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Le plan franco-allemand : un plan pour rien.

lundi 25 mai 2020, par Frédéric FARAH

Le plan franco-allemand : un plan pour rien.

Le plan Macron-Merkel a été salué par de nombreux observateurs comme un pas dans la bonne direction. Le couple franco-allemand était à la manœuvre. 500 milliards venaient s’ajouter, aux mesures précédentes de l’Eurogroupe.

L’Union européenne semblait prendre la mesure du chemin à parcourir pour répondre aux effets d’une pandémie terrible. Le problème se situe certes dans la pandémie, mais aussi et surtout dans le choix du confinement. C’est ce dernier qui entraine alors un brutal coup d’arrêt à l’activité économique, alors que ses effets sur la préservation de la vie humaine font débat.

Pour le dire autrement, ce n’est pas le virus qui nous a renvoyés dans nos foyers, mais des choix de politique économique inspirés pour ne pas dire plus à l’adhésion folle et inconséquente à l’ordo libéralisme allemand ou aux préceptes de la nouvelle économie classique américaine.

En effet, l’obsession comptable qui a régné en Europe a provoqué très largement ce vaste désarmement sanitaire qui a affecté les systèmes de santé italien, français, espagnol pour ne citer qu’eux.

Les coupes claires dans la santé associées à un vieillissement accru des populations européennes ont créé de manière interne les conditions d’une amplification des effets de la pandémie.

Les choix économiques externes d’allongement des chaines de production dans le monde ont augmenté notre vulnérabilité sanitaire, puisque nous ne disposions plus des capacités et des stocks pour affronter une pandémie.

En somme si l’on veut mesurer l’efficacité de quelconque plan de relance, il convient de se demander si l’Union européenne et donc les États qui la composent, souhaitent en finir avec les dogmes budgétaires qui nous ont conduits à une triple catastrophe, sanitaire, économique et sociale et revoir, les orientations économiques qui ont présidé à l’affirmation de la seconde mondialisation.

Le plan franco-allemand n’est-il alors qu’un levier de la restauration de l’ordre ancien, financiarisation, promotion du libre-échange, et austérité budgétaire ?

Les premiers aperçus du plan ne sont guère encourageants, lorsque l’on se rend sur le site de l’Élysée, les précisions sont pour le moins inquiétantes.

« Les financements du Fonds de relance seront ciblés sur les difficultés liées à la pandémie et sur ses répercussions. Il s’agira d’un complément exceptionnel, intégré dans la décision relative aux ressources propres, avec un volume et une date d’expiration clairement spécifiés, et qui sera lié à un plan de remboursement contraignant au-delà du prochain CFP sur le budget de l’UE.

Un accord d’ensemble rapide sur le CFP et le Fonds de relance est nécessaire pour faire face aux grands défis que l’UE doit relever. Les négociations s’appuieront sur les progrès réalisés jusqu’en février. Nous nous efforcerons de fournir l’effort budgétaire lié à la crise du coronavirus dès que possible.

Ce soutien à la relance complète les efforts nationaux et la série de mesures arrêtée par l’Eurogroupe ; elle s’appuiera sur un engagement clair par les États membres d’appliquer des politiques économiques saines et un programme de réformes ambitieux. »

Les mots sont éloquents « plan de remboursement contraignant, engagement clair par les États membres d’appliquer des politiques économiques saines et un programme de réformes ambitieux »

La langue de caoutchouc diplomatique et européiste ne doit pas tromper. Le remboursement contraignant passera probablement par des coupes dans la dépense sociale, ou encore par la mise en œuvre d’une fiscalité, dont on peut douter qu’elle soit inscrite sous le signe de la justice sociale. Cette préoccupation du remboursement aura pour effet de plomber la reprise économique future et aggravera les inégalités.

Quant aux politiques saines assorties d’un programme de réformes ambitieux, une traduction simple s’impose : la recherche de l’équilibre budgétaire, la poursuite des privatisations, des partenariats publics privés, et de la précarisation accrue du marché du travail, réduction dans les dépenses de santé. Une entreprise qui sera d’autant plus facilitée, car la nécessité de faire repartir l’économie donnera encore plus l’opportunité de rogner sur les droits sociaux. Les offensives du capital contre le travail ne cessent pas en temps d’épidémie, mieux, elles connaissent un accroissement sans précédent.

En somme, ce plan ne rompt en rien, avec l’idéologie antérieure. La discipline de marché doit prévaloir et la société devrait se plier à une sorte d’idéal concurrentiel.

Ce plan laisse accroire à un système de transferts pour porter assistance aux régions touchées par les effets de la pandémie et à l’existence de mesures d’inspiration keynésienne, mais il n’en est rien.

Tout cela reste de l’ordre du vœu pieux tant l’unanimité doit prévaloir en la matière, l’Autriche, le Danemark, les Pays-Bas et la Suède ont clairement montré leur hostilité à pareil plan. Le peu d’avancée en matière de mutualisation des dettes et mécanismes de transfert laisserait advenir à leurs yeux, une union de dettes qu’ils rejettent pleinement.

L’austérité qui n’a pas pu passer par la porte du mécanisme européen de stabilité va s’introduire par la fenêtre du plan de relance s’il aboutit. Il appartiendra à la Commission européenne de faire des propositions pour trouver un compromis entre la proposition franco-allemande et le désir des pays du nord et de l’Autriche, pays d’Europe centrale, rappelons-le.

L’aveuglement au désastre se poursuit. Le recours au mécanisme européen de stabilité avait buté sur la question de la conditionnalité, l’Italie ne souhaitant pas recourir à ce mécanisme si l’austérité lui était imposée, finalement, la conditionnalité disparaissait pour le temps de la crise et sur les questions sanitaires. Mais il était clairement indiqué que le retour à l’orthodoxie budgétaire était attendu pour l’après crise.

La même Italie avait alors fait feu de tout bois pour promouvoir l’idée d’un fonds de relance, la Commission était prête à étudier l’idée et dans l’intervalle, le plan franco-allemand a été proposé.

L’Allemagne fait mine de relâcher son orthodoxie mais, ses alliés et sa plus haute juridiction font entendre une autre musique.

Ce sont ces alliés qui reprennent le flambeau de M Schauble, et le tribunal constitutionnel de Karlsruhe en voulant limiter le rôle de la BCE dans son soutien aux besoins de financement des pays sud, opère une division tout artificielle entre politique monétaire et politique économique. Et l’appel à la démocratie et à la souveraineté du droit allemand de la cour a pour vocation de souligner que seule la discipline du marché fera le travail. De la sorte, elle pousse dans les bras du mécanisme européen de stabilité l’Italie, en cherchant à contraindre la politique de la Banque centrale européenne.

On voit bien l’Allemagne avance ses pions par la bande et ne cache pas sa méfiance à l’égard des pays du sud.

M Weber, le président du parti populaire européen au parlement européen dans une interview récente au journal italien, la Repubblica expliquait que si un plan de relance devait avoir lieu, il conviendrait de s’assurer que les Italiens et Espagnols ne l’utilisent pas pour combler les déficits et le paiement des pensions italiens ou espagnols.

En somme, s’il devait naitre quelque chose comme un fédéralisme rampant, ce serait la naissance d’une camisole de force dorée qui adviendrait.

Le plan de relance, le recours au MES, l’action de la BCE auront pour vocation d’annihiler toute sortie possible de l’euro.

Et ces plans exerceraient une pression terrible sur les systèmes sociaux européens, puisqu’ils seront assortis in fine d’une orthodoxie budgétaire de moyen ou de long terme.

On le voit bien la solidarité ou quelque chose y ressemblant est sous condition restrictive et la libre circulation des capitaux jouit sans entrave de toutes les commodités.

L’UE est le paradis du capital contre le travail, combien de temps faut-il pour le voir ? Les systèmes sociaux développés par les États-nations au lendemain de la Seconde Guerre mondiale masquent par leur poids, les orientations capitales à l’œuvre depuis presque quatre décennies et n’oublions pas que ces systèmes sociaux sont désormais évalués, mesurés et gérés comme des entités marchéisés.

Et la France dans tout cela, elle s’arrime davantage à l’Allemagne ou multiplie des initiatives qui n’aboutissent pas, mais de ce gouvernement rien d’original, et l’orthodoxie demeure. La nomination d’A B Quéré, économiste de renom comme chef économiste de la direction du Trésor exprime clairement la volonté d’orthodoxie économique retenue par le locataire de Bercy.

Ce dernier accompagne plus la désindustrialisation de ce pays qu’une stratégie économique post covid.

Le plan franco-allemand ne rompt en rien avec les orientations fondamentales de la construction européenne qui conduisent à un affaiblissement du continent : libre circulation des capitaux, promotion de la concurrence, du workfare, méfiance à l’égard de l’intervention publique dans un sens redistributif.

Le plan franco-allemand fera pschitt et les peuples européens se retrouvent encore une fois à la merci de politiques économiques délétères.