Emmanuel Macron a donné le « la ». Pour les prochaines élections européennes, il y aurait d’un côté les « progressistes » dont il serait le leader incontesté, de l’autre les « populistes » ou encore « fascistes » que représenteraient à merveille les italiens Di Maio ou Salvini. Les bons d’un côté, les méchants de l’autre. La discussion serait donc close avant même d’avoir été esquissée sur la nature des partis, des politiques, des hommes qui les portent. Et si tout cela était tout de même un peu plus compliqué.
Di Maio, Salvini, et la coalition Lega-M5S
Il serait absurde pour prendre le contre pied d’Emmanuel Macron de trouver une virginité révélée qui « réhabiliterait » Salvini, le leader de « la Lega » du Nord.
Salvini est par exemple partisan de la « théorie du ruissellement », par ailleurs chère à notre président Emmanuel Macron, qui vise à baisser les impôts des riches au nom de la relance. La Lega, parti xénophobe dont il a pris la direction, était il y a peu encore concentrée dans le Nord de l’Italie tel un mouvement régionaliste, exprimant la révolte du petit patronat du nord industriel contre l’état central italien, rassemblant comme un parti de masse sur le modèle du vieux PCI nombre de ses anciens militants, comme des secteurs de la classe ouvrière désorganisée par les restructurations industrielles. Avec Salvini, ce parti plutôt européiste, qui refusait de payer pour « les pouilleux du sud », c’est à dire tout ce qui se trouve au sud de la capitale Rome, a infléchi sa politique, adopté une ligne critique vis à vis de l’UE, s’est élargi, et a affirmé sa volonté d’être « un parti de toute l’Italie ».
Tout en reconnaissant donc la réalité des formations politiques et le caractère peu fréquentable de quelques uns des leaders concernés, il serait tout autant absurde de ne pas regarder les raisons politiques pour lesquelles les italiens ont porté au pouvoir cette coalition improbable, Lega et M5S.
C’est l’opposition à la politique portée par les grands partis qui explique le succès électoral de La Lega et du mouvement M5S. Ce sont les engagements de campagne portant sur l’opposition à toute une série de contre-réformes imposées par les dirigeants allemands et français et défendues becs et ongles par le PD de Matteo Renzi – réforme des retraites, loi travail à l’italienne, etc… – et par Forza Italia de Berlusconi allié aux autres partis du PPE qui explique le bouleversement de la vie politique italienne.
Le système italien basé sur la démocratie chrétienne, le PD et Forza Italia, a explosé et la popularité de la coalition au pouvoir tient à la politique qu’elle met en pratique, du moins qu’elle annonce… En Italie comme en France, les étiquettes ont fait long feu pour laisser place aux jugements réellement politiques qui déterminent l’attitude des électeurs. Descendons donc de la chaire des prêcheurs et des excommunicateurs, et voyons, dans leur vulgaire réalité, les actes du pouvoir italien.
Un programme de rupture avec l’UE
A l’issue d’un conseil des ministres jeudi 27 septembre au soir, Luigi di Maio, vice-président du conseil et patron du mouvement 5 étoiles, a annoncé devant des supporters enthousiastes la décision de laisser filer le déficit budgétaire à 2,4% du PIB au mépris de la volonté commune des marchés financiers et des recommandations de Bruxelles. De la part des populistes comme ils sont qualifiés, la décision tranche sérieusement, notamment avec le gouvernement précédent de centre gauche qui avait prévu de limiter le déficit à 0,8% du produit national et qui envisageait un retour à l’équilibre en 2020. Bref, les « populistes » partisans de l’affrontement avec Bruxelles lorsque la « gauche » se déclare favorable à plus d’austérité pour demeurer dans les clous de la commission européenne.
La décision du gouvernement italien, contre l’avis des plus modérés dont le ministre des finances Giovanni Tria, partisan d’un déficit limité à 1,6%, indique donc une détermination politique qui pousse à l’affrontement avec Bruxelles. Macron voulait imposer le débat entre les progressistes et les populistes. Di Maio le prend au mot. Du point de vue des intérêts immédiats de « l’Italie d’en bas », qui est progressiste dans l’affaire ?
Pierre Moscovici, l’ancien ministre socialiste de Hollande recasé depuis à la commission européenne, fulmine. Il menace, sans faire reculer les Italiens dont le président du conseil Giuseppe Conte indique 27 milliards d’euros de dépenses supplémentaires.
Sont prévues une augmentation des dépenses sociales, une réforme du système des retraites et des baisses d’impôts. De plus,10 milliards d’euros sont destinés à « un revenu de citoyenneté » pour combattre la pauvreté. Ce revenu prévoit des allocations de 780 euros par mois pour 6,5 millions d’italiens les plus démunis, dont les retraités qui vivent sous le seuil de pauvreté. Pour les retraites, 8 milliards devraient permettre la possibilité de cesser le travail à 62 ans avec 38 ans de cotisations. 400 000 personnes devraient pouvoir partir plus tôt.
Pour les impôts, un million d’auto-entrepreneurs et artisans ne paieront que 15% d’impôts. Un plan d’investissements en infrastructures de 15 milliards d’euros supplémentaires est arrêté.
Evidemment, la coalition au pouvoir est prise dans une contradiction qui pousse naturellement à l’affrontement avec Bruxelles. Comment en effet réaliser les mesures annoncées tout en baissant les impôts sinon en transgressant la règle de la commission qui interdit les déficits ?
Ce qui est reproché à la coalition Ligue-5 étoiles, c’est la rupture avec les limites imposées par l’Europe et les marchés. Du coup, l’UE a décidé d’user de ses arguments pour casser les velléités italiennes. La bourse de Milan est l’objet de toutes les attaques. En une journée, les spéculateurs lui ont imposé une perte de 3,7%. Les taux à 10 ans ont commencé à grimper passant de 2,888% à 3,084% vendredi 28 septembre au matin. Le fameux « spread », l’écart entre les taux à dix ans allemand et italien, considéré comme le baromètre du risque sur les marchés, s’est lui aussi tendu. Il était de 260 points de base vendredi matin, en nette hausse, loin des 130 points de base affichés début 2018. Il risque de grimper encore ces prochains jours, renchérissant les coûts auxquels l’Italie se finance. La volonté de la finance est sans équivoque, tenter d’asphyxier le plus vite possible l’Italie pour imposer un changement d’orientation, ou mieux, un renversement du gouvernement. Déjà, comme pour la Grèce, les agences de notations, officine du capital financier, prévoient de réviser la note attribuée à l’Italie, entrainant de façon quasi mécanique une hausse des taux, toujours dans la perspective d’une asphyxie de la péninsule.
Danger mortel pour l’union européenne
C’est donc sur le terrain financier que l’UE compte réagir en mettant à genoux la péninsule, interdisant une politique que les électeurs ont plébiscitée et qu’ils approuvent à plus de 60% selon les derniers sondages qui devraient rendre quelque peu jaloux Macron et ses 29% de satisfaits…
La situation italienne met au centre la question de la démocratie bafouée comme à chaque occasion par les institutions européennes. Car c’est bien la décision du peuple qui a porté des élus du pouvoir qui est niée par Bruxelles. C’est bien contre le peuple souverain que toutes les manoeuvres sont engagées, dés lors que la politique mise en oeuvre est contraire à la volonté bruxelloise.
« Nous faisons du bien à l’Italie et aux Italiens », a assuré le président du conseil, Giuseppe Conte, tandis que ses deux vice-premiers ministres, Matteo Salvini et Luigi Di Maio saluaient la naissance du « budget du changement ». En réalité, n’est-ce pas l’Union européenne elle-même, qui par son orientation austéritaire imposée à tous les peuples d’Europe, permet aux Salvini, Di Maio et autres de prospérer ?
A y regarder de plus prés, le gouvernement italien n’applique t’il pas à la lettre ce que définit le plan A et plan B proposé ici, basé sur la possibilité de désobéir aux traités et décisions de l’UE dés lors que l’intérêt du peuple le nécessiterait ? Luigi Di Maio a d’ailleurs assuré que le gouvernement italien n’avait pas l’intention « d’aller au conflit avec la CE », laissant la CE venir au conflit avec le peuple italien.
La Grèce devait servir d’exemple à tous les velléitaires. Pierre Moscovici, le socialiste français et commissaire européen, a condamné les italiens qui font « de la relance avec une dette très élevée » et menacé « cela finit par se retourner contre ceux qui le font ». Le budget italien serait « hors des clous », la dette « explosive ». Il menace. Matteo Salvini a répondu : « Même si l’UE devait recaler notre loi de finances, nous irons de l’avant ». Dans l’épreuve de force qui est engagée et dont nul ne peut prévoir l’issue, sans se sentir en quoi que ce soit attaché aux gouvernants italiens, le soutien des vrais progressistes à la politique qui défie Bruxelles ne devrait-elle pas être sans faille ?
De fait le gouvernement italien est en rupture avec l’UE sur tous les grands sujets, en particulier sur les règles de l’Union économique et monétaire, sur la politique étrangère et sûr sur le dossier migratoire. Ce qui se joue en Italie n’a pas grand chose à voir avec les fantasmes macroniens à usage purement électoral. Ce qui se joue avec un des pays fondateurs de l’union, une des premières économies de l’union européenne, est l’éclatement de l’UE et l’accomplissement d’un gigantesque « Brexit » généralisé. N’est-ce pas cela qui se déroule sous nos yeux et que tous les admirateurs de doigt qui ignorent la lune ne veulent entrevoir ?