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Faucon et vrai salopard

Les mots pour le dire…

mardi 13 juillet 2021, par Robert POLLARD

Donald Rumsfeld est mort. Fini, de la poussière Son Importance. Sa morgue. Son pognon de dingue. Lui qui aura couvert les crimes de la CIA tout en cherchant à la remplacer par une autre plus à sa main… mais non, mais non il n’aura rien couvert du tout, simplement ignoré. Officiellement détourné le regard ? C’est un acte politique banal et universel qui prête à confusion, dont on peut donc toujours se sortir, de son vivant, éventuellement : ils ne sont jugés que par leurs pairs ces gens-là. Il y a bien l’Histoire, mais on ne meurt qu’une fois, savez-vous…

Et, se demande-t-on, pourquoi cette attention sur le cas déjà consumé, ou enterré, de Rumsfeld, qu’il fut ou non un salopard ? Parce que, lui mort, reste l’attitude qui marque le comportement de ceux qui dominent et de ceux qui sont dominés, elle ne varie pas que la camarde soit passée par là ou non. Lui et ses semblables, ceux qui ne laissent pas de traces notables, sinon de mauvais et piètres souvenirs, de leur passage sur la terre. Ceux qui comme Rumsfeld ont eu une vocation à tenir les manettes du pouvoir enclins au cynisme distingué des grands “serviteurs“ de l‘État et, pour certains premiers servis, confortablement assis dans les fauteuils de Présidents des conseils d’administration, là où pèse la réalité de leurs besoins et de leur ambition.

Warren Buffet, celui-là dans la pénombre du Pouvoir, que l’on peut aussi associer à l’usine Lubrizol de Rouen, classée « Seveso », étant l’un de ces propriétaires qui ne se sont pas manifestés après l’explosion, qu’on ne sera pas non plus allé chercher dans leurs derniers retranchements. Il était resté quelque temps l’homme le plus riche du monde (paraîtrait-il que cette chose là pourrait s’évaluer) puis il laissa sa place, délogé par Bill Gates dont il devint l’ami, sans rancune. Buffet parle de la “lutte des classes“ avec beaucoup de réalisme et de satisfaction puisqu’il décrète que lui en particulier, le capitalisme en général ont gagné. Tout à la fois présomptueux et lucide, il ne tourne pas le dos à l’ennemi sa richesse et sa puissance consécutive lui procurant une sorte d’ivresse des sommets. En cela il représente très exactement la classe à laquelle il a l’honneur d’appartenir : Bill Gates dit de son ami qu’il est d’une intelligence exceptionnelle, « Je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui avait une vision aussi limpide du monde des affaires  » probablement que pour lui et ses semblables, quelle qu’en soit la nationalité, le Monde entier est une Affaire.

La Gouvernance est donc, en théorie, le terme le mieux adapté à ce que les capitalistes appellent le “gouvernement mondial“ qu’on aura su défaire des fanfreluches démocratiques qui l’encombrent. Il y aura des rivalités, elles se joueront aussi dans les étoiles, la Chine met les bouchées doubles pour parvenir au stade de leader — voir de Grand dealer eu égard à ses capacités de contamination de la planète — l’essentiel de l’objectif consumériste semble atteint ou en passe de l’être au moins dans l’espace urbain. Alors que faire de l’instrument ancien, le Parti communiste chinois, le PCC, qui ne semble pas avoir vraiment vieilli pour autant. Le Monde diplomatique de juillet relève « Jusqu’à maintenant les cellules ne jouaient qu’un rôle secondaire au sein des entreprises . Désormais dans le but de les développer un “système d’entreprises modernes aux caractéristiques chinoises“, des directives demandent aux sociétés privées d’“adhérer au principe selon lequel le Parti possède un pouvoir de décision en matière de ressources humaines“ il est clair pour monsieur Ye Qing sorte de sous-ministre que cela implique de soumettre la gestion du personnel à l’autorité du Parti » évidemment, serait-on tentés de commenter. Le Parti devient la sentinelle garde-chiourme dans l’entreprise pendant qu’au niveau le plus haut de l’appareil partisan, au plus élevé de la réflexion politique du Parti communiste se constitue une sorte de consortium des membres les plus puissants de cette nouvelle société capitaliste qui prend la Direction pleine et entière, aidée, renseignée par les petites mains qui entourent et protègent le noyau central, pur et dur du Capitalisme chinois centralisé et autoritaire. Ces gens-là règlent leurs comptes entre eux, également jugés par leurs pairs, point commun avec l’Amérique temple du Capitalisme libéral…

Reste qu’il s’avère nécessaire de modifier le cap, redresser la barre lorsque s’accumulent les obstacles. Vrai pour des personnalités comme Jeff Bezos l’Amazonien et de beaucoup d’autres de sa condition, chacun d’entre eux se doit de trouver une échappatoire, beaucoup se tournent vers l’Espace (ou font semblant) cette autre affaire en devenir qui, dans un premier temps, éloignerait les soupçons de profiteurs et exploiteurs du petit peuple dans leur système (capitaliste) établi pour cette seule raison de profiter de la propriété privée des moyens de production quels qu’ils soient. Expression qui équivaudrait à un vaste écran de fumées destiné à dissimuler la RAISON d’ÊTRE du capitalisme : mettre entre les mains d’une minorité assurée du pouvoir, toutes les ficelles de ce pouvoir : argent sous toutes ses formes, tous ses déguisements, forces armées chargées du maintien de l’Ordre, forces morales des différentes Églises et chapelles capables de prêcher l’obéissance et d’en sacraliser son contenu, jusqu’à l’absurde. Enfin établir une législation supérieure, au-dessus de toutes les autres lois de circonstance, une chape naturelle, inscrite dans l’Ordre naturel des choses de ce monde, régies par une sorte de « Grand Horloger » qui déciderait de la suite à donner de par sa propre volonté — sans qu’il ait été nécessaire de nommer spécifiquement chacun de ces Dieux uniques et multiples, sorte de lise en forme du mystère de la Trinité en UN. Suprématie de la loi de nature en vertu de quoi la « propriété privée est un droit inviolable et sacré  » Et tout cela fut enseigné de telle sorte qu’arrive le temps des sceptiques sans que n’aient disparues ces marques profondes burinées dans les consciences : le Bien et le Mal seront toujours un repère qui justifiera le gros mensonge, la petite fiole de destruction massive, l’assassinat d’un Archiduc, que sais-je encore, annonciateurs d’énormes massacres de chairs et de sang, d’os broyés durant des temps immémoriaux.

C’est aux frontières de ces déboires guerriers — “fait-on des omelettes sans casser des œufs“, il est même possible d’aller puiser dans ce registre d’humour macabre — qu’apparaissent les innocents aux mains pleines d’ironies incongrues : sous couvert de prendre le contrepied des adorateurs de Mammon et du Veau d’or, leurs regards se tournent vers ceux qu’on voit le plus, les choyés de la Pub, pour les quelques instants de faux mépris comme dans l’éditorial de, Libération par exemple — il s’en trouve d’autres plus allusifs comme Le Monde… Un certain Dov Alfon écrivant l’éditorial du Libération le 5 juillet sous le titre « Hypocrite » commence par cette phrase : « Il est coutume de s’extasier devant le parcours d’un Jeff Bezos qui quitte aujourd’hui son poste de directeur général pour se concentrer sur ses dadas personnels ». Outre qu’il serait possible de pérorer sur l’opportunité ou non de suivre ses inclinations, les dadas en l’occurrence, de cet homme qui pourraient le conduire à disparaître à jamais dans un accident spectaculaire, ou tout au contraire au Panthéon des grands précurseurs de l’humanité une sorte de Roland Garros contemporain, on ne voit pas ce qui en soi est condamnable dans sa décision de partir d’ici pour aller là où ses envies le portent. Sauf que le prix que coûtera ses exploits et, par extension, l’origine de sa fortune, devraient nous interroger. Outrancières, la sienne et celle de ses semblables qui caressent les mêmes lubies ? Pourquoi, n’existe-t-il pas de limites connues à l’expansion du profit, exception faite à la fameuse « baisse tendancielle » explicitée par Karl Marx, qui n’est pas d’ordre juridique, comme on le sait, mais structurelle.

Et à cet endroit précis ceux des experts qui savent se taisent : structure, structurel, personne n’a une gueule pareille, atmosphère circonstancielle, horizon dégagé nous avançons et avancerons toujours sur cette voie royale du Capitalisme libéral, à marche forcée quand il le faut. Et puisque nous y sommes, la pandémie est une excellente occasion d’enfumer l’atmosphère pour procéder à quelques changements discrets mais essentiels comme privatiser l’hôpital, ou tout au moins en donner le goût, en montrer la rationalité qui voudrait que le privé se joigne totalement à cette grande et généreuse entreprise de lutte contre le virus et ses répliques que l’on anticipe secteur par secteur sur l’ensemble de l’Europe, voire du Monde. La jonction opérée, le privé se charge alors de démontrer sa souplesse et son efficacité au-delà de toute philosophie économique. Beaucoup d’autres secteurs seront ainsi “consolidés“, on pense aux transports par toutes les voies qu’elles soient de terre, de mer ou dans les airs, autoroutières, ferroviaires… caravanières ? L’immobilier et la gestion des territoires, le tourisme de masse inclus. Les ressources sont infinies. Il suffit de créer des zones de troubles en jetant quelques cailloux dans les marres : va-t-on ou ne va-t-on pas s’attaquer aux retraites ? Même les patrons ne sont pas d’accord, alors que le gouvernement hésite et que le Président semble rester ferme sur ses convictions mais les rides concentriques à la surface retiendront l’attention des “commentateurs experts“ en tout genres. Ce ne sont là qu’exemples parcellaires pêchés quasiment au hasard.

Restent les Gens. Les Gens salariés. Les Gens producteurs de richesse. Les Gens clientèle électorale courtisée. Les gens syndiqués, ceux qui se battent syndiqués ou non, les armes de la grève à la main, se protégeant comme ils le peuvent, les Gens, des armes réelles dans les mains des professionnels du maintien de l’Ordre, parmi lesquels il se trouve aussi, quelquefois dans l’exercice de leur fonction, des Gens qui regimbent à obéir… ils sont à observer de près ceux-là.

ÉPILOGUE qui n’est que l’écho lointain de cette lettre minuscule mais qui m’est venu de la lecture du Dictionnaire de la Commune signé de Bernard Noël (qui vient de nous quitter) au mot « wagons. Ce récit d’Élisée Reclus à Lissagaray “vous avez sans doute entendu parler de ces wagons à bestiaux dans lesquels nous avons été transportés à Brest. Nous étions 40 empilés dans le wagon, jetés les uns sur les autres. C’était un fouillis de bras, de têtes, de jambes. Les bâches étaient soigneusement fermées autour de la cargaison de chair humaine, nous ne respirions que par les fentes est les interstices du bois. On avait jeté dans un coin un tas de biscuits en miettes ; mais jetés nous-mêmes sur ce tas sans savoir ce que c’était, nous l’avions bientôt écrasé, réduit en poussière. » et ces Gens rendus fous, privés de boire et de manger, dans leurs excréments s’agitent. “Un jour, à la Ferté-Bernard, des cris partent d’un wagon. Le chef d’escorte arrête le convoi ; les sergents de ville déchargent leurs révolvers à travers les bâches ; le silence se fait… et les cercueils roulants repartent à toute vapeur“. Bien sûr qu’on pense à tout autre chose venue d’un barbarisme propre à ce siècle qu’on voudrait particulier, qui su enchaîner les massacres de masse pesamment pensés, finement rationalisés, étroitement exécutés, à ce qu’on dit.

Nous avons, vous avez les plus jeunes, un avenir qui réclame que vous soyez encore plus intelligents que le furent vos ancêtres, nous-mêmes. Nous ne battrons pas notre coulpe il vous faudra repérer nos erreurs, nos peurs, nos ambiguïtés et trop souvent notre incommensurable prétention à voir plus loin et mieux que les autres qui pourtant avancent dans la même direction d’un pas différent, sur des sentiers parallèles et amicaux… pourtant.

Où est le problème ? Voilà la question.

Robert