidarité : l’Allemagne par exemple s’est empressée d’interdire l’exportation de ses matériels médicaux, avant d’être tancée par la Commission européenne, l’Italie a dû attendre des livraisons chinoises de masques, des livraisons russes de désinfectants, et ce sont des médecins chinois et cubains qui sont venus pour aider ses hôpitaux.

L’Union européenne a été dans le passé incapable d’effectuer de fortes relances budgétaires par le soutien des États, parce que cela lui était interdit par les traités : sous la pression allemande, les déficits devaient être limités à 3 % du PIB et les dettes publiques à 60 %. Lors de la crise de 2008, ces limites ont été dépassées par plusieurs États (surtout du Sud européen), mais le Pacte budgétaire européen de 2012, qui a renforcé les critères, la surveillance des États et les sanctions, les ont rappelés à l’ordre : c’est ce qu’on a appelé les politiques d’austérité, qui consistaient principalement à couper dans les dépenses publiques (dont les dépenses de santé) et à privatiser pour renflouer les ressources des États. On apprend aujourd’hui que ces critères ont été « suspendus », mais ce ne devrait être que provisoire. De même les aides d’État étaient interdites, au nom du principe qu’il ne fallait pas fausser la concurrence. Certaines seraient à présent autorisées, mais ce relâchement des contraintes n’est que de circonstance.

Ici encore on attend le salut du crédit, et d’abord de la BCE. Celle-ci avait ces dernières années créé, malgré de fortes réticences allemandes, une énorme quantité de monnaie pour soutenir, disait-on, l’économie, en rachetant des dettes privées et publiques (2 000 milliards d’euros rien que pour les deux dernières), non lors de leur émission, mais sur le marché secondaire. La BCE s’est même mise à prêter aux banques à des taux négatifs pour les dissuader de placer chez elle leurs ressources excédentaires et ainsi les inciter à prêter plus largement aux entreprises. Le résultat n’a pas été brillant, car l’argent prêté par les banques est allé surtout à la spéculation sur les marchés financiers. On apprend aujourd’hui qu’elle va injecter plus de 1000 milliards d’euros dans l’économie continentale. Mais rien n’est changé à cette politique monétaire : la BCE ne va toujours pas prêter directement aux États (cela lui est interdit par les traités européens), et les crédits aux banques ne sont toujours pas fléchés.

La Commission européenne, de son côté, va lever 25 milliards d’euros sur les marchés financiers, avec la garantie des États, pour aider les États à financer leurs mesures ce chômage partiel. Ce mécanisme, qui existait déjà avec l’accord de 18 pays, mais serait élargi à tous, ne consiste qu’en prêts, dont les conditions seraient avantageuses. Il ne s’agit donc pas d’aides directes prises sur le budget de l’Union, beaucoup trop faible pour cela.

La distribution de crédits à tout va ne s’arrête pas là. On trouve dans la presse française un éloge des 540 milliards d’euros « mobilisés » par l’Union européenne pour venir en aide aux États. Mais, si on y regarde de plus près, on s’aperçoit que cette « aide » non seulement est loin d’être massive, mais consiste, elle aussi en prêts avec intérêt, d’abord ceux déjà cités de la Commission, ensuite ceux accordés aux entreprises par la Banque européenne d’investissement (BEI) pour 200 milliards d’euros — soit à peine plus que ce qu’elle faisait habituellement — et enfin en prêts accordés aux États qui les sollicitent par le Mécanisme européen de stabilité (MES) pour 240 milliards d’euros. Il faut dire ici quelques mots de cette institution, créée en 2011 et amendée en 2012.

Son objectif est de pouvoir emprunter sur les marchés obligataires afin de pouvoir prêter aux États en difficulté (et, secondairement, à des banques elles-mêmes en difficulté). Ce qui paraît bien solidaire. Seulement voilà : les États n’ont été « soutenus » par le Mécanisme que s’ils se conformaient aux règles du Pacte de stabilité. Il faut se souvenir qu’il a assorti ses prêts de conditions draconiennes (rentrer dans les clous du Pacte de stabilité : 0,5 % de déficit « structurel » public, 60 % de dettes), les a contraint à sabrer dans leurs dépenses publiques, dont les dépenses de santé, et à privatiser beaucoup de leurs services publics. Ce fut la tragédie grecque, mais bien d’autres pays ont eu aussi du mal à s’en relever (l’Irlande, le Portugal notamment). On présente aujourd’hui comme une grande victoire que les prêts à venir épargnent les dépenses de santé, mais cela ne va pas plus loin. Il est bien précisé qu’un pays ne pourra emprunter au MES plus de 2 % de son PIB (par exemple pour l’Italie cela ne représente que 36 milliards d’euros).

Les pays du Sud, appuyés par la France, auraient voulu la création d’eurobonds, rebaptisés pour la circonstance coronabonds. Il s’agit à nouveau d’une émission d’obligations, sur les marchés financiers, par les États, qui les auraient mises en commun, de manière à ce qu’ils bénéficient tous du même taux d’intérêt, alors que l’écart de taux (ce qu’on appelle « le spread ») pénalisait les États les plus fragiles jusqu’à rendre leur déficit insupportable (dans le passé l’État allemand empruntait à des taux voisins de zéro, alors que d’autres devaient payer plus de 10 %). Cela aurait représenté effectivement une forme de solidarité entre États européens, une aide indirecte aux États les plus fragiles pour leur permettre de se financer à moindre coût en fonction de leurs besoins réels. Mais les Allemands, appuyés par quelques autres pays du Nord, s’y refusent absolument (ils ne veulent pas, disent-ils, payer pour les autres, en voyant leurs propres emprunts d’État se renchérir) et ils renvoient au Mécanisme européen de stabilité.

On a souligné, à juste titre, que cette attitude est parfaitement hypocrite. Si l’Allemagne a pu se porter mieux que les pays du Sud, ce n’est pas parce qu’elle a été moins dépensière, mais parce qu’elle a mené une politique déloyale de compression de ses salaires et donc de compression de sa demande, et d’augmentation de son épargne, au détriment des pays du Sud qui n’en faisaient pas autant et qui absorbaient ses produits — d’où l’importance de son excédent commercial. Elle a pu ainsi limiter son déficit budgétaire et notamment préserver son appareil de santé (par exemple 3 fois plus de lits de réanimation que la France), pendant que ses « partenaires » devaient couper dans leurs services publics. À quoi il faut ajouter qu’elle a largement bénéficié d’un euro pour elle sous-évalué et qu’elle a utilisé à plein la main d’œuvre de sous-traitants sis dans les pays de l’Est européen ou détaché venant de ces mêmes pays.

La Commission européenne, fort embarrassée par l’absence de solidarité de l’Allemagne et de ses satellites, vient de proposer d’emprunter elle-même sur les marchés jusqu’à 1 000 milliards d’euros, avec la garantie des États, pour abonder ensuite les budgets nationaux et financer des projets européens. Ces emprunts seraient ensuite remboursés par la Commission sur son budget élargi, ce qui suppose que les États augmentent leur contribution et qu’elle dispose de plus de ressources propres, d’origine fiscale. Elle a convaincu des parlementaires européens, mais il est plus que douteux qu’elle parvienne à ses fins. Car l’idée est contraire à ce qui est un principe clé du logiciel européen : la concurrence non seulement entre entreprises, mais aussi entre États, censée profiter à tous, mais, comme toute concurrence capitaliste, tournant l’avantage des plus puissants. Donner un tel pouvoir à la Commission reviendrait à faire d’elle l’embryon d’un État fédéral, le vieux rêve des fédéralistes, auquel aucun responsable n’a jamais vraiment cru et qui, en fait, n’a aucun sens dans un continent où l’État-nation est la réalité de base, comme on le voit mieux encore aujourd’hui quand les citoyens en appellent à lui, et à lui seul, pour être protégés.

La désunion européenne, au lieu d’une Union tant vantée, explique, entre autres raisons, que les pays de la zone euro seront les plus touchés par la récession en cours : le FMI prévoit pour 2020 une contraction de 7,5 % (7,2 pour la France). Beaucoup y voient la chronique d’une mort annoncée de cette Union telle qu’elle est.

En conclusion de ce bref panorama des plans de relance dans les pays occidentaux, on voit qu’ils reposent essentiellement sur l’offre de crédits, par les États ou des institutions qui dépendent d’eux, aux entreprises. Mais, comme on ne peut faire boire un âne qui n’a plus soif, faute de débouchés réels et solvables dans une économie mondiale en régime de surproduction, on joue sur la baisse des taux et sur la garantie publique. Les raisons en sont claires : en faisant appel aux marchés obligataires pour donner des ressources aux États, et aux marchés du crédit bancaire pour stimuler les entreprises, on vise à satisfaire les rentiers, ceux des pays comme ceux du monde entier, qui sont prêts à souscrire à des emprunts même peu rémunérateurs, pourvu qu’ils puissent faire fructifier leurs revenus et que le remboursement en soit garanti. Ce qui d’une part ne peut qu’accroître des inégalités déjà colossales, et d’autre part est extrêmement périlleux : une croissance stimulée artificiellement ne peut être pérenne, et des États s’épuisant à honorer leurs dettes ne peuvent tenir le rôle qu’eux seuls sont capables de jouer.

Il y aurait bien d’autres solutions en matière de crédit : que les banques centrales prêtent directement, à taux zéro, aux États et que l’on fasse appel à des épargnants moins exigeants, les citoyens du pays (par exemple sous la forme d’un emprunt national), mais elles sont contraires à l’idéologie néo-libérale des marchés efficients. Et il y a l’autre solution en matière de financement des États : l’impôt redistributif. Tout cela sans changer fondamentalement de système économique. Mais le libéralisme régnant y répugne. Il va chercher quelques accommodements.

Une dose de keynésianisme de circonstance

Le problème est que le capitalisme néo-libéral est, comme tout capitalisme, en régime de suraccumulation (trop de capital pour les débouchés existants), et donc de surproduction permanente, mais il l’est plus encore. Cela s’explique par le fait que la structure sociale est devenue plus inégalitaire que jamais. Qui va consommer produits et services ? Les ultra riches certes, mais ils sont peu nombreux. Les dites classes moyennes voient leurs revenus stagner ou décliner : ils vont acheter moins d’automobiles, ne pourront se payer une résidence secondaire, se contenteront d’un équipement ménager suffisant. Les salariés, devenus précaires en nombre toujours croissant, ne pourront acheter leur logement et devront surveiller leur consommation. Quant aux très pauvres, ils n’auront même pas les moyens de se nourrir et devront compter sur les associations de bienfaisance dépendantes de dons et distribuant les invendus.

On comprend pourquoi il a été si difficile de relancer l’économie par le crédit — les crédits à la consommation ne faisant que différer l’insolvabilité. L’exemple de la politique monétaire de la BCE est parlant : en allant jusqu’à des taux négatifs sur les réserves excédentaires des banques déposées chez elle, elle comptait, on l’a dit, les inciter à prêter plus largement, avec de bas taux d’intérêt. Mais leurs prêts n’ont fait que doper le marché immobilier et le marché des actions, pour ceux qui en avaient les moyens. Le problème est devenu, massivement, un problème non plus d’offre, mais de demande. C’est pourquoi, face à la grande crise actuelle, les dirigeants se sont résignés à prendre quelques mesures de type keynésien.

Ainsi le pouvoir fédéral états-unien va distribuer 1200 dollars aux personnes disposant d’un revenu de moins de 75.000 dollars par an, somme dégressive au-delà, le double pour un couple, 500 dollars par enfant. Il indemnisera les chômeurs avec 650 dollars pendant 5 mois, les États fédérés faisant le reste (200 à 250 dollars). En France le gouvernement va indemniser le chômage partiel (complètement au niveau du SMIC et pour 84 % du salaire net au-delà, dans la limite de 4,5 SMIC), soit donner des revenus à la moitié des salariés, et créer un fonds de solidarité pour les toutes petites entreprises, les indépendants et les micro-entrepreneurs. Dans tous ces cas, il s’agit de distribuer du pouvoir d’achat à ceux qui en sont privés par la crise. On discute même de la possibilité de distribuer, par les Banques centrales, de la « monnaie hélicoptère », c’est-à-dire tout simplement de l’argent aux ménages. Donc les États se substitueront aux entreprises qui ne voulaient pas, ou ne pouvaient pas, du fait de la crise, augmenter ou simplement maintenir les salaires.

Nous sommes ici dans des mesures d’exception, car il ne s’agit par de remettre en cause la distribution du profit vers les actionnaires. On demandera seulement aux entreprises soit de geler les dividendes pendant un certain temps, dans la mesure où elles bénéficient des aides de l’État, soit de faire preuve de bonne volonté (en oubliant que toutes en ont profité d’une manière ou d’une autre, et notamment en France à travers le CICE).

Autre mesure d’inspiration keynésienne : voler au secours des grandes entreprises quand celles-ci sont au bord de la faillite, ce qui serait dommageable bien sûr pour leurs propriétaires et pour leurs créanciers (payés en dernier lors de la liquidation), mais aussi pour tous leurs salariés licenciés et mis au chômage. On se souvient que le Trésor états-unien avait ainsi dépensé 49,5 milliards de dollars pour sauver General Motors en y prenant des participations pour 60 % de son capital, puis en perdant 9,7 milliards à leur revente. Le gouvernement français a de même aujourd’hui budgété une somme de 20 milliards pour aider de grandes entreprises, dites stratégiques, à se sortir de la crise, sous forme de prêts, de prises de participations au capital, voire de nationalisations. Louable intention, dira-t-on, puisqu’il s’agit en même temps de sauver des emplois, donc des revenus, et de s’épargner le coût du chômage. Mais tout cela n’est que du provisoire, mis à la charge du contribuable et d’un État qui s’endette de plus en plus, pour le plus grand bonheur des créanciers.

L’État à la rescousse, le capitalisme connaît. Il le pratique même tous les jours, sous des formes plus ou moins déguisées (pour ne pas fâcher, en Europe, la Commission européenne), mais, quand péril il y a en la demeure, il le pratique sans vergogne, oubliant qu’il se justifie habituellement par la vocation des actionnaires à prendre des risques. Mais, cette fois, la planche de salut risque fort de se dérober. Car un État perclus de dettes est condamné à s’appauvrir, même si les taux d’intérêt sont historiquement bas (ce qui du reste n’est pas « une chance » tombée du ciel, mais s’explique par le fait que l’offre de crédits est pléthorique).

On entend dire que les États ne rembourseront jamais leurs dettes. Pourquoi d’ailleurs ne pas les transformer en dettes perpétuelles, c’est-à dire sans échéance de remboursement ? C’est ainsi que Jean-Luc Mélenchon propose actuellement de réviser le statut de cet organisme public qu’est la BCE pour qu’elle prête directement aux États de l’Union, et même à taux négatif. C’est vrai, des dettes perpétuelles ont existé dans le passé, de la part des États, et même des entreprises (en font surtout des banques, qui les considéraient comme des fonds propres). Mais elles offraient quand même un intérêt, fût-il inférieur à l’inflation. Qui va souscrire aujourd’hui une obligation à taux nul ? Seuls des épargnants qui veulent protéger coûte que coûte une partie, mais une seule, de leur épargne. C’est le cas des compagnies d’assurance, à la condition qu’elles tirent des revenus des obligations privées, ou de leurs placements en actions. Au total il s’agit finalement, l’inflation aidant, d’une destruction d’argent, en soi souhaitable, mais qui ne peut s’éterniser. Rien ne remplace, pour un État, les ressources durables qui lui viennent en premier lieu de l’économie réelle à travers les impôts.

C’est ce qui va motiver le retour, souvent préconisé aujourd’hui, à des formes de compromis social qui redistribuent les revenus dans les entreprises, c’est-à-dire un retour à un véritable compromis keynésien. Nous allons examiner ses chances de faisabilité, sous l’impact d’une crise sans précédent.

Vers un retour au compromis social de l’après-guerre ?

Nul ne sait quand la crise sanitaire sera derrière nous, probablement seulement quand un vaccin sera au point et que les populations seront alors largement vaccinées, mais non parfaitement immunisées, comme on le voit avec le vaccin de la grippe, du reste bien moins contagieux que le Covid 19. Cela prendra de nombreux mois. Et pendant ce temps là les économies continueront à s’effondrer, toute reprise étant menacée par un rebond de l’épidémie, surtout si elle est trop rapide. Certains prévisionnistes pensent que l’année 2021 sera aussi plombée par la récession. Et, comme les États seront appelés encore et toujours à la rescousse, comme il apparaît que eux, et eux seuls, peuvent protéger leurs citoyens en cas de crise grave, de nombreux économistes pensent qu’il faudra leur redonner des moyens, et donc changer d’économie.

Il y a une autre raison. Puisque la globalisation a non seulement véhiculé le virus, mais encore rendu possible, avec la panne de pays fournisseurs et l’arrêt des transports de longue distance, l’asphyxie d’un grand nombre d’entreprises, et privé la plupart des États des moyens élémentaires d’une riposte sanitaire à la hauteur du danger (en matière de masques, d’autres équipements de sécurité, de tests, de respirateurs artificiels et de médicaments courants même), l’urgence est à présent de relocaliser, de retrouver une industrie de base, une autonomie alimentaire et sanitaire. En France Macron et son Premier ministre l’ont eux-mêmes reconnu. Mais ce serait inverser tout ce qui s’est fait avec la politique de l’offre. Et l’on voit mal les multinationales faire machine arrière, puisque c’est la globalisation, le libre-échange et la déréglementation qui sont à la source de leurs profits, et ce encore plus pour les grandes banques internationales.

Ainsi se dessine le programme alternatif d’une sorte de New Deal : 1° aider les entreprises à relocaliser au moins une partie de la production (le made in France par exemple) 2° revenir à un protectionnisme tempéré en rétablissant des droits de douane ou d’autres barrières non tarifaires, de préférence de manière négociée, au lieu de continuer à négocier des traités de libre-échange, comme le fait actuellement encore la Commission européenne, et 3° opérer une forte redistribution fiscale, tout en combattant résolument l’optimisation fiscale (légale) et l’évasion fiscale discrète vers les paradis fiscaux. Mais comment opérer une telle révolution antilibérale en laissant dans les entreprises le pouvoir là où il est : chez les actionnaires et surtout, derrière eux, les puissants fonds d’investissement ? C’est ce qui conduit plusieurs économistes à préconiser des formes de co-gestion des entreprises. Mais ce programme va se heurter aux résistances farouches des milieux dirigeants, et il ne prend pas suffisamment en compte les grands problèmes de l’époque ni les effets inédits d’une crise sans pareille. Nous ne sommes plus dans une conjoncture comparable à celle des Trente Glorieuses, pour au moins deux raisons : la gravité des bouleversements de l’écosystème et l’épuisement des ressources naturelles, et ce qu’on pourrait appeler une mutation anthropologique, qui s’opère silencieusement sous l’impact de la crise sanitaire. On insistera ici surtout sur la seconde.

Les prémisses d’une mutation dans les mentalités

Les dernières années ont été marquées par une prise de conscience de plus en plus large des menaces que font peser la croissance industrielle, technologique et commerciale et celle de la population sur la vie sur terre, prise de conscience qui est partie des couches les plus instruites et les plus informées, mais qui a gagné jusqu’aux milieux populaires. Mais la crise sanitaire correspond sans doute à un ébranlement plus profond dans les manières de vivre. Voilà qui échappe totalement aux économistes et statisticiens, et aux grands instituts prévisionnistes. Il revient aux sociologues, aux psychologues, voire aux philosophes, d’en relever les formes et d’en évaluer les effets, et il faudra suivre leurs études, avec tout l’esprit critique qui conviendra. Mais déjà certains phénomènes apparaissent à l’œil nu, si l’on peut dire. Essayons d’en donner une idée.

L’épidémie a entraîné une sorte de sidération. Voilà qu’un infime composé organique (dont on dispute de savoir s’il est un être vivant ou pas) a pu créer un état de catastrophe globale. Il y avait déjà eu, en ces temps, bien des catastrophes naturelles (tremblements de terre, inondations, incendies gigantesques), mais les causes immédiates en étaient visibles et elles n’affectaient que des parties de la population. On connaissait aussi des pandémies, celle du SIDA ayant le plus marqué les esprits, mais les plus graves restaient plus ou moins localisées, et les progrès de la science et de la médecine nous gardaient dans l’espoir qu’on allait les maîtriser. Or cette fois c’est toute la population de la planète qui est atteinte, et l’on ne sait pas encore comment combattre le mal à la racine.

La mort rôde partout, et cela conduit tout un chacun, plus ou moins consciemment ou intensément, à s’interroger sur le sens de son existence. Les sociétés contemporaines ont tout fait pour éluder la question et pour en banaliser le tragique, à la différence des sociétés du passé. À quoi bon gagner sa vie à la perdre, s’échiner à améliorer sa situation matérielle, à monter en grade et en prestige, en viennent à se demander nombre de ceux qui ont réussi. Il est peu probable que cette inquiétude existentielle ait touché les plus fortunés et les agioteurs. Mais quand même… quand les croisières de luxe sont devenues autant des clusters, quand les yachts restent à quai, quand les résidents secondaires sont mal vus des autochtones parce qu’ils pourraient véhiculer le virus, ils commencent à se faire du souci. On pensait que l’armée, cette société à part, avec ses codes et sa solidarité spécifique, serait épargnée par les aléas de la vie civile. Mais le virus s’est aussi invité sur les porte-avions, et ne rend plus aucune armada invincible (seuls les sous-mariniers en longue plongée peuvent se sentir épargnés). Même chose pour la police, cet autre appareil qui sert la puissance de l’État. Bref, ce ne sont plus seulement les pauvres qui vivent dans l’angoisse de la maladie et de l’accident. Tout le monde, ou presque, est touché par la présence de la mort. Avec l’obligation du confinement, on sait encore plus que la menace est partout dans la rue. On assiste au spectacle absolument inédit de grandes villes, et particulièrement de métropoles, totalement désertes, à l’exception de policiers, d’ambulances et de livreurs, comme si une explosion nucléaire avait répandu sa radioactivité sur tout le territoire, sauf dans les campagnes les plus reculées.

Sidération donc, avec cette présence obsédante d’un danger invisible. Mais c’est le rapport à l’autre qui se trouve aussi profondément modifié. Tout ceci se montre dans maint reportage. Les foules solitaires des grandes villes n’ont plus seulement à craindre les petits voleurs et les petites agressions, car tous ceux que l’on croise ou que l’on côtoie deviennent suspects, ainsi que les voisins des immeubles. Or ce qui est étonnant est que cela n’entraîne pas un climat de défiance et d’hostilité généralisé, mais plutôt une certaine forme de rapprochement, voire de solidarité (tous dans le même bateau). Les collapsologues avaient déjà souligné que, en situation de catastrophe, l’entraide l’emporte sur le chacun pour soi. On voit maintenant des voisins qui s’ignoraient se parler de leur fenêtre ou de leur balcon les uns aux autres, s’organiser des rencontres à distance, se mettre à applaudir en chœur les soignants qui traitent les malades, mais aussi témoigner leur gratitude à tous ces invisibles qui leur permettent de mener encore leur existence quotidienne : services de secours, éboueurs, gardiens d’immeubles, personnel de ménage dans les hôpitaux, mais aussi dans les entreprises et les bureaux, livreurs à domicile, employés des services de transport qui fonctionnent encore, etc. L’individu néo-libéral, tout à sa satisfaction personnelle et à ses petits calculs de consommateur « rationnel », tant préoccupé de doubler ses concurrents, y compris au volant de son auto, s’efface devant le besoin de renouer avec ses semblables. Le désir refoulé de liens sociaux et de communauté refait surface. On sent combien on est privé de ses vieux parents, qu’on considérait souvent comme une charge, quand on ne peut plus les voir, pire encore, quand ils sont isolés dans les maisons de retraite. On avait déjà vu, sur les ronds-points où se retrouvaient les Gilets jaunes, la force du lien retrouvé : au-delà du partage des expériences de la misère, il y avait un incroyable climat d’amitié, de fraternité, qui les rendait littéralement heureux.

Le besoin de liens a trouvé une compensation dans le monde virtuel du numérique, ce qui était déjà le cas, mais venait en supplément, parfois névrotique, des échanges réels. Bien sûr ce dernier a fourni un moyen de s’occuper pendant le confinement, pour ceux qui avaient encore du temps. Mais il semble bien qu’il ait permis de réaliser que cela ne valait pas la vraie vie. De même les salariés au télétravail, s’ils y ont trouvé des avantages, du reste limités par des connexions incessantes, ont réalisé ce qui leur manquait à se voir privés de contacts réels avec leurs collègues de travail.

On n’oubliera pas que le confinement n’a pas eu que des effets positifs. Pour beaucoup de foyers, il a représenté un surcroît de travail et la nouvelle promiscuité familiale a généré bien des tensions, surtout chez les mal-logés. Il a exaspéré des tensions latentes dans les couples et transformé des pulsions agressives en voies de fait, comme l’a montré l’augmentation du nombre de violences conjugales. En fait, pour beaucoup de salariés du bas de l’échelle, il ne changeait pas tellement, une fois mis au chômage forcé, un mode de vie marqué par les contraintes sur le lieu de travail et le transport dans des rames de rames de métro surchargées. Pour eux il a même été double peine, mais aussi l’occasion de s’interroger sur le sort qui leur était réservé, sur la vie métro-boulot-dodo. Il y aurait aussi bien d’autres choses à dire sur les perturbations de la vie sexuelle, sur le manque de disponibilité à soi.

Ce qui est probable, dans tous les cas, c’est que quelque chose sera cassé dans les ressorts psychosociaux du système de production et de consommation du capitalisme, disons post-moderne. Les usines et les bureaux non seulement tombent en panne faute de travailleurs, le télétravail ne concernant au mieux qu’un tiers de la main d’œuvre, mais encore ne peuvent plus produire à flux tendu, quand les personnels de surveillance, des DRH aux petits chefs, font défaut. Le consumérisme va être mis à mal. Dans l’abondance folle offerte par les grandes surfaces, les gens iront à l’essentiel. Le divertissement de masse, voyant sa production elle aussi mise à l’arrêt, fera moins office d’opium du peuple. La panne est un dommage pour le spectacle vivant et sa créativité, mais il était réservé à une élite.

Tout laisse donc penser que rien ne sera comme avant, que, même si l’économie se redresse — ce qui sera plus facile dans l’industrie que dans les services —, les gens ne repartiront pas aussi docilement au travail et qu’ils ne seront pas ressaisis par une fièvre acheteuse, à la recherche des derniers produits à la mode et des meilleures promotions. Il y avait d’ailleurs quelque chose de profondément décalé, pour ne pas dire d’indécent, dans la poursuite du bombardement publicitaire quand les informations ne cessaient d’égrener le nombre de malades et le nombre de décès.

Petite conclusion

Le capitalisme financiarisé et mondialisé présentait déjà de nombreux signes de faiblesse, sinon de délitement. La crise sanitaire a fait exploser ses contradictions. Au niveau de la production, la recherche effrénée pour maintenir les taux de profit et maximiser les revenus des actionnaires a détruit le compromis d’après-guerre fondé sur le partage des gains de productivité, dans des cadres qui restaient pour l’essentiel nationaux. Elle a fini, la révolution numérique aidant, par laminer la classe moyenne, ses fonctions d’encadrement et ses activités de service, et par l’appauvrir. Elle a détruit ou décomposé le salariat ouvrier et employé en le remplaçant par des machines et en le précarisant. Au niveau de la consommation, alors que la société de consommation d’après guerre était axée sur les biens de base et sur l’équipement des ménages destiné à soulager leur peine, la société consumériste a multiplié les produits superflus et frelatés, à grand renfort de marketing. Enfin la production de masse et à prix toujours plus bas a endommagé de plus en plus les équilibres écologiques et mis les ressources naturelles en voie d’épuisement, le capitalisme vert s’avérant incapable d’y remédier. Ce constat est aujourd’hui largement partagé (les trois articles de Denis Collin, intitulés Effondrement I, 2, et 3, en donnent un résumé saisissant). La crise aura donc eu au moins ce mérite de remettre les compteurs à zéro.

Relancer l’économie par le crédit quand les opportunités d’investissement se réduisent du fait de la diminution de la demande globale liée à la montée des inégalités, et maintenant de l’essoufflement du consumérisme, ressemble à une fuite en avant sans issue. Restaurer le compromis social n’aurait de sens que si une forte croissance pouvait être maintenue, si les classes possédantes (en toutes sortes de « capitaux ») largement mises à contribution, et si la sphère financière était puissamment dégonflée (lourde taxation de plus-values boursières, taxation efficace sur les transactions financières, interdiction du marché secondaire des produits dérivés). Cette voie peut néanmoins être empruntée pour limiter les dégâts, car on ne se débarrassera aisément d’un capitalisme vieux de plusieurs siècles et qui a su modeler toutes les institutions à son avantage. Mais pourvu que l’on s’appuie sur les mouvements populaires qui sont entrés en rébellion dans les pays développés, et dans d’autres pays aussi, au point qu’on y connaît un climat de guerre civile larvée.

Mais la leçon de la crise est qu’il faudra, si l’on veut éviter le pire, changer radicalement d’économie. Dans les articles de La sociale quelques directions ont été dessinées, en résumé : 2° restaurer et élargir les services publics (qui comprennent les banques et quelques secteurs stratégiques) 2° changer le modèle de croissance : faire décroitre toutes les productions nuisibles à l’environnement et à la santé physique et psychique des individus, et faire croître seulement celles qui correspondent à des besoins réels 3° mettre en œuvre une véritable planification, ce qui ne peut être fait efficacement qu’à l’échelle des États, et 4° inventer un large secteur fondé sur la démocratie économique. Tout cela n’est pas si difficile à se représenter, mais bien sûr, suppose une transformation en profondeur des institutions politiques.

En soi le pari parait insensé. Mais le basculement géopolitique vers des pays qui, comme la Chine, ont su au moins garder un vaste secteur public, une planification digne de ce nom, et garder le capitalisme privé sous contrôle, peut forcer le cours de l’histoire. À condition que les mobilisations des forces populaires dans tous les pays, appuyées sur et par les organisations de l’ONU, parviennent à éviter la nouvelle guerre froide que prépare l’impérialisme déclinant avec des moyens militaires surpuissants utilisant les dernières technologies numériques.