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Les leçons de la guerre en Ukraine

mercredi 30 mars 2022, par Jean-Michel TOULOUSE

Il ne faut pas être grand clerc pour comprendre que le paysage géopolitique du monde est en train de changer de cycle. Le monde de 1945 est mort, celui du début de ce XXIe siècle est déjà né.

I- LE MONDE BIPOLAIRE A DISPARU

A la fin de la deuxième guerre mondiale, en 1945, deux puissances incontestées se sont partagé l’influence mondiale. Dans un premier temps, les États-Unis ont seuls régné en maître tant sur le plan économique que militaire.
Du point de vue économique ils imposèrent le plan Marshall pour écouler leurs produits dans toute l’Europe "libérée" (en oubliant que l’effort principal de cette libération du nazisme était due à l’URSS qui, à Stalingrad a détruit la 6e armée de la Wehrmacht). Du point de vue militaire ils imposèrent un certain nombre de traités militaires dont ils avaient le contrôle en tant que première - et seule- puissance nucléaire à l’époque (OTAN, OTASE, organisations de traités de l’Atlantique nord et de l’Asie du sud-est par exemple).

Dès août 1949, l’URSS mit fin à ce monopole et un duopole nucléaire vit le jour. Ainsi, de 1949 à 1991(date de l’effondrement de l’URSS), ce duopole fit régner "l’équilibre de la terreur", c’est à dire la "mutual assured destruction"(MAD) qui garantissait la non utilisation de l’arme nucléaire sous peine de destruction mutuelle assurée. Les arsenaux nucléaires se renforcèrent des deux côtés, malgré la signature de traités essayant de limiter la prolifération de ce type d’armes (TNP -Traité de Non Prolifération-, Traités SALT-Strategic Arms Limitation Talks- de 1972 et 1979), ou limitant la production de missiles à têtes nucléaires "mirvés" ou non (MIRV : Multiple Independently Targeted Reentry Vehicles, Missiles à têtes nucléaires indépendamment guidées) ou de missiles anti-missiles-Traité ABM (Anti-Balistics Missiles-de 1972).
Or depuis la Présidence de Ronald Reagan, les États-Unis se sont mis en tête d’épuiser l’URSS dans cette course aux armements. Tous les traités cités ont été soit dénoncés par les États-Unis, soit mis au réfrigérateur. Et l’accord ABM qui déterminait deux sanctuaires (Washington et Moscou) et 6000 têtes nucléaires pour chacun des deux pays, a été anéanti par le retrait officiel de la puissance américaine en juin 2002. Aujourd’hui il est très difficile de chiffrer avec exactitude l’armement des deux pays.

Parallèlement d’autres États se sont équipés de l’arme nucléaire : Royaume-Uni, France, Israël, Inde, Chine, Pakistan, Corée du Nord. Certains autres essayent de le faire : l’Iran par exemple pour lequel de nouvelles négociations sont en cours. Le duopole nucléaire n’existe donc plus et ce que les traités TNP et SALT
voulaient éviter est malheureusement en train de se mettre en place : la prolifération incontrôlée des armes nucléaires.

Du côté de l’économie, la domination sans partage des États-Unis est terminée. Ils produisaient 45 % du PMB (Produit Mondial Brut) en 1945, ils n’en produisent plus que 23000 milliards de dollars pour un PMB de 80000 milliards de dollars, soit moins du quart. Des puissances émergentes comme la Chine (PIB de 16000 milliards de dollars en 2021), l’Inde, le Brésil, l’Afrique du Sud, ou des pays comme le Japon, l’Allemagne se renforcent). L’Allemagne d’ailleurs devrait renoncer à toute domination en Europe et la France doit comprendre que le pré- tendu « couple franco-allemand » n’est qu’un leurre et reconsidérer l’ensemble de ses politiques économique, sociale, financière, militaire et diplomatique.

Nous sommes donc bel et bien dans un autre monde, un monde multipolaire qui se compose de puissances rivales, toutes capitalistes (États-Unis, Allemagne France, Royaume-Uni, Inde, Brésil, Japon, Russie, Corée du Sud, Indonésie, Pa- kistan, Mexique...) ou de puissances se revendiquant d’un régime différent (Chine, Iran par exemple).

Enfin nous avons changé de capitalisme, nous sommes passés d’un capitalisme industriel et d’investissement, dans lequel le mouvement ouvrier avait par ses luttes (et l’existence de l’URSS et du "camp" socialiste), tenu en respect les bourgeoisies internationales (les trente glorieuse), à un capitalisme multinational, financiarisé, cosmopolite, qui a réussi pour l’instant à détruire les appareils de défense du salariat en segmentant les "chaînes de valeur" et en ayant recours à la sous-traitance tous azimuts ainsi qu’à la recherche du profit plus par la délocalisation et la circulation du capital à la vitesse de la lumière (liberté de circulation des capitaux) plutôt que par la production matérielle. Nous sommes passés des "bataillons de fer du prolétariat" à l’ubérisation et au pseudo - "auto- entrepreneuriat" dispersé et donc de moindre puissance.

Le capital qui règne en maître ne rencontre plus de résistance et a pris des mesures pour empêcher la baisse tendancielle du taux de profit : délocalisations, spéculation sur les produits dérivés, vitesse de circulation des capitaux jamais atteinte jusqu’à présent, ROE (return on equity) à 15 %, destruction des organisations de défense du salariat, domestication des États, enfermement du salariat dans la dette, domination du capitalisme par une "hydre mondiale" financière d’un oligopole de 16 banques mondiales systémiques (Cf. François Morin). Le conditionnement idéologique systématique dès l’école, l’invisibilisation des bourgeoisies par une maîtrise et un contrôle total des médias, de l’école et des programmes universitaires accompagnent ces mesures au détriment des libertés publiques et de la démocratie.

Cette situation nouvelle n’est pas sans conséquences sur la géopolitique du monde en même temps qu’elle est sérieusement travaillée par les forces montantes.

II- LE NOUVEAU VISAGE DU MONDE

Plusieurs forces nouvelles ou qui se renforcent surgissent sur la scène internationale, et contestent le rôle dominant des États-Unis.

a-Sans valider la théorie de Mackinder de 1904, pour qui tenir le "heartland"(en gros l’Eurasie et l’Afrique) ce serait tenir le monde, il nous faut bien considérer que la Russie fait partie de l’Europe et qu’il est donc vain pour les États-Unis de continuer leur politique de "containment" , de "roll back"et de "dépeçage" de la Russie, tant désiré par Brzezinski. qu’on le veuille ou non, la Russie est un pays européen et c’est l’Union Européenne qui est une "construction" artificielle ; la diplomatie de l’avenir consiste donc a se débarrasser de cette "Europe" du capital limitée aux 27 pays actuels (sur 49 en Europe...) et d’initialiser une coopération internationale "de l’atlantique a l ’Oural" voire de l’Atlantique au Kamtchatka.

La France doit s’atteler à cette tâche et s’interroger sur les raisons qui ont conduit la Russie à pénétrer en Ukraine. Il suffit pour le comprendre de regarder une carte des frontières militaires de l’OTAN en 1991 et aujourd’hui. Sans cautionner l’invasion de ce pays par la Russie, peut-on demander aux « va-t-en guerre » en charentaises ce que les États-Unis auraient fait si la Russie ou la Chine avaient installé des missiles (nucléaires ou non) aux frontières du Mexique ou du Canada ?

Ce qui s’est passé en 1962 à Cuba le laisse penser. Par un curieux raisonnement, ce qui était juste et "démocratique" pour les États-Unis en 1962, est devenu criminel et dictatorial pour la Russie en 2022. Et pourtant il n’est pas compliqué de comprendre que les États-Unis bénéficient d’un no man’s land commode avec les deux océans (Pacifique et atlantique) qui leur donne un champ stratégique que la Russie n’a pas. Nous n’avons pas vu les promoteurs des émotions sélectives s’apitoyer sur Belgrade bombardée, sur le Viet-Nam saigné à blanc lors des bombardements de Hanoï et Haiphong décidés par Richard Nixon, lors de la destruction de l’Irak, de la Yougoslavie, ou actuellement du Yémen. Et encore une fois, ces rappels ne valent pas approbation de l’intervention russe en Ukraine, ni le régime politique instauré par Vladimir Poutine.

La seule façon de sortir de la guerre en Ukraine passe par les points suivants :

  • 1-le retrait de l’OTAN sur ses frontières militaires de 1991, en attendant sa dissolution , après celle du Traité de Varsovie (en juillet 1991...)
  • 2-la neutralité de l’Ukraine et l’intangibilité des frontières (sauf consultation des populations concernées sous contrôle de l’ONU), négociées dans un traité de sécurité collective d’où seraient exclus les États-Unis qui n’ont aucune légitimité au sein de l’Europe.
  • 3- le retrait des armées russes d’Ukraine dont l’indépendance serait affirmée (même traitement que celui de l’Autriche dans le traité de 1955). L’OSCE (Organisation pour la Sécurité et la Coopération en Europe mise en place en 1995 à la place de la CSCE) pourrait être l’organe adéquat de ces négociations qui pourraient démarrer sur la base des accords de Minsk 1 et 2, et des négociations dans le "format Normandie", superbement piétinés par l’OTAN sans que cela ne choque personne !

b- Les Amériques centrale et du Sud ne sont plus la chasse-gardée des États- Unis. La coopération économique, culturelle et scientifique de tous ces pays avec l’Europe, l’Asie et l’Afrique ne pourra plus être empêchée par le tuteur nord- américain actuel. Incapable d’aider ce continent à se développer, les États-Unis ne pourront interdire à ses États de se tourner vers d’autres puissances dispensatrices d’aides et de concours. La doctrine Monroe est morte (je rappelle d’ailleurs que cette "doctrine " interdisait aux États-Unis d’intervenir en Europe ...).

c- L’Afrique se réveille et n’accepte plus le néo-colonialisme des anciennes puissances "occidentales" et notamment la "Francafrique" chère à la bourgeoisie française. Des États comme le Nigéria, l’Afrique du Sud, l’Egypte, l’Algérie, le Congo Kinshasa ne tarderont pas à s’émanciper des bourgeoisies compradores qui les stérilisent ni des puissances qui n’ont pas compris que nous avions changé de siècle. Comme les Amériques centrale et du Sud, ces États et ces peuples vont vouloir accéder au véritable développement et à la véritable démocratie politique.

d- L’Asie, nouveau centre de gravité géopolitique du monde, frappe à la porte des grands événements mondiaux.

 > En premier lieu, il est clair que la puissance capable de contester le monopole nord-américain sur le monde est la Chine. Cet État continental, de 1,4 milliard de citoyens et de citoyennes, avec un PIB se rapprochant de celui des États-Unis - qu’il aura rejoint d’ici cinq à dix ans- ne tolèrera pas qu’on croise le long de ses côtes impunément avec des armes nucléaires. La Chine récupèrera Taiwan, territoire historique qui bénéficie d’une indépendance administrative, politique et militaire non reconnue officiellement à ce jour. Elle n’acceptera pas que tel ou tel service secret essaye de subvertir son unité nationale. Elle acquerra la parité nucléaire avec la Russie et les États-Unis d’ici une dizaine d’année mais bénéficie d’ores et déjà des forces nécessaires pour empêcher toute agression, sous peine de représailles inacceptables (Clinton l’avait compris, lui qui avait demandé un plan au Pentagone d’attaque nucléaire de la Chine, mais personne n’avait à l’époque cru bon de protester...). Elle n’a pas d’ambition dominatrice militaire car elle n’a qu’une base militaire à Djibouti alors que les EU en ont installé environ 600 partout dans le monde. L’Eurasie aurait tort de la rejeter, notamment par sa capacité économique, culturelle et scientifique de contribuer au développement de l’ensemble de la zone sibérienne. La Russie devrait y être intéressée, pour peu que le peuple russe réussisse à se débarrasser de l’oligarchie mafieuse de milliardaires corrompus qui colonise son État et confisque ses richesses à son seul profit, "à la russe" comme on dit. L’Eurasie de l’Ouest aurait intérêt à comprendre qu’une collaboration ("entente, détente et coopération" comme le souhait De Gaulle) avec la Chine serait mutuellement avantageuse et propre à dissiper tout malentendu.

 > De la même façon, la France devrait développer sa coopération avec des pays comme la Corée du Sud, le Viet-Nam, l’Inde, le Pakistan, l’Indonésie, le Japon ... au lieu de sauter comme un cabri en criant "l’Europe ! L’Europe ! L’Europe !"comme le locataire actuel de l’Elysée, qui se comporte plus comme un petit télégraphiste de l’OTAN, de l’UE et du G 7 plutôt que comme le chef de l’État d’un grand pays telle que la France !

 > La Chine-en bonne entente avec l’Inde, le Japon, le Pakistan, le Viet-Nam, l’Iran, l’Indonésie ...- est appelée à jouer un grand rôle dans le développement économique, social culturel et politique de toute cette zone indo-pacifique, en contre-pouvoir clair à toutes les misérables tentatives de déstabilisation fomentées par les États-Unis avec l’aide laborieuse de ses "alliés" australiens, anglais ou autres (Affaire des sous-marins australiens et de l’alliance d’affaire de l’AUKUS- Australie-Royaume-Uni-Etats-Unis -, alliance militaire censée s’opposer à "l’expansionnisme chinois dans l’indo-pacifique"...) . Les États-Unis, n’ont rien à faire militairement dans cette région, pas plus qu’en Europe, en Amérique du Sud ou en Afrique.

 > On ne peut que regretter que les moyens de toutes ces puissances-Chine, Japon, Inde, Pakistan, Corée du Sud, Indonésie etc.- ne soient pas mis au service du développement de cette région au profit des peuples plutôt que stérilisés dans un sur-armement provoqué par l’ingérence nord-américaine.
Naturellement l’Inde est appelée à jouer un grand rôle dans ce développement et nous ne pouvons qu’espérer que ses dirigeants sauront voir quel est l’intérêt de leur peuple et ainsi se détacher de l’entreprise de domination nord-américaine. Le peuple indien commence d’ailleurs à frapper à la porte de l’histoire ... Le Japon a tout intérêt également à coopérer avec ces États asiatiques avec lesquels son avenir est lié, au lieu de chercher - comme l’Allemagne- à se réarmer et à supputer quelle stratégie de "cavalier seul" pourrait lui permettre d’être le seul à tirer les marrons du feu.

e- Enfin on ne saurait parler de géopolitique sans évoquer le Moyen-Orient, dont la plaie principale est la dictature des émirs et autres classes privilégiées qui confisquent la rente pétrolière- jusqu’à son épuisement prochain- sans que les peuples n’en profitent. Rien de nouveau et de progressiste ne se produira dans ces États, tant que les peuples ne se seront pas débarrassés de ces classes parasitaires, que ce soit en Arabie Saoudite-dont on connaît les agissements de son "chef d’Etat"- ou en Egypte, en Iran, dans les "émirats", en Syrie ou dans le Magreb et le Machrek.

Notons pour finir sur cette région que l’Etat d’Israël doit cesser ses agissements et qu’une paix durable ne peut intervenir un jour que lorsque les droits du peuple palestinien seront reconnus et assurés. Cela signifie un retour d’Israël dans ses frontières d’avant "la guerre des six jours", et la pleine reconnaissance pour le peuple palestinien à un État viable, la Jordanie qui comprend 50 % de palestiniens dans sa population étant associée à des négociations patronnées par l’ONU.

f- L’ensemble de ces évolutions montre bien qu’une réforme fondamentale de l’ONU est nécessaire pour tenir compte de ces nouveaux équilibres géopolitiques qui n’ont plus rien à voir avec la situation d’après- guerre. Les grands principes de cette réforme complète devraient être :

  • suppression des G7, G8 et G20 au seul profit de l’ONU refondue. L’Assemblée Générale de l’ONU doit être le seul forum universel représentant tous les États, chacun comptant pour une voix.
  • Le Conseil de Sécurité doit être adapté aux réalités du XXIe siècle et être élargi aux États émergents ou ayant un rôle important. Tous les États dont le PIB représente 2,5 % du PMB doivent en être membres (Inde, Pakistan, Brésil, Indonésie, Mexique, Nigéria, Japon, Allemagne, Italie, Canada). Pourraient y être ajoutés les États qui bénéficient d’une représentativité régionale comme par exemple l’Iran, l’Egypte et l’Afrique du Sud. Avec les actuels membres permanents, l’ensemble de ces États représenteraient 75 % du PMB (Produit Mondial Brut) et de la population mondiale et l’ONU serait bien plus représentative de la communauté internationale qu’aujourd’hui. Le droit de véto serait supprimé et toute décision ne pourrait être prise qu’à la majorité simple ou qualifiée (notamment les décisions concernant les opérations de maintien de la paix- chapitre 7 de la Charte de l’ONU-). Durant la période de transition la France doit conserver son siège de permanent au Conseil de Sécurité aussi longtemps que les autres États en bénéficieront. Il n’est pas question qu’elle le cède à une "UE" fantasmagorique, comme l’envisage Emmanuel Macron, ce qui reviendrait à le donner à l’Allemagne !
  • Le Secrétaire Général serait élu par l’Assemblée Générale à la majorité qualifiée ;
  • Le Conseil économique et social de l’ONU devrait avoir compétence sur les trois organes qui lui échappent actuellement : le Fonds monétaire international, la Banque internationale pour la reconstruction et le développement, et l’Organisation mondiale du commerce (ces organes sont soumis au G8, et donc à l’hydre bancaire internationale). Ces organisations doivent être au service de l’Assemblée Générale des Nations Unies et non de la finance internationale.
    Ainsi l’ONU refondue serait mieux à même de gérer la sécurité internationale qui redeviendrait l’affaire des peuples et non celle des seuls Etats.

Voila le nouveau visage de notre monde. C’est un monde multipolaire, appelant la coopération en tous les domaines, sur un pied d’égalité, et sur la base d’une Charte de La Havane actualisée. Un monde géré par une ONU refondée, pour le développement, la paix et la sortie des peuples du Sud -mais aussi d’une grande partie des peuples du Nord-, de la misère économique, sociale et culturelle.

Ce nouveau monde est en train de naître. Il ne sera stabilisé que si les peuples empêchent les involutions qui les font reculer à la situation qui rappelle 1914, aux temps du choc des impérialismes. Si les peuples sont capables de mener une lutte des classes nationale et internationale déterminée et conséquente.

Jean-Michel Toulouse -
Le 21 mars 2022

Messages

  • Voilà une contribution qui donne un salubre éclairage quant à la situation générée par la guerre en Ukraine et a le mérite d’ouvrir des pistes pour l’avenir. Ce conflit, en effet, rebat les cartes de la géopolitique : réagencement des alliances politiques, des rapports de force internationaux, des intrications d’ordre économique voire une reconfiguration de l’ordre mondial.
    N’y en aurait-il qu’un seul que ce serait déjà un mort de trop ! C’est peu dire qu’hélas, cent fois hélas, les morts s’additionnent en Ukraine, comme ils se sont additionnés en d’autres lieux et temps (encore récents et en Europe même) comme le rappelle judicieusement Jean-Michel Toulouse. Un rappel que les « grands médias » s’empressent surtout de ne pas évoquer tant depuis plus d’un mois, ces derniers - avec certains intellectuels de plateaux -, semblent être beaucoup plus mus, par la diffusion de ce qui s’apparente à une propagande de guerre que par une mise en perspective propre à donner des clés de compréhension aux gens, aux citoyens. Il est légitime, normal, tout simplement humain, que l’on éprouve de la compassion pour celles et ceux qui subissent les drames, les souffrances, les chagrins que génère toute guerre. De la compassion ? Certes mais pas à géométrie variable. Un exemple parmi d’autres. Aujourd’hui 30 mars, est pour les Palestiniens, la journée de la Terre, commémorant leur grève et leurs mobilisations du 30 mars 1976, face à l’Etat israélien qui annexa 2 500 hectares en Galilée avec les drames (entre autres depuis 75 ans de conflit) qui s’ensuivirent. La maire de Paris va-t-elle décider d’illuminer les monuments de la capitale aux couleurs de la Palestine ?
    Seulement voilà. La morale, les bons sentiments, ne font pas bon ménage, pour le moins, avec la géopolitique qui n’est affaire que de rapports de force au travers desquels les puissances n’agissent qu’en fonction de leurs intérêts. Et encore devrait-on aussi analyser ce conflit (en l’occurrence) en termes de rapports de force entre États impérialistes et luttes de classe.
    La déploration ? Soit. Mais depuis plus d’un mois, le courant d’une certaine bien-pensance s’évertue à ne solliciter que les affects, à focaliser l’énergie mentale des gens que sur les seuls effets sans que soient explicitées les causes qui les génèrent, quand d’aucuns ne chérissent pas ces dernières, ouvertement ou non. Or, dans le discours de la doxa dominante, émerge une curieuse topique : l’Occident produit des causes sans effets (les interventions militaires en Irak, en Libye, en Yougoslavie, etc.) et les Russes porteraient l’insigne et belliciste tare de produire des effets sans cause (le conflit en cours). En rester au stade de la déploration, agir sur le seul plan des affects, ne résout rien si ce n’est que laisser le champ à toute sorte de manipulation et récupération politicienne. L’Histoire nous apprend jusqu’où cela peut mener.
    Aujourd’hui, dans le champ politique, médiatique, dans notre pays, celui dit des Lumières, aucune discussion, aucun débat n’ont droit de cité. Il en fut ainsi pour la politique dite sanitaire, il en est de même (voire pire) pour le conflit en cours russo-ukrainien. Or, quiconque veut se donner la moindre peine, faire preuve d’un minimum d’effort de réflexion, de probité intellectuelle en somme, est à même de comprendre ce qui ne veut en aucun cas, comme le dit Jacques (Cotta), excuser ou cautionner, en l’occurrence l’entreprise de Vladimir Poutine. Seules devraient importer les deux questions suivantes : comment et pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Apparemment, pour l’heure dans l’air ambiant, quiconque pose ces deux questions est voué à rester inaudible quand il n’est pas couvert d’opprobre. Avec cela, on va aller loin.
    GR

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