Les évènements du Capitole du 6.I ont relancé toute une série d’articles sur le "fascisme" de Trump, la marche au fascisme, etc., etc. On avait déjà eu droit à une série de commentaires de ce type à partir du tournant autoritaire pris par le gouvernement Macron (Gilets jaunes).
Ces commentaires s’appuient notamment sur le fait que comme, comme dans le cas des nazis ou des fascistes italiens, les manifestants trumpistes ont bénéficié de sympathies au niveau de l’appareil d’État. L’extrême facilité de l’intrusion ne laisse aucun doute sur ceci. Mais il faut aussi constater que les intrus n’étaient que quelques centaines, sans organisation réelle – on est loin des nazis ou des chemises noires.
En fait, tout ceci rappelle surtout le boulangisme. Dans une période de crise de la société (ici : le lent déclin de l’impérialisme US), un démagogue tel que Trump peut effectivement entrainer des franges de la société dans des aventures.
Mais en général, les commentaires venant de gauche et assimilant trumpisme et fascisme ont comme particularité d’ignorer les élaborations de Trotsky sur le bonapartisme. On sait qu’il s’agit d’une forme autoritaire de gouvernement, sans aller jusqu’au fascisme, au talon de fer qui écrase toute la société. Exemples typiques de régimes bonapartistes actuels : ceux de Poutine ou d’Orban.
Le fascisme n’est en effet pas sans poser problème du point de vue du Capital (voir ce qui se déroule actuellement au Chili) – sinon la planète serait couverte de régimes de ce type ! D’une façon générale, pour fonctionner correctement, le capitalisme a besoin de laisser l’initiative aux patrons, ce qui ne peut se faire aisément avec une société sous contrôle étroit de l’État et de ses forces armées (Police, Justice, Armée). C’est particulièrement évident en ce qui concerne l’innovation – penser au logiciel, mais aussi à la biologie (par exemple les technologies vaccinales, etc.), etc.
Bref, le capitalisme ne recourt au fascisme que lorsqu’il n’a pas d’autre solution. Typiquement, ce fut le cas en Amérique Latine, durant les années 70. Or ce n’est le cas ni aux USA, ni en Europe occidentale.
Certes, le capitalisme mondialisé, tel que produit par le tournant des années 70 et menant à la chute de l’URSS, a entamé un cours profondément régressif, qui mène à la remise en cause d’un acquis ouvrier après l’autre (voir les statistiques sur la montée des inégalités un peu partout). Ce qui génère diverses révoltes, souvent captées par des démagogues divers (M5S italien, Podemos en Espagne) ou des gens incapables de tenir ce rôle (les dirigeants Gilets Jaunes, p. ex.).
Mais nulle part, le mouvement ouvrier n’est actuellement un candidat sérieux au pouvoir (sauf peut-être au Chili) : nous sommes dans une phase historique de décomposition du mouvement ouvrier et de ses organisations traditionnelles (voir l’état du PS, du PCF ou de la CGT en France - en Italie, il n’existe carrément plus de parti qui se rattache au mouvement ouvrier). Ce qui met à l’ordre du jour la question de la reconstruction d’un mouvement ouvrier rénové, sans préalable. C’est d’ailleurs à partir de cette question qu’il faut apprécier la question des candidatures à la Présidentielle de 2022. On insistera sur le fait que les analyses de Trotsky sur la question du Labor Party américain sont précieuses pour s’orienter dans ce contexte.
Et en France, il est particulièrement naïf de crier au fascisme, alors que les libertés essentielles ne sont pas en cause (organisation, Presse, etc.). Historiquement, la V° République fut certes conçue comme un régime bonapartiste "pur". Par exemple, il était prévu que la saisie du Conseil Constitutionnel ne serait possible que par le parti gaulliste, ce qui donnait toute latitude à De Gaulle. Mais les évènements de la période 63-68 ont rendu impossible de réaliser ces projets pleinement.
D’où un régime bâtard, qui garantit la prééminence du Président-Bonaparte. Encore récemment, la synchronisation des élections présidentielles et législatives a littéralement vidé ces législatives de leur contenu. Or ces scrutins sont par excellence du domaine des partis politiques, donc des organisations ouvrières – l’essentiel est là en ce qui nous concerne. En résumé, on en est rendu à un point où l’existence de contre-pouvoirs sur le terrain parlementaire, appuyés sur le mouvement ouvrier est très largement entravée. Ceci étant, encore une fois, le maintien des libertés démocratiques essentielles, aussi formelles soient-elles, interdit de parler de dictature.
Ces précautions étant formulées, il faut cependant insister sur le fait que nous assistons désormais à un durcissement des institutions de la V° République (Loi sur la Sécurité Globale, fichage, etc.). Le drame étant qu’il se conjugue à la décomposition du mouvement ouvrier (conséquence évidente : l’abstention ouvrière massive). A l’évidence, Macron (et Sarkozy en sous-main) s’appuient sur les diverses provocations qu’on leur offre pour mener ce durcissement (black bloc et provocateurs divers, crimes islamistes...). Pour Macron, c’est d’autant plus important, qu’il ne peut espérer capter l’électorat républicain en 2022 que s’il procède ainsi (étant entendu qu’il ne craint rien de sérieux à gauche).
La défense des libertés devient donc essentielle, d’autant plus que la situation sanitaire met à l’ordre du jour une offensive sociale d’une violence inouïe, avec les convulsions sociales qu’on peut imaginer. Mais le cadre général de cette activité ne peut être de dénoncer une marche au fascisme qui n’existe pas. Il est celui d’en finir avec les institutions de la V° République.