Accueil > International > Quel serait l’impact d’un gouvernement Biden pour l’école publique (...)

Quel serait l’impact d’un gouvernement Biden pour l’école publique ?

samedi 23 janvier 2021, par Antoine BOURGE

« C’est un grand jour pour les enseignants des États-Unis : vous allez avoir l’un des vôtres à la Maison Blanche », a annoncé le président élu Joe Biden dans son discours de remerciements. En effet, les enseignants ont exprimé leur soulagement général à l’annonce du départ de la Ministre de d’éducation, Betsy DeVos, une éternelle pourfendeuse de l’école publique. #ByeBetsy est très en vogue sur les réseaux sociaux.

Mais les enseignants devraient modérer leur enthousiasme. La phrase de Biden est on ne peut moins creuse. Pour comprendre ce que le futur gouvernement réserve aux enseignants il faut apprécier avec du recul le bilan du gouvernement Obama-Biden, le programme du président élu et les intérêts de classe de Biden et du parti Démocrate.

Tout d’abord, Biden et la vice-présidente élue, Kamala Harris, ne diffèrent en rien de Trump ou Wall Street à pousser les enseignants, les élèves et les parents à retourner à l’école et au travail. Ils ont insisté sur le fait que la réouverture des écoles « devait être une priorité nationale. »

Les Démocrates tout comme les Républicains font des pieds et des mains pour s’assurer que les élèves retrouvent le chemin de l’école afin que les parents s’entassent sur leur lieu de travail et génèrent des profits pour l’oligarchie financière. Les Démocrates et les syndicats d’enseignants ont repris à leur compte le mensonge consistant à considérer que les écoles peuvent être rouvertes en « toute sécurité » avec un peu plus de plexiglas et des vitres en plastique.

Dans cette optique Biden a laissé entendre qu’une nouvelle aide COVID-19 de 88 milliards de dollars pour les écoles serait créée. C’est moins de la moitié du montant dont les circonscriptions scolaires auraient réellement besoin. Le CCSSO [1] a expliqué que 158,1 milliards de dollars devraient s’ajouter aux 244,6 milliards pour rouvrir les établissements scolaires en toute sécurité et bénéficier à tous les élèves pour cette année. Biden le sait très bien, de telles dépenses ne seront pas acceptées par les Républicains, mais il a proposé de défendre une politique en faveur d’un retour en présentiel à l’école.

Deuxièmement, un gouvernement Biden poursuivra les politiques d’austérité contre l’école publique, dans un contexte de crise économique profonde. Pendant la campagne présidentielle, Biden a initialement défendu une série de pseudo-réformes dont une augmentation par trois du programme fédéral de financement des écoles défavorisées, la crèche pour tous et un financement plus conséquent des programmes d’éducation spécialisée par le biais de l’IDEA [2] Il a aussi proposé de « réparer » le programme d’exonération de la dette des services publics, d’apporter son soutien à des mesures en faveur du suivi psychologique des élèves et « d’embaucher plus de personnes de couleur au sein de l’Éducation Nationale. »

Hormis les œillades aux politiques identitaires, toutes ces mesures étaient de banals mensonges électoraux. L’école publique fait face à une crise économique sans précédent. Le Bureau de la statistique et de l’emploi relève que plus de 354 000 employés des écoles primaires et secondaires et 337 000 employés de l’enseignement supérieur ont perdu leur emploi au cours de la pandémie. Résultat de la contraction fiscale permanente, l’Institut des politiques d’éducation prévoit que les écoles primaires et secondaires du pays vont être confrontées à un déficit total de budget s’élevant à une somme entre 295 et 370 milliards de dollars.

Dans ces conditions, n’importe quel nouveau programme ou réforme budgétaire sera rejeté, considéré comme « infaisable » à l’aune des exigences austéritaires de Wall Street et compte tenu des déficits publics. En d’autres termes, Biden n’a aucune intention de tenir ses promesses, sauf celle d’augmenter le nombre de noirs aisés, d’hispaniques et de femmes au ministère de l’Éducation. Au contraire, la continuité politique sera totale entre le gouvernement Trump sortant et le gouvernement Biden nouvellement nommé. La véritable et unique différence est que Biden imposera l’austérité (et elle sera plus forte) sous couvert d’une rhétorique identitaire et de collusion avec les syndicats.

Quel est le passif de Biden ?

Il y a tout juste quatre ans, Biden était le vice-président d’un gouvernement tristement resté dans les mémoires pour ses attaques redoutables contre l’école publique à travers l’évaluation formatée et punitive, le développement du salaire au mérite et d’autres politiques contre le corps enseignant, les coupes budgétaires dans les programmes d’aide fédéraux et un soutien sans faille à la privatisation.

A la suite du krach de Wall Street en 2008, le gouvernement Obama-Biden a renfloué les banques et les grandes entreprises, arrosant par milliers de milliards l’élite financière quand au même moment ils désossaient les programmes sociaux. La conséquence de cette politique fut le transfert sans précédent de sommes colossales d’argent dans les poches de l’oligarchie financière, et s’est doublée d’une terrible hausse des inégalités sociales et de la pauvreté. Au moment où Biden et Harris enteront en fonction en 2021, nous pouvons nous attendre à la même réponse de classe mais dans un contexte bien plus rude.

Alors que les enseignants pensaient que l’élection de B. Obama mettrait fin au programme haï de G. Bush « Aucun enfant ne doit être laissé de côté », ils récoltèrent les programmes « Course à l’excellence » et « Chaque élève a le droit de réussir » qui amplifièrent les programmes de l’ère Bush et le développement des écoles privées sous contrat ainsi que la privatisation de l’enseignement au profit de la puissante industrie du business éducatif.

De son côté Jill Biden, accompagnant le ministre de l’Education de l’époque, Arne Duncan, avait fait en 2009 une tournée promotionnelle pour les programmes « Course à l’excellence » et « Socle commun ». Au tournant 2010, les circonscriptions éducatives américaines étaient confrontées à une perte sèche de 230 millions de dollars, ayant pour conséquence des coupes budgétaires drastiques dont les élèves et les employés des écoles publiques ont été les victimes. Plus de 300 000 personnes employées par dans les écoles ont définitivement perdu leur emploi. Dans certaines circonscriptions la dépense publique par élève pour une année scolaire ne dépasse pas 1000 dollars. Au total, les dépenses des écoles primaires et secondaires ont baissé de 37% entre 2008 et 2013 et l’école publique a été abandonnée à sa ruine.

En 2016, après 8 ans de réformes Obama-Biden les inscriptions dans les écoles privées sous contrat ont doublé, passant de 3% à 6% des élèves.

Exsangues et avides de fonds, des milliers d’écoles publiques furent réduites à se faire concurrence pour obtenir des deniers de l’État fédéral. Les évaluations de niveau mises en place par l’Etat fédéral étaient ainsi faites qu’elles reléguaient les écoles des quartiers pauvres dans la catégorie « en échec ». Ces écoles ont pâti de réorganisations arbitraires des personnels, et ont en fin de compte fermé ; seulement, elles ont été remplacées par des écoles-entreprises privées sous contrat dont le but est de faire du chiffre, et dont les propriétaires sont souvent des entrepreneurs issus des minorités.

En 2016, le budget de clôture de la présidence Obama, qui a reçu l’approbation des deux camps, appelait à augmenter de 50% les aides fédérales en faveur des écoles privées sous contrat. De telles attaques préparaient le terrain pour l’estocade portée à l’école par Trump et DeVos.

Plus significativement encore, l’équipe de transition de Biden compte nombre de noms de fondations de grandes entreprises fortement associées aux années d’efforts pour privatiser l’école comme la fondation Bill et Melinda Gates et l’organisation philanthropique Bloomberg. Pour donner une idée des opportunités économiques qui se profilent pour les géants de l’industrie technologique sous un futur gouvernement Biden, Gates a annoncé en mai dernier le lancement du projet « Réimaginer l’école » promouvant l’enseignement en ligne dans les écoles de New York alors qu’au même moment 827 millions de coupes budgétaires étaient annoncées.

L’année 2021 et les suivantes verront converger professeurs, personnels employés par les écoles, parents et élèves vers une lutte d’une ampleur sans précédent. Les travailleurs n’accepteront ni une mortalité de masse assortie d’un retour au travail dans des conditions sanitaires dangereuses ni le démantèlement de l’école publique.

C’est pour cette raison que Biden laisse planer la possibilité de nommer au poste de nouveau ministre de l’Éducation soit Randi Weingarten, actuel président de la Fédération américaine des professeurs (FAP), soit Lily Eskelsen-Garcia, ancienne présidente de l’Association pour l’éducation nationale (AEN) de 2014 à 2020.

Il est très peu probable que Biden nomme l’un des deux secrétaires syndicaux à ce poste étant donné sa volonté de choisir des candidats capables d’agréer les Républicains, bien qu’ils soutiennent les efforts de Trump à annuler le résultat de l’élection et de s’autoproclamer dictateur présidentiel.

Toutefois, les représentants de la FAP et de l’AEN ont fait la preuve depuis fort longtemps de leur utilité à la classe politique et économique en sapant le pouvoir d’opposition des enseignants et en laissant la voie libre aux mesures d’austérité et aux plans de privatisation de l’école.

Les deux secrétaires nationaux des syndicats ont appelé de leurs vœux et scrupuleusement veillé au retour des enseignants dans les classes, malgré le nombre croissant de décès parmi les professeurs et les employés des écoles. Après que des milliers de professeurs aux quatre coins du pays ont participé à des grèves, des manifestations et des rassemblements en signe de protestation tout au long du printemps et de l’été, créant des groupes Facebook indépendants pour exprimer le refus d’un retour à l’école dans des conditions sanitaires dangereuses, la FAP a accepté de soutenir localement des « grèves pour la sécurité sanitaire ». Sans exception, les syndicats les ont empêchées et ont démobilisé les professeurs. Cette situation a par exemple concerné la circonscription de Detroit où les enseignants ont voté à 91% pour et 9% contre l’action collective.

Pendant les principales vagues de grèves des professeurs en 2018-2019, Weingarten, Eskelsen-Garcia et leurs syndicats respectifs ont isolé, limité et saboté les grèves locales et dans les États. Ils se sont assurés que les professeurs, qui se battaient contre les pertes de salaire et les licenciements dont la Grande Récession et les privatisations en cours de l’école étaient les causes, ne donneraient pas naissance à une grève à l’échelle du pays tout entier, remettant en question les mesures d’austérité des Démocrates et Républicains et menaçant la monopolisation des richesses par la classe capitaliste et les couches les plus aisées dont font eux-même parti les cadres des syndicats (ils gagnent plus de 500 000 dollars par an).

Il est particulièrement révélateur que l’un des prétendants pressenti au ministère des Finances soit Roger Ferguson, un ancien vice-président de la Réserve Fédérale, conseil financier du gouvernement Obama, qui, depuis 2008, est le PDG de TIAA (Teachers Insurance and Annuity Association, [3]) qui gère les fonds de pension des professeurs dont le montant s’élève à 1,3 trillion de dollars, et comptent parmi eux ceux contrôlés par la FAP et l’AEN.

Chacun des syndicats a réalisé d’importants investissements dans le développement de l’immobilier commercial et des titres financiers. Cela donne aux syndicats une motivation financière directe à apporter leur soutien à l’austérité et à d’autres mesures qui visent à entretenir la hausse continuelle de la bourse, même à l’heure où le taux de mortalité continue lui aussi à grimper parmi les enseignants. Pour le dire sans détours, la diminution de l’espérance de vie des professeurs à la retraite constituera un bénéfice net pour les portefeuilles-titres des cadres syndicaux puisque la diminution des dépenses pour payer les pensions dégagera davantage d’argent pour l’investissement.

Biden et les Démocrates, ainsi que les cadres des syndicats, redoutent plus que tout un mouvement puissant des classes laborieuses contre l’oligarchie entrepreneuriale et financière. C’est pourquoi ils ne font rien pour alerter les travailleurs du danger constitué par les menaces de coup d’état de Trump, présentant son refus d’admettre la réalité comme un « caprice » plutôt que comme une remise en cause pressante des droits démocratiques.

La lutte contre cette remise en cause des droits démocratiques et les décisions criminelles du retour à l’école et au travail prônées par les deux partis (autant sous l’emprise des entreprises l’un que l’autre) nécessitent la formation de nouvelles organisations de lutte, des comités d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) indépendants de la FAP, de l’AEN et autres, qui s’engagent à mobiliser la classe laborieuse afin de fermer les écoles et les entreprises inessentielles tout en garantissant une compensation de salaire pour les travailleurs, les chômeurs et les petits commerces tant que la pandémie est hors de contrôle.

A cela doit s’ajouter la construction par la classe ouvrière d’un mouvement politique de masse afin de se battre pour le socialisme, ce qui implique de faire des banques et des grandes entreprises des services publiques, contrôlés démocratiquement.

Les trillions dilapidés pour nourrir l’avarice des super-riches doivent être rendus à leurs propriétaires et utilisés pour subvenir aux besoins sociaux de la population et au développement d’une société fondée sur l’égalité et la démocratie ouvrière. Les CHSCT des enseignants vous exhortent à rejoindre le combat pour mobiliser toutes les forces de la classe ouvrière et protéger nos vies, nos droits et notre avenir.


Voir en ligne : World Socialist Web Site->https:...


[1Council of Chief State School Officers, organisation apolitique à but non lucratif de fonctionnaires qui dirigent les départements de l’enseignement élémentaire et secondaire des États américains.

[2Loi garantissant aux élèves handicapés un accès gratuit à l’école publique et adapté à leurs besoins.

[3Entreprise d’assurance et de Fonds de placement.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.