Les réactions sont très contrastées. Une partie des « pays arabes » condamne fermement l’opération du Hamas. Parmi eux : le Maroc, l’Égypte, les émirats, le Bahreïn, la Jordanie, l’Arabie Saoudite, etc., mais d’un autre côté, une approbation bruyante de l’Algérie, de la Tunisie, du Qatar, de la Syrie et bien sûr de l’Iran, qui a proclamé une nouvelle fois « mort à Israël ». Dans les opinions publiques, et notamment en France, on retrouve les mêmes fractures. De nombreux mouvements « immigrés » manifestent contre Israël, avec le soutien plus ou moins clair de LFI, alors que le soutien à Israël est le plus largement répandu dans notre pays.
Qui a aidé le Hamas, notamment en fournissant des armes ? Que vise exactement le Hamas ? Ces questions sont pour l’heure sans vraie réponse. En tout cas, le Hamas déclare qu’il n’y a rien à négocier et qu’il veut prendre Jérusalem. L’hypothèse d’une victoire militaire du Hamas paraît aujourd’hui déraisonnable, mais les conséquences de son action seront sans doute considérables. En Israël même, alors que le Premier ministre était empêtré dans l’affaire de la réforme constitutionnelle et qu’il se trouvait confronté à une opposition active, le voilà d’un seul coup débarrassé de ses soucis, car l’union sacrée s’impose. Mais l’heure des comptes va sonner. L’éditorial de Haaretz en date du 8 octobre dit clairement les choses :
Le désastre qui a frappé Israël lors de la fête de Sim’hat Torah est la responsabilité claire d’une seule personne : Benjamin Netanyahu. Le Premier ministre, qui s’enorgueillit de sa vaste expérience politique et de sa sagesse irremplaçable en matière de sécurité, a complètement omis d’identifier les dangers dans lesquels il conduisait consciemment Israël lors de l’établissement d’un gouvernement d’annexion et de dépossession, en nommant Bezalel Smotrich et Itamar Ben-Gvir à des postes clés, tout en adoptant une politique étrangère qui ignorait ouvertement l’existence et les droits des Palestiniens.
Netanyahou tentera certainement d’échapper à ses responsabilités et de rejeter la faute sur les chefs de l’armée, du renseignement militaire et du service de sécurité du Shin Bet qui, comme leurs prédécesseurs à la veille de la guerre du Kippour, ont vu une faible probabilité de guerre avec leurs préparatifs pour une attaque du Hamas qui se sont révélés défectueux.
Ils ont méprisé l’ennemi et ses capacités militaires offensives. Au cours des prochains jours et des prochaines semaines, lorsque la profondeur des défaillances des Forces de défense israéliennes et des services de renseignement sera révélée, une demande justifiée de les remplacer et de faire le point surgira sûrement.
Cependant, l’échec de l’armée et du renseignement n’absout pas Netanyahu de sa responsabilité globale dans la crise, car il est l’arbitre ultime des affaires étrangères et de sécurité israéliennes. Netanyahou n’est pas novice dans ce rôle, comme Ehud Olmert l’était dans la deuxième guerre du Liban. Il n’est pas non plus ignorant en matière militaire, comme Golda Meir en 1973 et Menahem Begin en 1982 l’ont prétendu.
Netanyahou a également façonné la politique adoptée par l’éphémère « gouvernement du changement » dirigé par Naftali Bennett et Yair Lapid : un effort multidimensionnel pour écraser le mouvement national palestinien dans ses deux ailes, à Gaza et en Cisjordanie, à un prix qui semblerait acceptable pour le public israélien.
Dans le passé, Netanyahou s’est présenté comme un dirigeant prudent qui évitait les guerres et les pertes multiples du côté d’Israël. Après sa victoire aux dernières élections, il a remplacé cette prudence par la politique d’un « gouvernement de droite », avec des mesures manifestes prises pour annexer la Cisjordanie, pour procéder à un nettoyage ethnique dans certaines parties de la zone C définie par Oslo, y compris les collines d’Hébron et la vallée du Jourdain.
Cela comprenait également une expansion massive des colonies et le renforcement de la présence juive sur le mont du Temple, près de la mosquée Al-Aqsa, ainsi que la vantardise d’un accord de paix imminent avec les Saoudiens dans lequel les Palestiniens n’obtiendraient rien, avec des discussions ouvertes sur une « deuxième Nakba » dans sa coalition gouvernementale. Comme prévu, les signes d’une flambée des hostilités ont commencé en Cisjordanie, où les Palestiniens ont commencé à sentir la main plus lourde de l’occupant israélien. Le Hamas a profité de l’occasion pour lancer son attaque-surprise samedi.
Par-dessus tout, le danger qui plane sur Israël ces dernières années a été pleinement réalisé. Un Premier ministre inculpé dans trois affaires de corruption ne peut pas s’occuper des affaires de l’État, car les intérêts nationaux seront nécessairement subordonnés à l’extirpation d’une éventuelle condamnation et d’une peine de prison.
C’est la raison de la mise en place de cette horrible coalition et du coup d’État judiciaire avancé par Netanyahu, et de l’affaiblissement des officiers supérieurs de l’armée et du renseignement, qui étaient perçus comme des opposants politiques. Le prix a été payé par les victimes de l’invasion dans le Néguev occidental.
Un bien sort parfois d’un mal. Le choc permettra peut-être un large débat en Israël et conduira à une politique radicalement différente qui permettrait de rechercher la paix et la sécurité. Car, ne nous y trompons pas, la solution viendra de là et de nulle part ailleurs. Le mouvement national palestinien, tel qu’il existait du temps de l’OLP, dans ses diverses composantes, a été entièrement phagocyté par les islamistes les plus intégristes, le Hamas et, en embuscade au nord, le Hezbollah, sans oublier le Jihad islamique et de nombreux autres groupes. L’autorité palestinienne officielle est complètement discréditée et corrompue jusqu’à la moelle. Et donc, pour l’heure, les forces qui, côté palestinien voudraient des négociations de paix sont pratiquement inexistantes.
Comprenons l’enjeu. Le droit de l’État d’Israël à exister dans des frontières sûres et reconnues est incontestable. Il faut le dire nettement : la querelle du sionisme et de l’antisionisme n’a plus aucune raison d’être. On le sait : avant la Deuxième Guerre mondiale, il existait, en Europe d’abord, des courants juifs antisionistes. C’était notamment le cas du Bund qui préférait lutter contre toute discrimination des Juifs en Europe et pour une autonomie culturelle du yiddishland et refusait le « foyer national juif en Palestine ». À l’intérieur d’Israël, il y a des courants traditionalistes qui sont hostiles à l’existence de l’État d’Israël. Il y eut aussi des courants antisionistes qui luttaient pour un État laïque et démocratique, sur une base socialiste. Mais cet antisionisme juif est réduit aujourd’hui à presque rien. L’antisionisme est aujourd’hui le fait des partisans de la destruction d’Israël et sert de canal d’expression à l’antisémitisme, particulièrement répandu chez les musulmans, mais aussi ailleurs !
Il faudra aussi rappeler que le sionisme est une des manifestations du « printemps des peuples » qui a secoué l’Europe à partir de 1848 : les Hongrois, les Roumains, les Slaves, tous veulent leur État-nation et secouent les vieux empires, austro-hongrois et ottoman. Pourquoi les Juifs, souvent parqués dans des ghettos ou soumis à des lois discriminatoires n’auraient-ils pas eux aussi droit à leur État ? Si le droit des nationalités est un principe intangible, on ne voit pas pourquoi les Juifs seraient exclus du bénéfice de ce principe. Les bolcheviks du reste avaient créé dans l’ensemble de l’URSS un État juif, le Birobidjan, qui n’avait jamais été ce que ses inventeurs avaient imaginé — cet oblast autonome compte aujourd’hui moins de 75000 habitants. L’identité du peuple juinf ne laisse pas de laisser pensifs les théoriciens de toutes tendances. Mais si on se réfère à la définition de Bauer — une nation est une communauté de vie et de destin — les Juifs peuvent à bon droit estimer que leurs pratiques et leurs espérances (« l’année prochaine à Jérusalem ! ») les constituaient comme une nation parmi les nations. La « question juive » était réputée se fondre dans la question démocratique et sociale — c’était la position de Marx — mais, au contraire des espérances « progressistes », elle a fait un retour violent à la fin du xixe siècle. Tout cela s’est cristallisé n France avec l’affaire Dreyfus et la manifestation d’un antisémitisme de masse — le livre d’Édouard Drumont, La France juive, n’a cessé d’être réimprimé. En Allemagne où le statut discriminatoire de Jifs avait persisté bien longtemps qu’en France, on assiste dès les années 1915 à une montée de la haine contre les Juifs, d’autant plus inexplicable que les Juifs n’ont pas été les derniers à aller verser leur sang pour la patrie allemande. Quelles que soient les explications de cet antisémitisme moderne, qui culmina dans l’extermination des Juifs d’Europe, une « œuvre » à laquelle les nazis trouvèrent souvent des collaborateurs volontaires, en France avec l’administration Pétain, mais aussi et surtout en Pologne et en Ukraine, même les moins sionistes des Juifs finirent par se convaincre qu’il fallait aller rejoindre le seul lieu sûr dans ce monde que serait l’État juif.
Mais évidemment la Palestine mandataire n’était pas « une terra sans peuple pour un peuple sans terre ». De nouveaux drames allaient se nouer. Rappelons que l’hostilité à l’installation des Juifs en « Palestine » est antérieure à la création de l’État d’Israël. Les premières colonies juives qui s’installent sur cette terre sous mandat anglais (notamment après la déclaration Balfour) rencontrèrent une violente opposition. Les autorités islamiques se manifestèrent bruyamment et le grand mufti de Jérusalem appuya Hitler. De leur côté, d’ailleurs, les nazis avaient une sympathie avouée pour l’islam. Penser que la racine du problème est dans les colonies, c’est se tromper lourdement. C’est l’existence même de Juifs sortis du statut de « dhimmi » qui est insupportable aux leaders islamiques.
Ajoutons que la Palestine n’a aucune existence historique. Les Palestiniens confrontés à l’existence de l’État d’Israël, ont commencé à se vivre comme une nation palestinienne, au moment où s’étaient développés dans le monde arabe des nationalismes laïques (plus ou moins) que se donnaient comme objectif la construction d’États-nations modernes (le nassérisme en Égypte, les deux branches du parti Baas en Irak et en Syrie, Bourguiba en Tunisie et les premiers gouvernements du FLN algérien). Mais ce mouvement est mort. Mort avec la contre-révolution islamique en Iran en 1979, la guerre civile engagée par le FIS en Algérie dans les années 1980 et 1990, les deux guerres du Golfe et l’instauration d’un gouvernement chiite en Irak marquent l’entrée dans une nouvelle période historique. Les accords d’Oslo avaient laissé entrevoir une solution pacifique avec en perspective la cohabitation d’un État palestinien et de l’État d’Israël. Mais l’assassinat de Rabin et le mouvement des colonisations ont tué cet espoir, pendant que l’on encouragea (du côté israélien autant du côté arabe) la création du Hamas avec la finalité, énoncée publiquement par Netanyahou d’en finir avec l’idée d’un État palestinien. On remarquera l’étonnante et secrète convergence entre les ultras en Israël et les fanatiques de l’islam.
Aujourd’hui, toutes nos proclamations semblent bien vaines. On peut et on doit réclamer une solution politique, mais ni le Hamas, ni le Hezbollah, ni le Jihad islamique ne veulent d’une telle solution. L’arrêt et même le démantèlement des colonies ne convaincraient pas de revenir à la table de négociations. Ils l’ont dit et le répètent : il n’y a rien à négocier et ils veulent expulser les Juifs ou les tuer. Ceux qui ont vu Daesh à l’œuvre doivent savoir que ce sont leurs frères et leurs semblables qui opèrent aujourd’hui en Israël. Une victoire du Hamas serait une catastrophe terrible. Non seulement, on assisterait à une réédition des horreurs nazies contre les Juifs, mais encore les islamistes seraient encouragés partout à passer à l’offensive et imposeraient peu ou prou leurs lois dans les pays encore à peu près « démocratiques ». Les intersectionnels et les décérébrés de la FI qui soutiennent le Hamas et couvrent les « indigènes » préparent tranquillement la mise hors-la-loi des mécréants, des homosexuels et la liquidation des acquis fondamentaux des Lumières. Même les États musulmans raisonnables seraient emportés. Des gens comme Boualem Sansal ou Kamel Daoud ne cessent de nous avertir. Mais il semble qu’on ne veuille pas les entendre. Que faire ?