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La Palestine, maintenant… !

lundi 29 avril 2024, par Jean-Philippe Immarigeon

Avocat, docteur en droit, essayiste et historien, il collabore à la Revue Défense Nationale depuis 2001 et a publié de nombreux articles et essais dont American parano, Sarko l’Américain et L’imposture américaine (Les Pérégrines, 2006, 2007 et 2009), La diagonale de la défaite (Les Pérégrines, 2010), et Pour en finir avec la Françamérique (Ellipses, 2012).

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Faut-il reconnaître l’Etat palestinien ? Les Français hésitent, alors que poser la question c’est déjà y répondre, ne serait-ce que pour réparer nos capitulations du soir même des accords d’Oslo, et l’abdication d’un droit international dont la Palestine n’est finalement que le nom.

Sortir de l’équation Hamas = Palestine

Si le massacre du 7 octobre 2023 est un évènement historique, c’est parce qu’il permet d’envisager, après 57 ans de déshérence, la fin de l’occupation de Gaza et de la Cisjordanie [1]. C’est très dérangeant, mais si la CIJ dans ses arrêts, si l’ONU sur la question du statut de la Palestine et les Etats-Unis malgré leur veto, si l’UE à l’initiative de l’Espagne, si notre Assemblée Nationale concernant la création d’un groupe d’amitié France-Palestine, si le CIO en permettant le défilé des athlètes palestiniens non
sélectionnés, si toutes ces organisations reconsidèrent la question, si la reconnaissance d’un Etat palestinien au côté de l’Etat hébreu est désormais inéluctable alors que le 6 octobre 2023 plus personne ne voulait en entendre parler – et surtout pas les autocraties soldées à l’Amérique et voisines d’Israël [2]–, on peut bien retourner la question dans tous les sens, il est impossible de ne pas mettre ce renversement complet « au crédit » du Hamas [3].

Dès lors, si les discours entendus à Sciences Po ou à Colombia trahissent le faible niveau d’un enseignement désormais standardisé sur le plus bas petit dénominateur commun, c’est en revanche se mettre dans une impasse que de décontextualiser le massacre en le basculant dans la longue histoire d’un antisémitisme bimillénaire, tout en exonérant dans le même temps la judéophobie coranique dont les tueurs du Hamas se réclament pourtant ouvertement. Il faut sortir du syllogisme d’une insigne malhonnêteté [4]dans lequel les opinions sont piégées par dette imaginaire et sentiment de culpabilité : être pour la Palestine serait être allié du Hamas donc tout autant antisémite, en conséquence tout soutien de l’Etat palestinien est un antisémite par apriorisme. Et c’est ainsi que votre fille est muette.

Il est vrai que pour le Hamas et trop de Palestiniens, l’occupation ne date pas de 1967 ni même des conquêtes de 1948, mais du plan de partage de 1947. La Charte du Hamas – aux relents de Protocole des Sages de Sion –, même si sa réécriture en 2017 laisse planer le doute, a pour but la destruction de « l’entité sioniste ». Le Hamas ne se bat pas pour la Palestine mais pour détruire Israël, et c’est suffisant pour le qualifier de terroriste et non de résistant à l’occupant, même s’il mène également des actions militaires. C’est le sens du slogan From the River to the Sea et des cartes qui gomment les frontières issues de la guerre de 1948 pour ne représenter que la Palestine mandataire, signalétique reprise en France par des groupuscules qui cultivent l’ambivalence pour des raisons essentiellement électoralistes.

Des frontières de 1967 non négociables

Ainsi le logo de l’association Libre Palestine ne fait apparaître qu’un seul territoire entre le Jourdain et la Méditerranée. Elle a tenté de s’en justifier en prétendant tout d’abord qu’il s’agirait de la traduction du projet d’Etat binational. Mais qui croit à cette lubie ? Un communiqué a ensuite argué qu’il était impossible de montrer « une carte qui représente une région du monde traversée par un processus de colonisation indéniable, et dont la définition des frontières est un enjeu de luttes non stabilisées ». C’est la défense de Mélenchon : s’il n’y a pas de frontière dessinée, c’est parce qu’elle n’est pas fixée.

Faux : la frontière qui sépare Israël de la Cisjordanie et de Gaza a été établie en 1949 jusqu’à la guerre de 1967, et internationalement reconnue. Ses relevés sont cartographiés, et lors d’un voyage en Israël en 1988 je pouvais la suivre aux parpaings et aux barbelés qui serpentaient autour de Jérusalem – le terrain vague entre la terrasse de l’Hôtel King David et la Porte de Jaffa étant toujours un dépôt de bus municipaux servant de No Man’s Land, où venaient se garer la nuit les véhicules blancs de l’ONU qui circulaient encore à cette date.

Ces frontières ne sont plus négociables, les prétendre non fixées fait le jeu des Israéliens qui veulent encore réduire la peau de chagrin qu’est devenue la Cisjordanie. Les remettre en question distingue les ultra-sionistes mais aussi les antisionistes, ceux qui prétendent à un privilège biblique sur les soi-disant Judée et Samarie comme ceux qui dénoncent une occupation vieille de 75 ans et non de 57 ans, de celles et ceux qui prônent la reconnaissance immédiate de l’Etat palestinien dans les frontières existant entre 1949 et 1967, au prix de l’abandon du droit au retour des exilés de la Nakba, pour douloureux qu’il soit. Et sans attendre qu’Israéliens et Palestiniens concilient.

Le piège du « paix contre territoires »

Rappelons une fois encore le non-sens à conditionner l’existence d’un Etat palestinien à l’accord d’Israël, et le piège du prérequis « la paix contre les territoires », cette liberté conditionnelle qu’on veut imposer aux seuls Palestiniens pour prix du droit de disposer d’eux-mêmes [5]. En découlent les exigences israéliennes qui ont fait capoter les négociations à ce jour, de conserver pour une durée indéterminée la main sur la sécurité de toute la région et plus particulièrement les colonies de peuplement et les axes routiers y menant, l’exploitation partagée des nappes phréatiques, des avant-postes sur le Jourdain et la Mer Morte, le contrôle des frontières, la police des Lieux Saints, etc.

Or les données sont simples : la Palestine est cet Etat dont le principe a été voté en 1947, qui correspond aux territoires connus sous les noms de Cisjordanie et de Gaza envahis en 1967 et d’où les forces d’occupation israéliennes doivent se retirer après avoir rapatrié les colons et sans doute détruit leurs implantations. On pourrait même rêver qu’Israël, qui se vante d’être une démocratie responsable et un état de droit respectueux de la légalité, mette fin sans davantage attendre à une occupation et à une colonisation d’un autre temps. Ensuite, ce sera à la Palestine indépendante de décider si elle veut – ou pas – signer un traité de paix avec son nucléarisé voisin, son millier de chars et ses 360 avions de combat.

C’est pourquoi la France a voté le 18 avril dernier au Conseil de sécurité de l’ONU pour le plein statut de la Palestine dans des termes non-équivoques, et au-delà en faveur de l’instauration d’un Etat palestinien à Gaza et en Cisjordanie comme l’a expliqué par notre représentante [6]. Rappelons que les deux chambres du Parlement français ont déjà voté une résolution en ce sens dès 2014. Le Conseil Représentatif des Institutions Juives de France, dans sa protestation, a tenté de refermer la nasse : « Les solutions de paix doivent être le résultat de discussions entre les parties. Le vote de la France, comme des autres soutiens de la résolution, a un effet dangereux : inciter les Palestiniens à continuer de refuser les voies de la négociation pour arriver à la paix. » Sauf qu’on ne parle pas encore de paix mais seulement et dans un premier temps d’Etat palestinien.

Pour la Palestine, pour qu’Israël vive

On dit : « ce n’est pas le moment ». Mais ce n’est jamais le moment et ce ne sera jamais le moment. Ou plutôt si, après 57 ans, c’est aujourd’hui le moment.

« Ça n’arrangera pas les choses » : peut-être, mais si on ne le fait pas les choses n’ont aucune chance de s’arranger, elles vont même empirer. A ceux qui objectent que ça ne résoudra rien, il sera répondu que sans cette reconnaissance rien ne pourra jamais être résolu. Et qu’Israël ne rendra jamais les territoires par la voie d’une négociation par avance biaisée, finira par les annexer et déporter les Palestiniens de Cisjordanie de l’autre côté du Jourdain – comme il le fait déjà de ceux de Gaza dans le Sinaï.

« Israël ne sera jamais en totale sécurité vu l’exiguïté de son territoire » : outre qu’il fallait y penser en 1947 et que l’exigence d’une sécurité absolue et irrévocable n’a aucun sens, ce ne sont pas vingt kilomètres en avant qui y changent quelque chose, surtout face à la lointaine Perse. Et prétendre l’Etat hébreu vulnérable à l’heure où Gaza est réduit à un paysage lunaire relève du foutage de gueule.

« C’est reconnaître la victoire du Hamas » : c’est l’argument du gouvernement israélien convoquant les ambassadeurs des pays du Conseil de sécurité ayant voté en faveur de l’adhésion pleine et entière des Palestiniens aux Nations unies [7], c’est aussi l’argument du CRIF [8]ou de Bernard-Henri Lévy [9]. Mais c’est l’inverse : le Hamas a perdu le 7 octobre 2023 sa guerre d’éradication de « l’entité sioniste » en remettant dans le champ du possible et du probable l’existence d’un Etat palestinien dont il ne veut pas sous la forme que la communauté internationale aura décidée, et dont la constitution souveraine abolira sa légitimité usurpée. C’est pourquoi reconnaître la Palestine, c’est vaincre le Hamas, ses tueurs et ses fous de Dieu.


[1Voir « Israël dos au mur… et à la mer », La Sociale online, 8 février 2024 : https://la-sociale.online/spip.php?article1067

[2Voir « L’œil du cyclone », Revue Défense Nationale, Tribune n° 97, 5 mai 2011 : https://www.defnat.com/e-RDN/vue-tribune.php?ctribune=105

[3Je ne sais si cette assertion me vaudra, à moi aussi, une convocation à l’hôtel de police le plus proche pour « apologie du terrorisme », mais je tâcherai d’être digne de mon parent Théophile Imarigeon alias l’abbé Duvernet, premier biographe de Voltaire, qu’on conduisit un matin de 1780 à la Bastille, sur lettre de cachet.

[4Voir « Solitude de BHL », La Sociale online, 4 avril 2024 : https://la-sociale.online/spip.php?article1089

[5Voir « L’œil du cyclone », et « Israël dos au mur… et à la mer », op.cit.

[6« Il est temps de parvenir à un règlement politique global du conflit israélo-palestinien, sur la base de la solution des deux Etats, la seule à même de répondre aux besoins de sécurité de long terme d’Israël, ainsi qu’aux aspirations légitimes des Palestiniens à un État. C’est dans ce contexte que nous sommes favorables au rehaussement du statut de la Palestine et à son admission comme membre de plein droit. Cette admission doit permettre la reprise d’un processus décisif et irréversible pour mettre en œuvre la solution des deux Etats et le renforcement de l’Autorité palestinienne dans les Territoires Palestiniens, à Gaza comme en Cisjordanie. Elle doit pouvoir y exercer de manière effective et efficace ses responsabilités sur l’ensemble des territoires d’un futur Etat palestinien. »

[7« Un geste politique et un appel à reconnaître un État palestinien, six mois après le massacre du 7 octobre, sont une prime au terrorisme. »

[8« La reconnaissance internationale d’un Etat palestinien en dehors des discussions entre Israéliens et Palestiniens serait immanquablement perçue comme une récompense diplomatique des attaques terroristes du 7 octobre et une victoire symbolique du Hamas. »

[9Voir « Solitude de BHL », op.cit.